L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. L'appropriation de la saisine indirecteLes individus peuvent présenter des communications devant la Commission sans qu'un Etat partie ne puisse s'y opposer, dans l'espoir que celle-ci décide de porter l'affaire devant la Cour133(*). La Commission pourra ainsi décider de saisir la Cour (avant même l'examen de la recevabilité de la communication) si la situation portée à sa connaissance présente des violations graves et massives des droits de l'homme commises par un Etat partie au Protocole134(*). La Commission pourra également décider de saisir la Cour en cas d'inexécution de ses décisions (mesure provisoire135(*) ou décision au fond136(*)) par un Etat partie au Protocole de la Cour. Dans ces cas, les individus et ONG ayant le statut d'observateur auprès de la Commission africaine pourront devenir des parties à la procédure. L'article 5, 1, d), du Protocole réserve la possibilité qu'un Etat partie puisse saisir directement la Cour pour dénoncer la violation des droits de ses ressortissants par un autre Etat partie dans ce qui s'apparente à la protection diplomatique137(*). La compétence de la Cour sera obligatoire dans cette hypothèse, qui demeure pour le moment purement théorique. Le Protocole ménage enfin la possibilité pour une ONG disposant de la qualité d'observateur auprès de la Commission de saisir la juridiction pour le compte de l'individu. Dans ce dernier cas, toutefois, la compétence de la Cour redevient facultative. Aussi, une personne morale peut-elle se porter requérante devant la Cour seulement s'il s'agit d'une « organisation non gouvernementale » (première condition) « dotée du statut d'observateur auprès de la Commission africaine » (seconde condition). Le filtre de l'article 34, 6) du Protocole s'applique à nouveau dans cette hypothèse. Ainsi, seules les organisations non gouvernementales peuvent saisir la Cour pour le compte de l'individu. Cette dernière n'a été confrontée qu'indirectement à la question des requêtes présentées par des personnes morales autres que des ONG. Dans l'affaire Delta International Investments S.A. et A.G.L. de Lange c. Afrique du Sud, elle avait été saisie par une entreprise, personne morale de droit privé, ainsi que par des individus personnes physiques. Elle ne s'est toutefois pas prononcée sur les conséquences de cette saisine, la requête ayant été rejetée par une décision d'incompétence constatant l'absence de déclaration de l'Etat défendeur au titre de l'article 34, 6) du Protocole138(*). L'accès des ONG est en outre subordonné à la possession de la qualité d'observateur auprès de la Commission. Ce statut peut être obtenu par toute ONG oeuvrant dans le domaine des droits humains conformément aux principes fondamentaux et aux objectifs énoncés dans l'Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte africaine139(*). L'octroi de ce statut n'est pas sans susciter de réticence de la part de certains Etats qui jugent la Commission trop encline à l'accorder à des organisations dont l'objet statutaire serait contraire aux « valeurs africaines »140(*). Il s'agit sans doute d'un futur cheval de bataille des ONG. En réalité, la refonte institutionnelle de la Cour entraînera une évolution du régime juridique applicable. La juridiction pourra ainsi être saisie par « les personnes physiques et les organisations non-gouvernementales accréditées auprès de l'Union ou de ses organes (...) »141(*), ce qui laisse entendre que la Commission ne pourrait plus être la seule autorité pouvant octroyer le statut d'observateur. Il est à noter que le nouveau protocole accordera également le droit aux institutions nationales des droits de l'homme de saisir la future Cour. Ces institutions se distinguent des ONG par leur caractère gouvernemental. Il s'agit d'organes statutaires établis par les gouvernements et qui ont la responsabilité de promouvoir et protéger les droits de l'homme dans leurs Etats respectifs142(*). L'accès de l'individu au prétoire ne se réduit pas à la seule compétence du juge continental ou communautaire. Il est également conditionné par les nombreuses conditions de recevabilité de la requête. Les deux juridictions sous étude, et au-delà, les interprètent toutefois de façon à garantir l'accès le plus large des individus à leurs prétoires. * 133 MALILA (M.), « Daunting Prospects : Accessing the African Court Through the African Commission », Human Rights Law Journal, vol. 31, 2011, pp. 61-72. * 134 Art. 118, 4) du Règlement intérieur intérimaire de la Commission. Par ailleurs, sans même être saisie par une communication, la Commission pourra décider de transmettre à la Cour des cas de violations graves et massives des droits de l'homme, dont elle aura eu connaissance via des informations recueillies auprès des ONG, des individus ou des instances internationales. Voir, en dernier lieu, Cour ADHP, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye, requête n° 002/2013, arrêt au fond du 3 juin 2016. * 135 Règlement intérieur intérimaire de la Commission, art. 118, 2). * 136Idem, art. 118, 1). * 137Sur ce point, voir PALCHETTI (P.), « Can State Action on Behalf of Victims Be an Alternative to Individual Access to Justice in Case of Grave Breaches of Human Rights ? », Italian Yearbook of International Law, 2014, vol. 24, pp. 53-62. * 138 Cour ADHP, Delta International Investments S.A. et A.G.L. de Lange c. Afrique du Sud, requête n° 002/2012, décision non datée. * 139 Quatre-cent-soixante-dix-sept ONG disposent de cette qualité au 31 août 2016 : 20 % (96) d'entre elles sont basées hors d'Afrique, l'immense majorité restante (381) ayant leur siège directement sur le continent. Hors d'Afrique, le classement est nettement dominé par les Etats européens qui comptent soixante-treize (73) ONG disposant du statut d'observateur auprès de la Commission africaine. Les plus gros contributeurs européens sont la France (12), le Royaume-Uni (19) et la Suisse (17). Le reste des ONG est enregistré en Amérique et se répartissent entre les Etats-Unis (17), le Canada (5) et le Brésil (1). La liste complète est accessible sur la page dédiée du site de la Commission africaine : http://www.achpr.org/fr/network/ngo/ (consulté le 31 août 2016). * 140En effet, l'affaire fait suite à la demande, en 2015, du Conseil exécutif de l'Union africaine à la Commission de prendre en compte les valeurs, l'identité fondamentale et les bonnes traditions de l'Afrique lorsqu'elle accorde le statut d'observateur, et de retirer celui-ci aux ONG qui agiraient en sens contraire. Le Conseil exécutif a ainsi demandé à la Commission de retirer le statut d'observateur accordé à la Coalition des lesbiennes africaines qui a par la suite saisi la Cour d'une demande d'avis consultatif. Confer Cour ADHP, Demande d'avis consultatif n°002/2015, Centre des Droits de l'Homme de l'Université de Pretoria (CHR) & la Coalition des Lesbiennes africaines (CAL). * 141 Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme, art. 30 (« Autres entités admises à ester devant la Cour »). * 142 Voir par exemple, la Commission nationale des droits humains du Burkina Faso. La Commission africaine promeut l'association étroite de ces institutions à ses activités, en exprimant régulièrement le souhait qu'elles se conforment aux Principes des Nations Unies relatifs au statut et au fonctionnement des Institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l'homme (Principes de Paris). |
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