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L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.


par Gildas Hermann KPOSSOU
Université d'Abomey-Calavi (UAC)  - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales  2015
  

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B. Une aubaine pour le justiciable

Comme l'exprimait si bien Aristote, « ce sont toujours les plus faibles qui aspirent au droit et à l'égalité, les plus forts ne s'en soucient pas ». Si la victime, à cause de sa situation précaire ne parvient pas à saisir un juge, cela fait une injustice de plus mise sur son dos. On peut dire que cette possibilité offerte par la CEDEAO constitue indubitablement une aubaine pour le justiciable ouest africain, si on sait qu'en Afrique la plupart des populations vivent sous le seuil de la pauvreté. Selon Delphine d'ALLIVY KELLY, avec le caractère forain de la Cour, la CEDEAO a levé le voile pour permettre une « accessibilité pratique et économique »71(*). A cet effet, on est amené à dire qu'avec ce système d'assistance juridictionnelle, l'indigence n'est plus un handicap pour accéder à la justice communautaire.

A la lumière des arrêts rendus jusque-là par la CJ CEDEAO, on constate que les ressortissants nigérians sont les principaux requérants72(*). Cela s'explique, pas parce que le Nigeria est le mauvais élève de la CEDEAO en matière de protection des droits de l'homme mais simplement par le fait que le siège de la Cour se trouve à Abuja. La proximité avec la justice permet ainsi d'accéder plus facilement au prétoire du juge. L'obstacle financier, pour ceux qui se trouvent hors de son siège (Abuja) est ainsi endigué par cette mobilité de la Cour de justice communautaire.

Dans l'ensemble du système africain de protection des droits de l'homme73(*), il faut reconnaître que l'existence de la CJ CEDEAO est un véritable havre pour les citoyens ouest africains, victimes de violations de droits humains. Entre la juridiction communautaire et la Cour africaine, on est persuadé que le citoyen ouest africain choisira sans anicroche la première74(*). Sans pour autant être un pourfendeur aux idées nihilistes du système africain de protection des droits de l'homme, on peut relever certaines faiblesses institutionnelles qui semblent annihiler l'efficacité du contrôle juridictionnel continental. En effet, la Commission peine encore à imposer la protection des droits promus et protégés par la Charte africaine au sein des Etats75(*). La procédure des communications est emblématique du mandat de protection de la Commission. C'est par ce biais quasi-judiciaire que celle-ci est censée concrètement faire respecter les droits de la Charte par les Etats parties. Mais cette procédure est longue et les décisions prises au titre des communications sont trop souvent inappliquées par les acteurs étatiques76(*).

Toutes ces lacunes non exhaustives semblent à nos yeux justifier la mise en place d'un organe judicaire qui complétera le travail de la Commission. Là encore, s'il est vrai qu'avec la mise en place de la Cour ADHP77(*), l'Afrique peut « s'enorgueillir d'une véritable juridiction à l'échelle régionale en matière de protection des droits et libertés »78(*), il n'en demeure pas moins qu'elle prête elle aussi le flanc à la critique. Il serait illusoire dans la quête permanente d'une protection effective des droits de l'homme de prévoir un système de déclaration facultative unilatérale de la part des Etats qui acceptent la compétence de la Cour pour examiner les requêtes individuelles79(*). Le mimétisme hérité du modèle de la Convention européenne de 1950 abandonné en 1998 peut-il faire long feu en Afrique ? Il semble perceptible que ce système juridictionnel d'importation ne peut pas prospérer en l'état dans la réalité africaine actuelle80(*). Il faut souligner que depuis l'entrée en vigueur du Protocole établissant la Cour ADHP, seuls 26 Etats sur 54 membres de l'UA l'ont ratifié et parmi eux, seulement cinq Etats ont accepté la déclaration autorisant les individus et les ONG à saisir la Cour ADHP81(*).

Une justice encline à condamner les violations des droits de l'homme doit être généreuse sur le plan principiel avec les justiciables. Faute de quoi, elle reste à l'état virtuel. La CEDEAO déroge fondamentalement aux mécanismes de protection des droits de l'homme prévus à l'échelle continentale. Sur le plan principiel, elle est généreuse avec les justiciables. Ce qui n'est pas le cas devant le juge continental où, l'accès au prétoire est relativement étendu.

* 71D'ALLIVY KELLY (D.), « Le juge africain est entré dans l'Histoire » (Commentaire de l'arrêt du 27 octobre 2008, Hadijatou Mani Koraou c/ Niger de la Cour de justice de la CEDEAO), disponible sur combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr (consulté le 20 janvier 2019).

* 72Voir Recueil de jurisprudence de la CJ CEDEAO.

* 73 Voir SOSSA (D.), « Systèmes régionaux africains de protection des droits humains » In Recueil des cours : Onzième session régionale de formation en droits humains et droits des refugiés, Cotonou, Bénin, Atlantique Beach Hôtel, 19-30 juillet 2010, pp. 206-222.

* 74 Dans l'affaire Chief Ebrimah Manneh c/République de Gambie du 5 juin 2008, on peut lire par exemple qu'un des témoins avait conseillé au requérant de saisir la CJ CEDEAO au détriment des autres juridictions.

* 75Voir à ce propos YERIMA (S.S.Z.), « La Cour et la Commission africaines des droits de l'homme et des peuples: noces constructives ou cohabitation ombrageuse? », Annuaire Africain des Droits de l'Homme, 2017, pp.357-385.

* 76Par exemple, la décision Diakité c/ Gabon a été rendue en 2000 alors que l'affaire avait été portée devant la Commission en 1990, soit dix ans après sa saisine.

* 77 Les Etats africains soucieux d'améliorer le système régional de protection des droits de l'homme ont signé le 9 juin 1998 le protocole de Ouagadougou créant la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples qui va entrer en vigueur le 25 janvier 2004. Cette cour est opérationnelle depuis 2009.

* 78 FALL (A. B.), « La charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Pouvoirs, n°129, 2009, p. 77.

* 79 Aux termes des dispositions de l'article 5 § 3 du Protocole, « ont qualité pour saisir la Cour : a) la Commission ;b) l'Etat partie qui a saisi la Commission ; c) L'Etat partie contre lequel une plainte a été introduite devant la Commission ; d) l'Etat partie dont le ressortissant est victime d'une violation des droits de l'homme, e) les organisations intergouvernementales africaines ».

* 80Faut-il le rappeler, la France avait attendu 1981 pour faire une telle déclaration alors que la convention existait depuis 1950, soit plus de trente ans après l'adoption du Traité de l'UE. Les Etats africains sont encore très jaloux de leur souveraineté pour permettre à leurs citoyens d'accéder au prétoire de la juridiction continentale. En introduisant la procédure de déclaration supplémentaire de compétence concernant les requêtes individuelles, le Protocole semble donc opérer un recul dans la pratique du système actuel de protection des droits de l'homme.

* 81 Selon le professeur Babacar Kanté, même « la décision prise par les Chefs d'Etat ou de gouvernement de fusionner la Cour africaine des droits de l'homme et la Cour de justice de l'Union Africaine n'est pas nécessairement de nature à garantir une protection plus efficace des droits fondamentaux. Voir KANTE (B.), « la production d'un nouveau constitutionnalisme en Afrique : Internationalisation et régionalisation du droit constitutionnel » in Land, Law and Politics in Africa, Mediating Conflict and Reshapping the State, Leiden-Boston, 2011, pp.240-257.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard