L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
CONCLUSION PARTIELLEIl n'existe plus de doute sur le rôle joué par la Cour de justice de la CEDEAO dans la protection des droits de l'homme. Même si elle n'est pas une juridiction spécialisée en la matière à l'instar de la CEDH, la CIADH ou la Cour ADHP, elle baigne néanmoins dans une plénitude démocratique apparente. Suivant le cadre normatif et institutionnel dans lequel s'adosse son action, la protection des droits de l'homme se trouve ainsi garantie. On peut ainsi s'accorder avec Franca OFOR pour « dire sans possibilité de contradiction qu'il y a des mesures adéquates provisoires dans le cadre de la CEDEAO pour la protection des droits de l'homme dans la sous-région »383(*). La présence de la Cour de justice de la CEDEAO à côté de la Cour africaine doit être conçue plus comme un apport de taille seulement si la Cour africaine qui a plus de notoriété sur le plan continental continue à prendre le devant en développant un dialogue permanent avec la Cour sous-régionale. Ainsi, une coexistence matérielle est indiquée pour préserver des désarrois aux justiciables et aux juges internes qui ne sauront plus, en cas de concurrence matérielle, à quelle législation se confier. CONCLUSION GÉNÉRALELe but de tout système de protection des droits de la personne est la sauvegarde des droits des personnes qui se trouvent sous sa juridiction384(*). La mobilisation des ressources humaines et matérielles afin de faciliter l'accès des individus aux instances régionale et sous-régionale est louable, car la voie juridictionnelle reste la forme la plus aboutie de sauvegarde des droits fondamentaux385(*). Il est donc important de renforcer le droit de recours individuel devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Le système européen actuel est certainement un modèle à suivre. La réforme du système interaméricain qui a consacré le droit pour les individus de présenter à la CIADH, de manière autonome, toutes leurs « sollicitudes » et tous leurs moyens de preuve s'inscrit, elle aussi, dans un mouvement mondial en faveur de la reconnaissance de l'individu comme sujet de droit international. Par ailleurs, un mouvement mondial se dessine en faveur de la reconnaissance de l'individu comme sujet de droit international. Cette reconnaissance est bien établie dans le droit international économique où les États et les particuliers sont placés sur un mêmepied d'égalité. Cette reconnaissance n'a pas encore trouvé son chemin en matière de protection internationale des droits de la personne. Pourtant, les systèmes régionaux de protection des droits de l'homme se dirigent lentement mais sûrement vers la reconnaissance de l'individu comme sujet de droit international. Le système régional africain de protection des droits de la personne est un système jeune et ambitieux. La création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples constitue en fait un grand pas en matière de protection des droits fondamentaux en Afrique. Les États membres de l'UA ont pris la décision d'élargir les compétences de la jeune Cour : d'abord en la fusionnant avec la Cour de la justice et ensuite en dotant cette nouvelle Cour d'une section criminelle. La ratification des Protocoles de Sharm El-Sheikh et de Malabo et l'adoption de la déclaration facultative de compétence prévue à l'article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou qui permet l'accès direct des individus à la Cour africaine, constitueront certainement un signe de bonne volonté de la part des dirigeants africains. Au niveau communautaire également, il est significatif de remarquer que la CEDEAO est entrée dans une phase de maturité. Elle arbore un visage ouvert. Au frontispice de nouveaux objectifs dont elle entend jouer pleinement un rôle crucial figure en bonne place la protection des droits de l'homme. Ce projet ambitieux a été concrétisé par l'adoption du protocole du 19 janvier 2005 qui a élargi les chefs de compétence de la Cour d'Abuja aux cas de violation des droits humains. La métamorphose de la CJ CEDEAO, devenue au fil du temps une Cour qui protège les droits individuels sans être une juridiction spécialisée en la matière à l'instar de la Cour africaine ou encore européenne constitue une véritable aubaine pour les citoyens de l'Afrique de l'ouest en particulier. Une étude comparée de la procédure contentieuse devant les deux juridictions nous a permis de voir l'originalité de la protection des droits de l'homme par la Cour d'Abuja qui se distingue de son aînée continentale par la facilité de sa saisine. Cette originalité est révélatrice de l'efficacité de la protection des droits de l'homme. Sur le plan institutionnel, il s'agit d'une véritable avancée dans la protection des droits de l'homme. L'introduction du contentieux des droits de l'homme, bastion très sensible dans le chef de compétence de la juridiction communautaire vient ainsi parachever le processus d'intégration ouest africaine. Mais la grande réforme mise en oeuvre par la CEDEAO est certainement la possibilité accordée aux personnes physiques d'accéder au prétoire du juge de la CEDEAO sans épuiser les voies de recours internes pour des cas relevant des droits humains. Ce qui sans nul doute explique la croissance exponentielle des requêtes individuelles à son prétoire386(*), au détriment de la Cour ADHP qui tient pour principe fondamentale cette obligation. Le poids de la Cour de justice dans l'architecture institutionnelle et le rôle qu'elle doit jouer dans l'atteinte des objectifs de la Communauté sont donc considérables. En effet, si la violation des normes adoptées doit rester sans sanction, on peut affirmer sans se tromper qu'il n'y aura point d'intégration effective. Cependant pour louable qu'elle soit, on doit relativiser sans dévaloriser l'oeuvre accomplie. En effet, cette garantie juridictionnelle des droits de l'homme n'est pas encore tout à fait effective. Schématiquement il existe des raisons qui obèrent l'efficience de la protection des droits de l'homme assurée par les deux juridictions. Alors que la Cour ADHP est entravée par l'inexistence d'un droit de saisine direct, la CJ CEDEAO est, quant à elle, confrontée à un usage exacerbé de ce droit. Pour la première, le manque de volonté politique des États pour reconnaître la compétence juridictionnelle de la Cour et l'obligation faite aux requérants individuels d'épuiser les voies de recours internes sont autant de limites à l'action individuelle. Pour la seconde par contre, c'est d'abord les facteurs endogènes (surabondance des textes de référence, modicité des moyens d'exécution, absence d'un organe de filtrage des requêtes, etc.) qui ont pour conséquence d'affaiblir le contrôle juridictionnel des droits de l'homme. Ensuite, il existe des facteurs exogènes qui consistent principalement en la faible intériorisation de la contrainte juridique et procédurale par les Etats malgré le fait qu'ils soient placés sous l'empire du droit. En effet, le comportement des justiciables étatiques est de nature à obérer l'action de la Cour. Le plus souvent, ils refusent manifestement de se plier à l'autorité de la Cour et à honorer leurs engagements relativement à l'exécution de ses arrêts. La volonté des Etats tient parfois les décisions aussi bien du juge continental quedu juge communautaire. Afin de dissiper les incohérences et corriger ainsi les insuffisances d'ordre factuel relevées, il s'avère nécessaire d'optimiser la protection juridictionnelle des droits de l'homme assurée par les juridictions africaines sous étude afin de relever les défis aussi bien au plan juridique que sur le plan opérationnel. Le premier défi d'ordre juridico-institutionnel relativement à la Cour communautaire consistera à mettre en oeuvre un catalogue ouest africain des droits de l'homme. Cette Charte des droits de l'homme aura comme effet, à notre avis, de promouvoir davantage un droit communautaire de la CEDEAO. Elle permettra ainsi de définir un standard de droits dont la Cour doit en assurer la garantie. Ce qui évitera les recours abusifs ou relatifs à des affaires futiles. Il faut rappeler que la Cour de justice travaille avec une panoplie d'instruments juridiques relatifs à la protection des droits de l'homme faute d'un texte spécifique en la matière propre à la Communauté. Or, cette mosaïque de textes est de nature à obérer la protection des droits de l'homme car la généralité est porteuse de confusions387(*). Aussi, dans le but de favoriser une protection optimale des droits de l'homme, la Cour communautaire doit-elle être dotée d'une chambre chargée du filtrage des requêtes individuelles. La notion de délai raisonnable aura alors recouvert tout son sens. En effet, depuis l'ouverture de son prétoire aux particuliers, la Cour de justice est submergée de requêtes dont certaines sont imprécises, fantaisistes et dénuées de tout fondement relatif à une violation des droits humains. Victime de son propre succès, la Cour risque d'en pâtir. C'est ce qui semble justifier la prudence du juge d'Arusha dont la saisine est jonchée de critères. Son défi institutionnel majeur est celui de sa fusion avec la Cour africaine de justice et des droits de l'homme. Le second défi d'ordre opérationnel, commun aux deux juridictions étudiées est relatif au comportement des Etats. Il est admis en effet pour importantes que puissent être les innovations induites par les réformes, qu'aucune politique de promotion et de protection des droits de l'homme n'est efficiente si les Etats ne font pas montre d'une réelle volonté politique. Nonobstant le rôle crucial joué par les organes judicaires, la protection effective des droits de l'homme commence et prend fin au plan national. Ainsi, en tant que source du mal, ils en constituent également le remède. Les Etats doivent donc exécuter de bonne foi les décisions de justice et ne doivent entraver de quelque manière que ce soit l'action des organes judiciaires. La Cour ADHP et la Cour de justice de la CEDEAO doivent également gagner la bataille de la visibilité car elles ne sont pas bien connues. Ce qui discrédite également les efforts entrepris pour une protection efficace des droits de l'homme. Au demeurant, la restriction de l'accès direct des individus à la Cour africaine demeure un aspect fondamental de ses faiblesses388(*). Tel que le soutient Mamadou Falilou DIOP : « les restrictions relatives à l'accès direct des individus au prétoire de la Cour ne se justifient pas. De plus, elles ne sauraient avoir comme explication que la volonté manifeste des États de ne pas répondre des violations graves des droits de l'homme dont ils sont souvent accusés »389(*). Ainsi, comme l'affirmait si bien René CASSIN, « il faut protéger tout l'homme et protéger les droits de tous les hommes »390(*). In fine, l'on retient que les juridictions africaines se sont, on peut le penser, inscrites dans une croisade pour la protection effective des droits de l'homme. Elles cherchent, à travers une ambition renouvelée, à atteindre cet idéal tant souhaité. * 383 OFOR (F.), « Protection juridique des droits de l'homme dans le cadre de la CEDEAO: les possibilités offertes par le juge communautaire ». Lors d'un atelier de formation sur le renforcement de la promotion et de la protection des droits de l'homme en Afrique de l'Ouest par la Cour Communautaire de la CEDEAO, BAMAKO, MALI 7-9 décembre 2006. * 384HEYNS (Ch.), « The African regional human rights system: in need of reform? », Afr. Hum. Rights Law J. 2001, p. 156. On peut comparer l'article 7 de la Charte africaine avec les articles 7 et 13 de la Convention européenne et les articles XXV et XXVI de la Déclaration américaine et les articles 8, 9, 24 et 25 de la Convention américaine. * 385 CANÇADO TRINDADE (A. A.), « Vers la Consolidation de la capacité juridique internationale des pétitionnaires dans le système Interaméricain de protection des droits de la personne », Revue Québécoisede Droit International, 2001, p. 227. * 386 En effet depuis 2005 l'activité de la Cour d'Abuja en la matière est au zénith. * 387 Cette situation nous paraît non seulement abusive en soi mais également dangereuse pour les droits protégés en raison du double risque de banalisation trop importante de ces droits garantis (les droits de l'homme seraient dilués dans un ensemble flou) et de la dénaturation du mécanisme de protection. * 388 MUBIALA (M.), « L'accès de l'individu à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », in KOHEN (M. G.) (éd.), La promotion de la justice, des droits de l'homme et du règlement des conflits par le droit international, 2006, p. 369. * 389 DIOP (M. F.), « Plaidoyer pour l'accès direct des individus à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et à la future Cour africaine de justice, des droits de l'homme et des peuples », RDP, 2016, p.653. * 390 CASSIN (R.), « La déclaration universelle des droits de l'homme et la mise en oeuvre des droits de l'homme », Recueil des Cours de l'Académie de la Haye, 1951, pp. 240-362. |
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