L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. Vers une Cour Africaine de Justice et des Droits de l'HommeEn Afrique, la protection juridictionnelle des droits de l'homme a suscité d'innombrables revirements de positions, du rejet à l'acceptation, de la construction à la destruction, pour en permettre la transformation379(*). Elle semble récemment s'être stabilisée dans la figure de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme, fusionnant les deux organes judiciaires régionaux actuels. Bien que son unicité aille à l'encontre de la prolifération des juridictions internationales, l'étendue de ses compétences ravive le débat concernant les risques de fragmentation du droit. Depuis quelques années, la place de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples fait l'objet de vifs débats scientifiques et politiques. En effet, l'Assemblée des chefs d'Etats de gouvernements de l'Union africaine, lors de sa session ordinaire de juillet 2004 à Addis-Abeba décida que : « la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et la Cour de justice seront fusionnées en une seule Cour ». Cette décision de l'Assemblée déboucha sur l'élaboration d'un projet de protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme. Depuis, le processus de fusion est largement avancé et sa cristallisation se manifestera avec l'adoption définitive du Projet de protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme. Toutefois, l'intérêt scientifique de cette réflexion ne réside pas dans le cadre du processus évolutif et formatif de l'institutionnalisation de la fusion, mais plutôt dans celui de l'opportunité de fusionner la Cour de justice de l'Union africaine avec la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. L'établissement de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples représente une avancée certaine vers une garantie efficace des droits et libertés des individus. Cependant, l'article 34 (6) du Protocole relatif à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples qui rend impossible la saisine de la Cour par les individus ou par les ONG sauf si l'Etat en cause a fait la fameuse déclaration, représente un véritable mécanisme de freinage partant des espoirs suscités par cette Cour. Or dans le cadre de la fusion, le Projet de protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme en son article 31 n'émet aucune réserve quant à la possibilité de saisine de la Cour par les individus ou les ONG, à l'instar du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 11 mai 1994. Toutefois, lors de la signature du Protocole, il est possible que les Etats puissent émettre des réserves, mais cet aspect est encore en négociation. Néanmoins, le texte initial ne comporte aucune exclusion. La fusion permet aussi une introduction dans l'ordonnancement institutionnel de l'Acte Constitutif de l'Union une section des droits de l'homme. Si le Protocole créant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ne donne aucune force obligatoire aux arrêts de la Cour, le Projet de protocole de la Cour née de la fusion, prévoit la possibilité pour la Conférence de sanctionner l'inexécution d'un arrêt de la Cour en vertu de son article 47380(*). La fusion permet donc d'étendre le régime juridique des sanctions aux arrêts relatifs aux droits de l'homme. En outre, certains auteurs381(*) estiment que l'argument de rationalisation des moyens et d'optimisation des coûts qui avait été retenu comme pilier pour la fusion des deux cours, masque en réalité une volonté d'ensevelissement de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. La qualification des juges pourrait ne pas avoir un lien avec les droits de l'homme, on assisterait par conséquent à une régression de la jurisprudence courageusement développée par la Commission africaine ces quinze dernières années. La Cour africaine de Justice et des droits de l'homme, créée en 2008, n'est pas encore officiellement instituée, le Protocole qui en prévoit la mise en place n'étant pas entré en vigueur. Mais avant, son originalité se remarque dans la très large compétence ratione materiae qui lui a été attribuée. On se demande d'ailleurs si elle est totalement viable tant les voies de recours ouvertes devant la Cour sont de nature très différente. Bien entendu « l'avènement d'une nouvelle juridiction ne pourra manquer de conforter les contempteurs de la fragmentation du droit international dans leurs critiques d'une trop grande anarchie dans les modes de règlement des différends internationaux »382(*). A sa manière, la Cour africaine de Justice et des droits de l'homme réduit pourtant en partie cette fragmentation puisqu'elle est le résultat de la fusion de deux autres juridictions qui ont vocation, de ce fait, à disparaître. Mais il faut concéder que sa large compétence ratione materiae lui donne le pouvoir d'empiéter sur le champ de compétence de bien d'autres juridictions ou mécanismes quasi-juridictionnels, à commencer par la Cour Internationale de Justice, suivie de la Cour de justice de la CEDEAO, avec lesquelles elle se trouvera directement en concurrence. Tantôt classique et conservatrice, tantôt insolite et progressiste, la nouvelle Cour de justice et des droits de l'homme devra canaliser et réconcilier les dynamiques qui la sous-tendent pour s'installer en gardienne vigilante et efficace d'un ordre juridique aux ambitions communautaire et internationale, régionale et universelle, générale et spéciale. * 379 BARSAC (T.), La cour africaine de justice et des droits de l'homme : entre régionalisation et universalisation du mode judiciaire de règlement des différends au sein de l'Union africaine, Paris, Pedone, p. 10. * 380Aux termes des dispositions de cet article : « En cas de contestation du sens ou de la portée d'un arrêt, il appartient à la Cour de l'interpréter, à la demande de toute partie ». * 381 BOUKONGOU (J. D.), « Le système africain de protection des droits de l'homme », inProtection des droits de l'homme en Afrique, Yaoundé, PUCAC, 2007, p. 114. * 382 Avant-propos de Mathias FORTEAU, in BARSAC (T.), La cour africaine de justice et des droits de l'homme : entre régionalisation et universalisation du mode judiciaire de règlement des différends au sein de l'Union africaine, op. cit., p. 6. |
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