L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
Paragraphe 2 : Un aménagement du prétoire de la Cour ADHPLe rapprochement du juge régional des justiciables (A) est un impératif pour rendre effective la protection juridictionnelle des droits de l'homme. Mais à l'analyse, la Cour ADHP, à la différence de la CJ CEDEAO, s'est avérée une juridiction éloignée et inadaptée au système africain de protection des droits de l'homme : d'où la nécessité de mettre en place une Cour africaine de justice et des droits de l'homme (B). A. Le nécessaire rapprochement du juge continental des justiciablesLe rapprochement du juge des justiciables semble une approche favorable à la protection de l'individu. Elle procède de l'assistance juridique apportée aux requérants et susceptible de faciliter leurs actions devant le juge continental. En effet, l'article 10, paragraphe 2, du Protocole est la base juridique principale de l'aide publique aux requérants et prévoit qu'une représentation ou une assistance judiciaire peut être gratuitement assurée dans les cas où l'intérêt de la justice l'exige370(*). L'article 31 du Règlement intérieur reprend à son compte cet article en y apportant une limitation selon laquelle l'aide ne peut être accordée que dans « les limites des ressources financières disponibles » et une extension suivant laquelle l'aide peut viser une représentation et/ou une assistance judiciaire gratuite, là où le Protocole ne permet qu'une option entre les deux371(*). Au début, la mise en oeuvre de ce mécanisme d'assistance juridique pour rapprocher davantage le justiciable de la justice continentale fut contrastée. Bien qu'opérationnelle depuis l'entrée en vigueur de son Règlement intérieur le 20 juin 2008, la Cour rejeta les premières demandes au motif qu'elle « (...) n'était pas en mesure de fournir l'assistance judiciaire demandée en raison du fait qu'elle ne disposait pas d'une politique d'assistance juridique »372(*). Ce fut chose faite suite à l'adoption de ce document lors de l'exercice 2013-2014373(*). Ratione personae, seuls les individus ou groupes d'individus sont éligibles, à l'exclusion de l'ensemble des autres requérants, ONG disposant du statut d'observateur comprises. L'aide pourra être accordée au titre de l'indigence du requérant374(*), pour la sauvegarde du principe de l'égalité des armes ou dans l'intérêt de la justice. Ratione materiae, l'aide pourra couvrir les frais de voyage, de représentation juridique, les frais liés aux témoins, notamment les témoins experts ainsi que les indemnités journalières de subsistance. Ratione temporis, l'aide pourra être demandée et accordée à tout moment de la procédure, même s'il apparaît judicieux d'en faire la demande dès le dépôt de la requête. La pratique de la Cour démontre pour le moment une certaine préférence pour l'aide à la représentation plutôt que pour l'assistance financière375(*). Travaillant en étroite collaboration avec l'Union panafricaine des avocats, la juridiction a eu l'occasion de permettre à plusieurs requérants d'être représentés376(*) et d'obtenir des facilités auprès de l'Etat défendeur lorsque cela était nécessaire377(*). L'efficacité du programme dépendra à l'évidence de la pérennité de son financement. Lors des négociations du Protocole, la Namibie avait ainsi souligné qu' « il est indispensable que le Protocole précise qui fournira (paiera) la représentation ou l'assistance juridique gratuite »378(*). Faute d'accord, le texte final ne prévoit pas de telle précision. La Politique d'assistance judiciaire indique quant à elle que le programme est financé par les contributions statutaires et volontaires des États membres ainsi que par les partenaires à la coopération. Ces hypothèses obèrent l'efficacité de la Cour africaine dans sa mission de protection des droits humains. C'est d'ailleurs ce qui a été à l'origine de la grande réforme annoncée pour la création d'une Cour africaine de justice et des droits de l'homme. * 370 Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, préc., art. 10, para. 2. Le projet de fusion des cours n'affectera pas l'assistance qui sera maintenue dans son principe ; voir Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme, art. 52, para. 2 : « Dans les cas où l'intérêt de la justice l'exige, une assistance judiciaire gratuite peut être assurée à l'auteur d'une communication individuelle, selon des conditions qui seront déterminées dans le Règlement de la Cour ». * 371 Règlement intérieur, art. 31 : « En application de l'article 10(2) du Protocole, la Cour peut, dans l'inteìre^t de la justice, et dans les limites des ressources financières disponibles, décider de l'octroi à une partie d'une représentation et/ou d'une assistance judiciaire gratuite ». * 372 Rejet d'une demande d'assistance judiciaire en vue de faciliter le voyage d'un requérant et de ses deux conseils pour assister à l'audience publique : Cour AFDHP, Tanganyika Law Society, The Legal and Human Rights Centre, Révérend Christopher R. Mtikila c. République de Tanzanie, requêtes n° 009/2011 et n° 011/2011, arrêt au fond du 14 juin 2013, § 45 ; même solution in Cour AFDHP, Frank David Omary et autres c. Tanzanie, requête n° 001/2012, arrêt du 28 mars 2014, § 25. * 373 Cour ADHP, « Projet de politique d'assistance judiciaire de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », 2013-2014 (reconduite jusqu'en 2015), http://tinyurl.com/jb8j3ql (consulté le 10 mars 2019). * 374 Cette indigence doit notamment être constatée d'office par la Cour ou après examen des pièces demandées. * 375 Deux demandes ont ainsi été traitées par la Cour : l'une favorablement (octroi d'une aide, une assistance financière à un requérant pour se rendre à Maurice où elle tenait sa session : Cour ADHP, Urban Mkandawire c. République du Malawi, requête no 003/2011, arrêt du 21 juin 2013, § 13) ; l'autre négativement (rejet non motivé de la demande d'un requérant de préparer ses conclusions sur les mesures demandées : Cour ADHP, Révérend Christopher R. Mtikila c. République de Tanzanie, requête n° 011/2011 et n° 011/2011, arrêt portant sur la réparation du 14 juin 2013, § 9). * 376 Cour ADHP, Mohamed Abubakari c. Tanzanie, requête n° 007/2013, arrêt au fond du 3 juin 2016, § 10 ; Peter Joseph Chacha c. Tanzanie, requête 003/2012, arrêt du 28 mars 2014, § 15 ; Wilfred Onyango et al. c. Tanzanie, requête n° 006/2013, arrêt au fond du 18 mars 2016, §§ 34-35. * 377 V., par exemple, Cour ADHP, Peter Joseph Chacha c. Tanzanie, préc., § 26 : la Cour demande à l'Etat défendeur de donner des instructions au responsable de la prison d'Arusha pour faciliter les réunions de consultation avec l'Union panafricaine des avocats. * 378 OUA, « Commentaires et observations des Etats membres sur le projet de Protocole portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », doc. OAU/LEG/EXP/ ACHPR/Comm. (3), annexe I, décembre 1997, p. 3. |
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