L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. L'élargissement de la compétence du juge aux crimes internationauxFace au manque de volonté et de capacité de certains tribunaux nationaux pour juger les auteurs des crimes les plus graves, des instances judiciaires extra nationales et internationales ont exprimé leur compétence pour lutter contre leur impunité et rendre justice aux victimes. Par exemple, la Cour pénale internationale a engagé des poursuites contre des ressortissants congolais, ougandais et soudanais. Un tribunal spécial composé de juges locaux et internationaux a été mis en place pour juger des criminels de guerre sierra léonais et libériens. Des tribunaux nationaux (africains, européens et américains) ont également engagé des poursuites contre des tortionnaires mauritaniens et tunisiens, des génocidaires rwandais, des criminels congolais et tchadien, selon le principe de la compétence universelle367(*). Cette situation a amené l'Union africaine à réagir sur l'action de la justice internationale en Afrique. Ainsi, sollicité par le président Rwandais, Paul Kagame, qui contestait des procédures engagées en France contre des éléments du Front Patriotique Rwandais à propos de l'attentat de 1994 contre l'ancien président Habyarimana, l'UA a adopté en février 2009, lors de son 12ème sommet à Addis Abeba (Ethiopie), une décision relative à « l'utilisation abusive de la compétence universelle ». Dans ses recommandations, l'UA demandait à la Commission de l'UA, à la Commission africaine et à la Cour africaine d'étudier la possibilité d'élargir la compétence de la Cour africaine pour lui permettre de juger des individus ayant commis des crimes internationaux (crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide). Cette même recommandation a été renouvelée par l'UA lors de son sommet de juillet 2009 à Sirte (Libye), à l'occasion d'une décision relative à la réunion des Etats africains parties à la CPI, en réaction à l'émission par la CPI du mandat d'arrêt contre le président Soudanais Omar El-Béchir. En effet, le 14 juillet 2008, le procureur de la CPI avait requis la délivrance d'un mandat d'arrêt contre Omar El-Béchir. Après cette requête, les responsables du gouvernement soudanais avaient implicitement mais aussi explicitement menacé de représailles les forces internationales pour le maintien de la paix ainsi que les travailleurs humanitaires. Le 25 juillet, Bona Malwal, conseiller du président soudanais, a déclaré au sujet des forces du maintien de la paix : « Le monde doit savoir que suite à la mise en accusation de notre président, nous ne pouvons plus être responsables de la sécurité des forces étrangères au Darfour »368(*). Le président El-Béchir a également menacé d'expulser les forces internationales pour le maintien de la paix si un mandat était délivré. Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l'ONU, ses États membres, le Secrétariat Général de l'ONU, l'Union Européenne et l'Union Africaine ont eu à jouer un rôle crucial pour répondre rapidement aux éventuelles représailles gouvernementales au Darfour suite à la délivrance du mandat d'arrêt. Ainsi, une résolution du Conseil de sécurité oblige le gouvernement du Soudan à faciliter le déploiement de la Mission des Nations Unies et de l'Union Africaine au Darfour (MINUAD) et à coopérer avec la CPI. Conformément au droit international, le Soudan a l'obligation de protéger ses civils et d'autoriser un accès complet, sans danger et sans encombre au personnel venant en aide à ceux qui en ont besoin. Le mandat d'arrêt ne modifie ni ces obligations, ni les engagements de Khartoum à appliquer l'accord de paix global signé en 2005 avec le gouvernement du sud Soudan. Etant donné que la CPI est une institution judiciaire indépendante, quoique le Soudan ne soit pas partie au Traité de Rome qui a établi la CPI, il est soumis à la compétence de cette dernière par l'intermédiaire de la résolution du Conseil de sécurité. En effet, selon le statut de la CPI, la qualité officielle d'un chef de l'État en exercice n'accorde pas l'immunité face à la responsabilité pénale. Toutefois, la CPI n'a pas été en mesure de faire exécuter ce mandat jusqu'à ce que le peuple soudanais ait pris la mesure des choses pour arrêter et juger le Président El Béchir par les juridictions nationales. L'objectif avancé par l'UA à travers la recommandation d'élargir la compétence du juge d'Arusha pour connaître des crimes internationaux serait d' « africaniser » la justice internationale et ainsi d'éviter des procédures issues d'autres continents contre des ressortissants africains369(*). En outre, cette solution ne semble pas viable considérant ses implications institutionnelles et financières. A cet égard, notre avis rejoint la FIDH qui préfère encourager les pays africains à adopter dans leur droit interne des lois définissant les crimes internationaux et à réformer leur système judiciaire pour leur conférer toute leur indépendance. La FIDH rappelle que la justice internationale n'intervient qu'en cas d'absence de volonté et de capacité des juridictions nationales à lutter contre l'impunité des auteurs des crimes les plus graves. Il faudrait donc aménager le prétoire de la Cour ADHP si l'on veut que cette dernière parvienne à protéger efficacement les droits humains. * 367 La compétence universelle est un principe d'exception à la compétence territoriale classique. Elle est prévue par certaines conventions internationales qui demandent aux Etats parties d'élargir la compétence de leurs tribunaux pour juger des individus étrangers ayant commis les crimes les plus graves (torture, crime de guerre, génocide) contre des victimes étrangères. Cette exception est souvent soumise à certaines conditions, notamment la présence sur le territoire de l'auteur présumé des crimes commis. * 368 Pour ce faire, Richard Dicker, Directeur du Programme Justice Internationale au sein de Human Rights Watch avait déclaré que « Le Conseil de sécurité et les gouvernements concernés devraient imposer des sanctions ciblées contre les officiels soudanais responsables de toutes représailles violentes, et envisager de prendre d'autres mesures telles que d'imposer davantage de restrictions bancaires ou de renforcer l'embargo sur les armes ». * 369Cette vision est une conception erronée de la justice universelle basée sur des conventions internationales ratifiées par la majeure partie des Etats africains. Par ailleurs, donner à la Cour africaine la compétence pour juger des individus ne permettrait pas à cette instance de se substituer à la justice internationale. Elle deviendrait une instance supplémentaire chargée de juger la responsabilité pénale internationale des individus, avec le risque évident de la concurrence des juridictions et des jurisprudences. |
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