L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
Paragraphe 2 : Une reconnaissance de l'autorité des décisions de la CJ CEDEAOLa condition d'effectivité de la protection des droits de l'homme329(*) est non seulementliée à la force obligatoire des décisions de la juridiction communautaire (A) mais également à la mise en place d'une politique cohérente dans l'exécution des arrêts de la Cour (B). A. L'affirmation du caractère obligatoire des décisions de la juridictionC'est un pléonasme que de le dire car d'une façon tout aussi classique, un arrêt rendu par une juridiction doit s'imposer erga omnes avec la force contraignante qui sied. Cette exigence participe au premier chapitre à une protection efficace des droits visés dans les différents instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits humains. Ainsi, les décisions rendues par la Cour de justice de la CEDEAO sont obligatoires. Sur ce point on peut dire que la Cour communautaire n'a véritablement pas innové mais a rappelé des principes déjà reconnus et consacrés par les systèmes juridictionnels régionaux de protection des droits de l'homme. Mais, il faut noter qu'il n'en était pas ainsi dans l'ancien article 11 du Traité de la CEDEAO de 1975 qui ne mentionnait pas la force obligatoire des décisions de la Cour. Source de droit, la jurisprudence communautaire, sous peine d'être vidée de sa substance doit être frappée du sceau de l' « obligatoriété ». Ainsi le droit positif de la CEDEAO affirme que les arrêts de violation des droits humains sont obligatoires pour les Etats condamnés qui sont tenus de les exécuter. En effet, le protocole de 1991 relatif à la Cour en son article 19 alinéa 2 et le Traité révisé en son article 15 alinéa 4 précisent clairement la portée du caractère obligatoire des décisions de la Cour à l'égard des Etats membres, des Instituions de la Communauté et des personnes physiques et morales. Les décisions sont donc définitives et exécutoires immédiatement. Aux termes de l'article 62 du règlement intérieur de la Cour, l'arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé. En outre, on peut remarquer que l'arrêt rendu par la Cour de justice communautaire ne pourra jamais faire l'objet d'un recours devant une autre juridiction, qu'elle soit nationale ou surtout internationale. En réalité seule une révision des traités pourrait permettre de contrer la jurisprudence communautaire. Une telle possibilité est pour l'instant hypothétique. La législation communautaire stipule en son article 76.2 du Traité révisé que la décision de la Cour de justice communautaire est exécutoire et sans appel. Cette valeur définitive des décisions de la Cour a été rappelée dans l'affaire Pr Etim Moses c. République de Gambie et l'université de Gambie du 29 octobre 2007. En effet l'Etat Gambien frustré par la première décision, celle du 14 mars 2007 a adressé une lettre au Président de la Commission pour leur permettre d'interjeter appel330(*). La juridiction communautaire dans une deuxième décision avant-dire-droit rappelle « qu'en l'état actuel de ses textes de procédure, les décisions qu'elle rend ne sont pas susceptibles d'appel mais seulement de demande en révision ». Les Etats signataires du protocole élargissant les compétences de la CJ CEDEAO semblent bien comprendre cette ligne de conduite. Ainsi dans l'affaire Dame Hadijatou contre Etat du Niger, le ministre nigérien de l'Intégration africaine, Saidou Hachimou, avait affirmé que « l'Etat du Niger se soumettra à la décision de la Cour de justice de la CEDEAO en s'engageant à verser le montant prévu »331(*). Examinant aussi les décisions rendues par les juridictions nationales suprêmes relatives à des questions de droits de l'homme, les juges d'Abuja font montre d'une hardiesse et d'une témérité exemplaire. Certains observateurs avertis n'ont pas hésité à affirmer que « le juge communautaire désavoue sans conteste le juge constitutionnel »332(*). L'arrêt Isabelle Manavi Ameganvi et autres c/ Etat du Togo333(*)du 7 octobre 2011est illustratif à ce sujet. Contrairement au juge interne qui affirme que les députés en cause doivent être considérés comme ayant démissionné de l'hémicycle, le juge communautaire considère en l'espèce que « les députés en cause n'ont jamais régulièrement exprimé leur volonté de démissionner de l'assemblée nationale ». Dans ce cas de figure, le juge communautaire, sommes-nous tenté de le dire avec quelques nuances, relativise l'autorité de la chose jugée des juridictions internes et réaffirme sa plénitude de juridiction en se parant d'être le juge de dernier ressort. Sous l'empire du droit communautaire, les autorités nationales doivent donc respecter les engagements auxquels ils ont souscrit notamment en se conformant aux décisions rendues par la justice communautaire. En ratifiant le Traité de la CEDEAO, les Etats sont déterminés selon l'article 5, à se « garder de toute action pouvant entraver la réalisation des (...) objectifs (de la Communauté) » et sont engagés « à honorer leurs obligations selon le présent Traité ». Rendant ainsi des décisions qui s'imposent erga omnes, les Etats membres et les institutions communautaires doivent sans délai prendre toutes les mesures nécessaires propres à assurer l'exécution de celles-ci334(*). * 329 Voir à cet effet, KEUDJEU (J. R.), « L'effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone », Revue CAMES/SJP, n°001/2017, pp. 99-129. * 330 C'est d'ailleurs une démarche que la doctrine a qualifié de « curieuse » ; voir à ce sujet TOUNKARA (D.), «L'ordre public procédural ouest-africain : contribution à la théorie du procès équitable en Afrique de l'Ouest », pp. 27 et ss. ; Dieye (A.), « La Cour de justice de la CEDEAO et les juridictions nationales des Etats membres. Quelles relations ? », in Les Nouvelles Annales Africaines n°1, p. 187 et s. * 331 Selon une dépêche de l'Agence de Presse Africaine (APA-Dakar) en date du 5 avril 2009, l'on apprend que cette amende a été honorée :« le Niger a exécuté un arrêt de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) le condamnant à payer 10 millions de francs CFA (20.000 dollars) à Hadijatou Mani Koraou, une citoyenne nigérienne qui avait porté plainte contre l'Etat pour violation de ses droits fondamentaux. * 332 BOLLE (S.), « La Cour de Justice de la CEDEAO: une cour (supra)constitutionnelle ? », disponible sur www.la constitution- en -afrique.com. Consulté le 18 mars 2019. * 333 CJ CEDEAO, 7 octobre 2011, Isabelle Manavi Ameganvi et autres c/ Etat du Togo. * 334 Cf. art 22 par. 3 du Traité de la CEDEAO. |
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