L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. Une efficacité recherchée dans l'exécution des arrêts de la CourLa jurisdictio et l'imperium constituent les deux activités du juge. La première dimension est la capacité pour le juge à dire le droit tandis que la seconde consiste dans le pouvoir d'imposer une solution aux parties. En « se limitant donc à dire le droit et non à le faire, l'exécution lui échappe »335(*). Comme les arrêts rendus par la CEDH, la CIADH et la CIJ, ceux de la CJ CEDEAO ont un caractère fondamentalement déclaratoire, faute de « police générale »336(*). Mais ce « discours n'est là qu'en vue d'aboutir à une solution concrète. Il est un moyen et non une fin »337(*). Nous pouvons à ce titre citer François TUKENS qui affirme qu' « un arrêt (...) est la promesse d'un changement pour l'avenir, le début d'un processus qui doit permettre aux droits et libertés d'aller dans la voie de l'effectivité »338(*). En acceptant que les personnes physiques puissent s'adresser directement au juge communautaire, les Etats membres de la CEDEAO s'engagent à respecter les arrêts de la juridiction communautaire. La réforme intervenue en 2005 offre ainsi tout un maillage pour une garantie effective des droits des citoyens ouest africains au niveau même de la voie de l'exécution des arrêts de la Cour339(*). L'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la haute juridiction conjuguée avec les principes de primauté et de l'effet direct renforcent cet idéal démocratique dont l'exécution ne peut se heurter au niveau national à aucun subterfuge juridique340(*). Il faut relever à ce propos qu'il n'existe pas un ordre juridique hiérarchique entre la Communauté et les Etats membres mais un ordre juridique intégré et harmonisé. La CEDEAO a consacré en effet un monisme juridique sans nécessairement le primat du droit communautaire. Cependant, cela ne dispense pas les Etats membres de l'obligation de mettre en exécution les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO. Fonctionnant sur la base du principe de primauté du droit communautaire sur le droit interne, les Etats membres sont dans l'obligation de mettre en oeuvre les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO. En effet la prévalence du droit communautaire sur le droit national induit que les autorités nationales prennent des mesures compatibles avec l'ordre juridique communautaire341(*). Sur ce point la Cour est très explicite. On peut citer l'affaire Chief Ebrimah contre la République de Gambie342(*) où les juges d'Abuja demandent aux autorités gambiennes de libérer le prévenu dès réception de la décision343(*). Il appartient à l'Etat mis en cause de tirer les conséquences de la violation d'un droit de l'homme en permettant à la partie lésée de recouvrer ses droitsen cas d'impossibilité d'ordonner le versement d'une indemnité. L'exécution des arrêts de la Cour est réalisée par le biais du Tribunal de l'Etat membre concerné, en appliquant les Règles de Procédure Civile en vigueur dans ledit Etat membre344(*). La formule exécutoire est apposée sans autre contrôle que celui de la vérification de l'authenticité du Titre, par l'autorité nationale que le Gouvernement de chacun des Etats membres aura désignée à cet effet345(*). La Cour de justice communautaire a donc besoin nécessairement du concours des Etats membres pour l'application effective des règles communautaires. En effet, comme le fait remarquer Abdoulaye Dièye « la juridiction communautaire et les juridictions des Etats membres de la CEDEAO sont appelées à entretenir des rapports de coopération »346(*) pour une meilleure protection des droits de l'homme. En outre, les décisions de la CJ CEDEAO vont souvent jusqu'à « neutraliser le pouvoir de révision des Etats membres »347(*) en indiquant aux Etats la voie à suivre. Dans l'affaire Hissène Habré contre Etat du Sénégal, le juge communautaire estime que même si le Sénégal « a reçu mandat de l'Union Africaine pour juger Monsieur Habré au nom de l'Afrique, la procédure de jugement ne doit pas être confiée aux juridictions nationales déjà existantes au risque de porter atteinte aux droits de l'ancien président tchadien »348(*). Selon la Cour « toute autre entreprise du Sénégal en dehors d'un tel cadre violerait, d'une part, le principe de la non rétroactivité de la loi pénale, consacré par les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme comme étant un droit intangible et d'autre part, ferait obstruction au respect du principe de l'impunité consacré par les mêmes textes internationaux ». En cas de non-respect de cette obligation relative à l'exécution des décisions de la Cour, la réforme de 2005 prévoit la possibilité d'exécution forcée. A cet effet l'article 77.1 du traité donne pouvoir à la Conférence d'imposer des sanctions contre un État membre qui ne remplit pas ses obligations envers la Communauté. La panoplie de moyens coercitifs énumérés par cette disposition et la crainte de leur application poussent les Etats à ne pas être récalcitrants quant à la nécessité de se conformer aux décisions de la Cour349(*). La suspension de mesure d'exécution forcée ne pouvant être relevée qu'en vertu d'une décision de la Cour. L'obligation d'exécuter les arrêts de la Cour suit donc le régime de la responsabilité internationale350(*). Si, somme toute, un certain satisfécit peut être décerné à l'endroit de la Cour communautaire en matière de protection des droits de l'individu, la juridiction mère du continent elle (la Cour ADHP) mérite d'être redynamisée afin de recadrer et rendre efficace la protection des droits de l'homme par son office. * 335 CJ CEDEAO, 7 octobre 2011, Isabelle Manavi Ameganvi et autres c/ Etat du Togo. * 336 ROSENNE (S.), « L'exécution et la mise en oeuvre des décisions de la Cour Internationale de Justice » RGDIP, 1953, pp.532-583. * 337 SPITZ (E.), « L'acte de juger », RDP, 1995, pp.289-302. * 338 TUKENS (F.) Cité par Elisabeth Lambert ABDELGAWAD, « L'exécution des décisions des juridictions européennes (Cour de justice des Communautés européennes et Cour européenne des droits de l'homme », AFDI, 2006,p. 677-724 * 339 En effet, l'article 6 du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 stipule que « les arrêts de la Cour qui comportent à la charge des personnes ou des Etats une obligation pécuniaire, constituent un titre exécutoire ». * 340 Sur l'autorité de la chose jugée, Voir ADELOUI (A.-J.), « L'autorité de la chose jugée par les juridictions constitutionnelles en Afrique », RTSJ, n°26, 2011, pp. 137-187. * 341 Dans l'arrêt Mamadou Tandja contre Etat du Niger, le requérant dont « l'arrestation et la détention sont (jugés) arbitraires » demande l'exécution immédiate de la décision de la Cour en application de l'article 15 paragraphe 4 du Traité Révisé de la CEDEAO. Le juge communautaire a rappelé que les Etats membres de la CEDEAO ont l'obligation d'exécuter les décisions de la Cour conformément aux articles 22 du Traité Révisé et 24 du Protocole Additionnel relatif à la Cour. Qu'à ce titre les Etats doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour se conformer à ces dispositions ; qu'ainsi la Cour n'a point besoin d'ordonner l'exécution immédiate de ses propres décisions qui sont « exécutoires à l'égard des Etats dès leur notification ». * 342 Dans l'affaire Chief Ebrimah Manneh du 8 juin 2008 la Cour a ordonné à la République de Gambie de remettre en liberté et sans délai Chief Ebrimah Manneh et ce, dès réception de la décision. * 343 Dans cette affaire, la Cour de justice de la CEDEAO a établi que l'arrestation du journaliste Musa Saidykhan, et son placement en détention par les autorités gambiennes étaient illégaux et portaient atteinte à son droit à la liberté personnelle et à un procès équitable, garantis par les articles 6 et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. La Cour a ordonné à cet effet sa libération. * 344Les Etats membres désigneront l'autorité nationale compétente pour recevoir ou exécuter la décision de la Cour et notifieront cette désignation à la Cour. * 345 Art.6 du protocole de 2005 ou art.24 nouveau relatif au Protocole de la Cour de justice. * 346 DIEYE (A.), « La Cour de justice de la Communauté CEDEAO et les juridictions nationales des Etats membres : quelles relations ? », in Actes du Colloque sur les droits communautaires africains, Nouvelles annales africaines, 187-197. * 347 BOLLE (S.), « Etes-vous CEDEAO compatible ? » in www.laconstitution-en-afrique.com (consulté le 20-08 2018). * 348 Car selon la Haute Cour de justice l'expression « (...) juridiction compétente (...) » contenue dans ce mandat ne signifie rien d'autre que la mise en place d'un cadre judiciaire ad hoc dont la création et les attributions trouveraient leur bas-relief dans les dispositions de l'article 15. 2 du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques et que le Sénégal est chargé de proposer au mandant les formes et modalités de mise en place d'une telle structure. Ce qui signifie que « la mise en oeuvre du mandat de l'Union Africaine doit se faire selon la coutume internationale qui a pris l'habitude dans de telles situations de créer de juridictions ad hoc ou spéciales ». * 349 En effet, la Cour commune de justice de la CEDEAO peut refuser d'entendre toute requête introduite par l'État membre incriminé jusqu'à ce qu'il applique sa décision. * 350 Voir BORSUS (H.), La place de l'individu dans le système de la responsabilité internationale, Master de spécialisation en droit international, 2016, 40 p. |
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