L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. La définition des modalités d'une application satisfaisante des décisionsEn dépit du caractère déclaratoire de ses arrêts et de l'absence d'un pouvoir d'injonction, la Cour de justice de la CEDEAO se doit de préciser plus clairement la portée de ses arrêts en vue de faciliter leur exécution. Elle pourrait sous ce rapport indiquer la meilleure forme de réparation ou alors en posant une alternative à l'Etat319(*). En effet, il est important pour éviter une diversité d'interprétation que la Cour de justice de la CEDEAO soit plus précise dans les arrêts qu'elle rend. Malgré le fait que les Etats aient accepté que leurs citoyens puissent s'adresser directement au juge communautaire, il ne faut pas perdre de vue qu'ils ne sont pas encore des démocraties mais en transition démocratique320(*). Sous ce rapport, les juges d'Abuja sont invités à produire une jurisprudence claire et exemplaire dénuée de toute ambigüité321(*). La Cour doit s'efforcer d'indiquer plus explicitement et plus précisément les enseignements généraux qui découlent de ses arrêts, dans le but d'éviter des violations répétitives. A l'égard des Etats coupables d'avoir violé des droits de l'homme, la Cour de céans se montre souvent, assez « réservée »322(*). Elle n'indique que très rarement les conséquences de violations constatées323(*), sauf dans l'hypothèse peu banalisée de l'octroi de dommages et intérêts. La Cour de Justice de la CEDEAO saisie d'une requête introduite par neuf (09) anciens députés de l'Union des Forces de Changement (UFC) exclus de l'Assemblée Nationale, constate la violation, par l'Etat togolais, d'une liberté fondamentale des requérants, notamment le droit d'être entendu, prévu par les articles 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples324(*). Elle note en effet que les députés n'ont jamais exprimé leur volonté de démissionner de l'Assemblée Nationale. Par conséquent, l'Etat Togolais doit réparer le préjudice et allouer des dommages et intérêts aux victimes. Les autorités togolaises tirant prétextes du « flou artistique » de la décision de la Cour ont refusé la réintégration des députés déchus à l'hémicycle. Elles estiment en effet que la Cour de justice communautaire n'a point parlé de réintégration mais de réparation (compris seulement comme étant l'octroi de dommages-intérêts fixés à trois (3) millions de francs CFA). Les requérants semblent même être en phase avec le défendeur. Ils ont introduit une demande en révision dont le but est d'amener la juridiction communautaire à « remédier à l'omission qu'elle en a faite sur le chef de demande relatif à leur réintégration à l'hémicycle »325(*). Une telle interprétation pouvait être évitée si le juge communautaire avait pris le soin de se prononcer en des termes plus simples. En matière de protection des droits humains, la réparation d'un droit violé exige que la victime soit complètement rétablie dans ses droits, c'est-à-dire qu'elle soit placée « in statu quo ante », en d'autres termes, dans l'état où les choses étaient auparavant. Cela suppose donc le rétablissement de la situation préexistante, et dans le cas d'espèce que les Neuf (09) députés exclus doivent être mis dans les conditions d'être entendus sur leur prétendue démission, d'où leur retour à l'Assemblée Nationale qui s'impose apriori. Elle suit en cela le régime de la responsabilité internationale ; l'engagement de la responsabilité entraîne trois obligations à savoir : l'obligation de cessation de l'illicite, l'obligation de réparation, enfin l'obligation d'éviter des violations semblables326(*). Au sein de certaines communautés interétatiques, les textes régissant les Cours de Justice ont indiqué la manière d'exécuter ce genre de condamnation. Il en est ainsi en ce qui concerne la Cour Européenne des Droits de l'Homme. En effet, l'article 50 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose : « Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une partie contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la présente Convention, et si le droit interne de ladite partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée, une satisfaction équitable ». Les Etats membres de la CEDEAO n'ont pas prévu de pareille disposition dans les protocoles régissant la Cour de Justice. Les parties peuvent, dans ces conditions, s'accorder librement sur la façon de réparer en nature les conséquences politiques des violations. Il faut pallier cette carence en prévoyant dans le système normatif la satisfaction équitable327(*). Dans le nouvel ordre juridique communautaire intégré de la CEDEAO328(*), la Cour d'Abuja doit s'affirmer en invitant les Etats membres à exécuter totalement et de bonne foi ses décisions. Etant donné que l'architecture institutionnelle de la Cour est symptomatique d'une volonté ferme des Etats membres de bâtir une politique communautaire en matière de protection des droits de l'homme conforme aux exigences internationales. Dans cette arène, il est plus que nécessaire qu'on reconnaisse une autorité aux décisions de la Cour. * 319 Cela s'avère d'autant plus nécessaire quand on sait combien les Etats d'Afrique en général sont évasifs sur l'application des décisions issues d'une juridiction notamment de protection des droits de l'homme. Sur cette question, voir utilement BORSUS (H.), La place de l'individu dans le système de la responsabilité internationale, Master de spécialisation en droit international, UCL, 2016, 34 p. * 320 La transition démocratique est par définition le passage d'un régime oligarchique à un autre plus libéral fondé sur des valeurs démocratiques. Pour le professeur Théodore HOLO, la transition démocratique est entendue comme un passage graduel d'un régime autoritaire vers un ordre démocratique ; voir l'auteur « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les constitutions du renouveau démocratique dans les États de l'espace francophone africain : régimes juridiques et systèmes politiques », RBSJA n° 16, 2006, p. 18. Voir également CONAC (G.), « Les processus de démocratisation en Afrique », in CONAC (G.), (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993 pp. 11-41 ; FALL (I.), « Esquisse d'une théorie de la transition : du monopartisme au multipartisme en Afrique », in CONAC (G.), (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, op. cit., pp. 43-53 ; AMOR (A), « L'émergence démocratique dans les pays du tiers monde : le cas des pays africains », in CONAC (G.), (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, op. cit., pp. 55-58 ; EDEM (K.) « Environnement international et Etat de droit : le cas de l'Afrique », in CONAC (G.), (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, op. cit., pp.83-87. * 321 Voir à ce propos OUEDRAOGO (Y.), « Retour sur une décision controversée : l'arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO du 13 juillet 2015, CDP et autres c/ État du Burkina, Les Annales du Droit, n°10, 2016, 37 p. Consulté le 04 décembre 2018. * 322 Cette prudence est probablement observée dans le but de ne pas froisser la susceptibilité de ces Etats. * 323 Elle agit ainsi, contrairement à d'autres juridictions internationales ou au Comité des droits de l'homme des Nations Unies. * 324 CJ CEDEAO Isabelle Manavi Ameganvi et Autres contre Etat du Togo du 7 octobre 2011. La décision est ainsi libellée dans son dispositif : par ces motifs... ; Au fond, Dit qu'il y a violation par l'Etat du Togo du droit fondamental des requérants à être entendus tel que prévu aux articles 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. En conséquence, ordonne à l'Etat du Togo de réparer la violation des droits de l'homme des requérants et à payer à chacun le montant de trois millions (3.000.000) Francs CFA. * 325 CJ CEDEAO Isabelle ManaviAmeganvi et Autres contre Etat du Togo 13 mars 2012. * 326 Il s'agit là de l'obligation de non-répétition de l'illicite. Voir BORSUS (H.), La place de l'individu dans le système de la responsabilité internationale, op. cit., 34 p. * 327 Toutefois, il faut saluer l'audace dont elle fait montre dans certaines décisions. On peut à ce titre citer l'affaire Hissène Habré contre Etat du Sénégal et Mamadou Tandja contre Etat du Niger et l'affaire Chief Ebrimah Manneh. * 328 Il s'agit de la reforme intervenu en 2005 enjoignant à l'organe juridictionnel de l'Organisation régionale une compétence explicite en matière de protection des droits de l'homme. |
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