L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
CHAPITRE II : UNE NECESSAIRE CONSOLIDATION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE L'INDIVIDUIl est évident que la protection de l'individu par les juridictions africaines n'est pas suffisamment efficace. Afin donc de dissiper les incohérences et corriger ainsi les insuffisances d'ordre factuel relevées, il devient nécessaire d'optimiser la protection juridictionnelle des droits de l'homme notamment assurée par la Cour africaine des droits de l'homme et la Cour de justice de la CEDEAO. Tout d'abord, au plan juridico-institutionnel des réaménagements doivent être engagés pour une protection effective des droits de l'homme. En effet pour impérative que soit une reconnaissance explicite des droits fondamentaux, il convient également de veiller au renforcement de la protection des droits par des politiques et par des mesures structurelles y relatives. Ensuite au niveau opérationnel, il est nécessaire d'engager des reformes à même de faciliter l'accès de l'individu aux juridictions de protection de ses droits. Ainsi, cette consolidation procèdera dans un premier temps de la rationalisation du système communautaire de protection des droits de l'homme (Section 1). Dans un second temps, il faudra songer à une redynamisation de la protection de l'individu au plan continental (Section 2). Section 1 : La rationalisation de la protection individuelle au plan communautaireLa CEDEAO s'est lancée dans une croisade pour la protection des droits de l'homme. A cet effet, il est essentiel d'optimiser le mécanisme de protection mis en place. Cette rationalisation procède d'emblée d'une articulation des voies de recours et d'exécution (paragraphe 1) et d'une reconnaissance de l'autorité des décisions de la juridiction communautaire (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Une articulation opportune des voies de recours et d'exécution du juge communautaireDans le but de favoriser une protection optimale des droits de l'homme, la Cour d'Abuja doit procéder à la priorisation des requêtes individuelles par le système de filtrage (A) et définir ainsi les modalités d'une application satisfaisante de ses décisions (B). A. La priorisation des requêtes individuelles par le système de filtrageOn est convaincu de ce que la voie la plus parfaite pour assurer la protection des droits de l'homme consiste en la possibilité reconnue aux individus de recourir directement à un juge. Le système institué par la CEDEAO pour la garantie de ces droits est à bien des égards salutaire. Néanmoins, l'absence d'une structure spécifique chargée du filtrage des requêtes individuelles risque de handicaper lourdement la tâche des juges de la CEDEAO ; si elle ne l'est pas déjà. En effet, le système judicaire de la CEDEAO tel qu'il est structuré ne donne à la Cour de se prononcer à la fois sur la recevabilité et l'examen des requêtes individuelles315(*). Cette structuration actuelle peut entrainer deux effets pervers majeurs, nuisibles à toute garantie juridictionnelle des droits de l'homme : une croissance exponentielle des requêtes fondée à tort ou à raison sur une violation des droits de l'homme et une lenteur dans l'examen des requêtes déposées au prétoire de la Cour. Depuis la réforme intervenue en 2005 qui a permis aux personnes physiques de saisir la justice communautaire pour faire constater qu'un Etat membre a violé un ou des droits de l'homme, la Cour d'Abuja est submergée de requêtes ayant essentiellement trait à ce nouveau titre de compétence316(*). Le contentieux massif auquel la Cour doit faire face soulève une appréhension justifiée, d'autant plus que l'extension légitime de la compétence ratione loci et ratione materiae de la Cour confère au juge d'Abuja la responsabilité de Juge suprême pour l'ensemble des Etats membres de la CEDEAO. Ainsi, un aménagement du système actuel de protection des droits est nécessaire. La CEDEAO a ouvert le prétoire de la Cour à plus 300 millions de personnes. Ces dernières, lorsqu'elles sont victimes de violations de droits de l'homme peuvent ainsi saisir directement la juridiction communautaire sans épuiser les voies de recours internes. C'est pourquoi depuis la réforme opérée en 2005, la tendance qui se dessine est la croissance exponentielle des requêtes individuelles. Dans cette perspective, pour alléger la tâche de la Cour et faire montre d'une célérité dans le traitement des requêtes, il est nécessaire de créer une chambre qui se chargera exclusivement du filtrage des requêtes. En effet, toute amélioration ou « survie » du mécanisme contentieux devant la Cour suppose que soit en grande partie résorbé un obstacle de caractère structurel317(*). La Cour, si on n'y prête pas garde sera submergée de requêtes relatives à des cas de violations de droits de l'homme. Face à un afflux massif de requêtes, la Cour européenne des droits de l'homme a dû procéder également à quelques modifications. Le Protocole n° 14, qui vise à garantir l'efficacité à long terme de la Cour en optimisant le filtrage et le traitement des requêtes, prévoit notamment la création de nouvelles formations judiciaires pour les affaires les plus simples et un nouveau critère de recevabilité318(*) notamment l'existence d'un préjudice important. Il est entré en vigueur le 1er juin 2010. Cette future chambre de filtrage de la CJ CEDEAO aura fondamentalement pour fonction de décharger la Cour des requêtes qui sont manifestement irrecevables. Il s'agit en effet d'affaires susceptibles d'être recevables et bien fondées. Selon donc ce schéma, l'examen des affaires portées devant la Cour suivra deux étapes principales à savoir : la recevabilité et le fond de l'affaire c'est-à-dire l'examen des griefs. Ce filtrage efficace permettra ainsi une meilleure priorisation des requêtes par le rejet des requêtes manifestement mal fondées. De cette façon, il semble évident que la plus grande partie du contentieux serait apurée. La fonction de cette chambre consisterait à apurer le contentieux et à se prononcer sur la recevabilité des requêtes individuelles. Par la suite, les requêtes jugées recevables seraient examinées, principalement sur le fond. A ce titre, la Cour n'aurait ainsi à rendre qu'un nombre limité de « grands arrêts » par an. Sa tâche principale concernerait le fond du droit, et elle ne retiendrait que les affaires les plus importantes ou les plus graves. Elle se concentrera de ce fait sur les affaires les plus intéressantes et rendra de grands arrêts de principe. C'est ici un ensemble de révisions minima, susceptibles d'assurer la survie d'un mécanisme de protection qui a déjà donné espoir aux citoyens de la Communauté. De même, il est nécessaire de revisiter les modalités de l'application des décisions de la Cour. * 315 Rappelons à cet effet que les requérants n'ont pas besoin d'épuiser les voies de recours internes pour saisir la Cour. Voir nos développements supra. * 316 La Cour de justice de la CEDEAO, a reçu entre 2005 et 2011, 81 requêtes avec 76 arrêts dont 46 qui concernent la violation des droits humains. * 317 Voir à ce propos KANE (Th.), La Cour de Justice de la CEDEAO à l'épreuve de la protection des droits de l'homme, Université Gaston Berger de Saint- Louis, Sénégal, Mémoire de Maîtrise en Sciences Juridiques, 2012, 76 p. * 318 Précédemment abordé dans la présente étude. |
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