L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. Une prise en compte des autres instruments pertinentsPour ce qui est des sources légales, la compétence matérielle des deux autres Cours régionales est définie par leurs traités constitutifs, soit la Convention européenne des droits de l'homme pour la CEDH, soit la Déclaration des droits de l'homme et la Convention interaméricaine des droits de l'homme pour la CIADH263(*). À l'opposé, la compétence matérielle de la Cour africaine, selon l'article 3 (1) du Protocole de Ouagadougou264(*), est plus étendue puisqu'elle englobe tous les traités et les conventions relatifs aux droits de la personne et ratifiés par l'État contre lequel une plainte est déposée265(*). Ce champ très vaste dépasse de loin le champ de compétence de la Commission africaine qui est limité par la Charte de Banjul. La Commission africaine ne peut se référer au droit international et comparé des droits de la personne que dans le cadre de l'interprétation de la Charte de Banjul266(*). Par ailleurs, la doctrine nous enseigne que, pour pouvoir considérer un traité international, autre que la Charte africaine, comme source de droit, celui-ci doit, en vertu de l'article 3 (1) du Protocole de Ouagadougou, posséder les trois caractéristiques suivantes : - Qu'il soit un traité international contraignant ; - Qu'il soit relatif aux droits de la personne ; - Qu'il soit adopté et ratifié par l'État contre lequel la plainte est déposée267(*). Dans cette conception particulière à l'Afrique, on peut mentionner plusieurs avantages. La protection des droits des femmes, qui est considérée comme insuffisante dans la Charte, pourrait être renforcée en vertu des autres instruments régionaux et internationaux s'ils sont ratifiés par l'État contre lequel une plainte est déposée268(*). Aussi, cela représente-t-il une occasion pour contourner les imprécisions, et ce en se fondant sur les autres instruments ratifiés par l'État. Elle a également pour effet d'élargir le champ des droits économiques et sociaux dont la violation pourrait être alléguée devant la Cour africaine269(*). Toutefois, cette hypothèse ne fait pas l'unanimité. On peut craindre, par exemple que la Cour consacre une interprétation des instruments internationaux différente de celle donnée par les autres instances internationales. Mais Van Der Mei a montré que cet argument est mal fondé puisque dans la pratique, les tribunaux internationaux adoptent la même interprétation des textes internationaux270(*). Une autre crainte est relative à une possibilité de contradiction des décisions de la Cour africaine avec celles de la Commission africaine, et ceci notamment dans les affaires qui pourraient être concurremment examinées par les deux instances. Cette crainte est réelle puisque les deux instances n'appliquent pas les mêmes normes271(*). En effet, la compétence de la Commission est limitée au texte de la Charte africaine, alors que la Cour africaine peut se référer aux autres sources internationales272(*). Ceci empêche la Commission d'appliquer, dans la même affaire, des normes acceptées par la Cour. La doctrine a suggéré, comme solution pour cette incohérence, que la Commission élargisse son champ de compétence, et ce en adoptant les « principes applicables » de la Charte de Banjul273(*). Elle peut ainsi appliquer les traités relatifs aux droits de la personne qui ont été ratifiés par les États membres, mais qui émanent des autres instances internationales et régionales274(*). C'est vraisemblablement une solution qui pourrait être difficile à appliquer par la Commission. En bref, la Cour africaine est dotée d'une compétence rationae materiae plus large que celle des autres Cours régionales275(*) dans la mesure où elle n'est pas limitée par la Charte, son principal texte de référence. Mais un point d'interrogation demeure : c'est la question procédurale lors de l'examen au fond de la requête. Il serait intéressant de voir comment les juges de la Cour africaine et de la CJ CEDEAO ont examiné ce problème. * 263 UDOMBANA (N. J.), « Towards the African Court on Human and Peoples' Rights: Better Late Than Never », 2000, 3 Yale Hum. Rights Dev. Law J., p. 90; ENO (R.), « The jurisdiction of the African court of human and peoples' rights », (2002) 2-2 Afr. Hum. Rights Law J., p. 226. * 264 PROTOCOLE DE LA COUR AFRICAINE, « Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », disponible sur le site : <http://www.achpr.org/fr/instruments/court-establishment/> (consulté le 6 janvier 2017). * 265 UDOMBANA (N. J.), « An African human rights court and an African union court: a needful duality or a needless duplication? », (2003) 28-3 Brooklyn J. Int. Law, p. 842. * 266 Confer articles 60 et 61 de la Charte de Banjul. * 267 DIOP (A-K.), « La Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples Ou le Miroir Stendhalien du Système Africain de Protection des Droits de l'Homme », Cah. Droit, 2014, p. 536. * 268 UDOMBANA (N. J.), op. cit., p. 90 ; voir également ENO (R.), op. cit., note 18, 227. * 269Idem. * 270 VAN DER MEI (A. P.), « The New African Court on Human and Peoples Rights: Towards an Effective Human Rights Protection Mechanism for Africa? », (2005) 18-1 Leiden J. Int. Law, pp. 113-129. * 271 Voir entre autres YERIMA (S. S. Z.), « La Cour et la Commission africaines des droits de l'homme et des peuples: noces constructives ou cohabitation ombrageuse? », Annuaire Africain des Droits de l'Homme, 2017, pp. 357-385, disponible sur le site : http://doi.org/10.29053/2523-1367/2017/v1n1a17. * 272 ENO (R.), op. cit., p. 229. * 273 Par exemple, la Charte africaine ne contient aucune référence aux élections, et ce à la différence de la Déclaration universelle des droits de l'homme (article 21) et de la Convention européenne (article 3 du Protocole additionnel) où le droit à des élections libres est mentionné explicitement. La Déclaration américaine considère la participation aux élections non seulement comme un droit, mais aussi comme un devoir des citoyens (articles X et XXII). Voir Charte africaine, « Charte africaine des droits de l'homme et des peuples / Instruments juridiques / CADHP », disponible sur le site : <http://www.achpr.org/fr/instruments/achpr/> (consulté le 14 septembre 2018). * 274 QUILLERÉ-MAJZOUB (F.), « L'option juridictionnelle de la protection des droits de l'homme en Afrique », 2000-44 Rev. Trimest. Droits Homme, 2002, pp. 729-786, spé. p. 760. * 275 DIOP (A-K.), op. cit., p. 535. |
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