L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. Une affirmation des normes juridiques régionalesL'insertion de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples au Traité de la Communauté donne pouvoir à la Cour en vertu de l'article 19 de son Protocole de connaître des cas de violation des droits de l'homme énoncés dans la Charte Africaine. En effet, considérée comme « un espoir pour l'homme et les peuples africains »253(*) dont le pragmatisme des rédacteurs fut d'essayer de « conceptualiser les droits de l'homme à partir des circonstances et données propres aux sociétés africaines »254(*) en cherchant à insérer « l'homme africain » dans « ce bouillonnement universel », selon Kéba Mbaye255(*), il devient ainsi tout à fait normal que cette Charte soit une source privilégiée du juge communautaire. La CAHDP dite Charte de Banjul adoptée le 27 juin 1981 entrée en vigueur le 21 octobre 1986 est un texte de référence auquel le requérant peut s'appuyer pour faire constater qu'un Etat membre de la CEDEAO a violé un de ses droits reconnus ou proclamés par ladite convention régionale. En vertu de l'article 19 du Protocole relatif à la Cour, le citoyen peut se référer aux cas de violations des droits de l'homme énoncés dans la Charte Africaine. En effet, aux termes de l'article 4.g) du Traité de la Communauté, les Etats membres se sont engagés à adhérer aux principes juridiques fondamentaux tels que « respect, promotion et protection des droits de l'homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte africaine ». Le législateur communautaire a ainsi intégré cet instrument régional dans le droit applicable devant la Cour de justice de la CEDEAO. Cette possibilité est d'autant plus intéressante en ce sens que cette Charte fait partie du droit positif de tous les Etats membres de la CEDEAO. Dans l'affaire Hon. Dr. Jerry Ugokwe v. République fédérale du Nigéria256(*), la Cour a déclaré que la référence à la Charte africaine dans son article 4 du Traité révisé de la CEDEAO aussi bien que dans les autres dispositions permettent à la Cour de « faire intervenir l'application de ces droits catalogués dans la Charte Africaine ». Dans d'autres affaires toutes aussi importantes, la Cour s'est fondée sur les droits garantis par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Il en est ainsi dans l'affaire Chief Ebrimah Manneh c/ la République de Gambie257(*). Elle a ainsi jugé que cet Etat était responsable de l'arrestation et de la détention arbitraire du requérant, enfermé in communicado sans jugement. Ce qui est aux antipodes des principes consacrés dans la Charte africaine notamment en ses articles 6 et 7. Dans cette affaire touchant la liberté d'expression, la Cour a, de manière cohérente et convaincante, protégé la libre parole en raison du rôle crucial que joue celle-ci dans le bon fonctionnement de la démocratie. Ainsi, le législateur communautaire fait de la Charte une partie intégrante du droit applicable par la Cour de Justice de la CEDEAO. Elle est donc l'instrument qui actionne le juge pour examiner au fond la requête à lui adressée. A la lumière de ce qui précède, il est permis de dire que l'arsenal juridique avec lequel travaille la Haute Juridiction communautaire est d'une pertinence indéniable et garantit ainsi une protection efficace des droits de l'homme. L'individu est au coeur de la « nouvelle » CEDEAO. Les textes régionaux et universels énoncent des valeurs communes et supérieures aux Etats créant ainsi des obligations objectives qui s'imposent à eux. Les « textes » de la CEDEAO offrent ainsi plus de droits aux citoyens de l'espace ouest africain en leur permettant d'accéder directement au prétoire du juge communautaire. Mais la dispersion de ses instruments ne facilite pas pour autant l'office du juge communautaire. C'est certainement ce qui semble amener le juge continental, qui opère dans une sphère plus étendue, à se confiner dans des textes de référence endogènes et spécifiques. * 253 GONIDEC (P-F.), « Un espoir pour l'homme et les peuples africains ? La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples », Le Mois en Afrique, juin-juillet 1983, p. 23. * 254 FALL (A. B.), « La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Pouvoirs n°129/2 avril 2009 p.77-100. * 255MBAYE (K.), Les droits de l'homme en Afrique, 2e édition, Paris, Pedone, 2002. * 256 CJ CEDEAO, Aff. Hon. Dr. Jerry Ukogwe c. République fédérale du Nigéria du 7 octobre 2005, (par.29). * 257 CJ CEDEAO, Aff. Chief Ebrimah Manneh c/ République de Gambie 5 juin 2008. |
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