A- Nullité des clauses contenues dans le pacte
d'actionnaires
Les protagonistes élaborent leurs affaires dans un
climat de liberté contractuelle sur un marché ouvert et
réglementé, ce qui nécessite une surveillance pour
recadrer leurs ambitions parfois irraisonnables. D'où l'existence de
l'impossibilité d'inclure
18Mazin Galal Sayed, le pacte d'actionnaires en
droit égyptien sous le prisme du droit français, thèse de
l'université Lumière Lyon 2, soutenue publiquement le 9 mars
2016, p. 37
19
certaines clauses. Cette impossibilité peut d'une part
se justifier par le caractère illicite de certaines stipulations, qui ne
peuvent encore moins être insérées dans les statuts, du
fait de leur prohibition par la loi. Ainsi, toute clause où l'on
pourrait retrouver une stipulation dans le genre ne pourra aucunement donner
lieu à une exécution forcée ou à une quelconque
sanction judiciaire, et entrainera de ce fait la nullité du pacte dans
son intégralité lorsque celle-ci constitue une condition
déterminée ou déterminante, exprimée de
manière tacite ou expresse par les parties.
S'agissant des clauses considérées comme
étant non valables, l'on pourrait citer à titre d'exemple
l'insertion de clauses dans le pacte d'actionnaires interdisant à un
actionnaire possédant des actions à dividende prioritaire sans
droit de vote de participer à l'assemblée spéciale, tel
que le prévoit l'article 26619alinéa 2 de la loi 1795.
Ou encore une clause conférant le droit de modification des statuts dans
toutes leurs dispositions à une personne autre que l'assemblée
générale extraordinaire (Art 110 alinéa 1erde
la même loi20). Il en est de même des clauses qui
stipulent un dividende fixe au profit des actionnaires, à moins que
l'Etat n'accorde aux actions la garantie d'un dividende minimal (Art 331 de la
même loi21). Ces dispositions sont, entre autres, des
dispositions d'ordre public.
B- La validité des pactes d'actionnaires
Bien qu'ayant fait l'objet de plusieurs contestations, les
pactes d'actionnaires sont reconnus par le droit des sociétés
marocain comme étant totalement licites dans la mesure où les
techniques utilisées pour la formation de ceux-ci ne sont guères
nouvelles, telle que par exemple la clause d'agrément et clause de
préemption, ces dernières pouvant être
insérées dans les statuts de la société. Etant
fondées sur le principe de la liberté contractuelle, qui n'est
pas contredit en la matière, le DOC considère ces clauses comme
n'ayant rien de frauduleux.
Cependant, la jurisprudence conditionne la validité de
ces clauses à la réalisation de trois points fondamentaux,
à savoir leur limitation dans le temps, l'existence d'une juste
contrepartie mais également la spécificité du droit
boursier.
19 Article 266 alinéa 2 du Dahir n°1-96-124
portant promulgation de la loi n°17-95 dispose expressément que :
« Tout actionnaire possédant des actions à dividende
prioritaire sans droit de vote peut participer à l'assemblée
spéciale. Toute clause contraire est réputée non
écrite. »
20 Article 110 alinéa 1er du même
Dahir dispose expressément que : « L'assemblée
générale extraordinaire est seule habilitée à
modifier les statuts dans toutes leurs dispositions ; toute clause contraire
est réputée non écrite. Elle ne peut, toutefois, comme il
est dit à l'article premier, augmenter les engagements des actionnaires,
sous réserve des opérations résultant d'un regroupement
d'actions régulièrement effectué, ni changer la
nationalité de la société. »
21 Art. 331 alinéa 5 du même Dahir dispose
expressément que : « Il est interdit de stipuler au profit des
actionnaires un dividende fixe ; toute clause contraire est
réputée non écrite à moins que l'Etat n'accorde aux
actions la garantie d'un dividende minimal. »
20
L'article 257 de la loi 17-95 dispose que les pactes
d'actionnaires peuvent porter sur les conditions de cession des droits sociaux.
En effet, les actions, s'agissant de biens comme les autres, peuvent faire
l'objet de convention extrastatutaire prévoyant un droit de
préemption à tout signataire souhaitant céder ses actions.
Or, ces conventions ne sont valables que s'ils sont soumis à un terme,
ceci s'explique par le fait qu'un actionnaire ne peut renoncer
indéfiniment à son droit de propriété. Toutefois,
ce terme peut faire l'objet de prorogation. La jurisprudence a confirmé
ce principe en reconnaissant comme étant valide la restriction
temporaire de négociabilité d'actions (Cour de cassation
2008).
La licéité de ces clauses est également
liée à l'existence d'une juste contrepartie. Pour Yves Guyon
« l'impossibilité de quitter la société, en raison du
défaut de juste prix offert par le bénéficiaire de la
préemption ou du droit de préférence et en l'absence de
recours à l'expertise » serait une atteinte à la loi,
motivée par le désir de tourner la réglementation ayant un
caractère impérative22.
S'agissant du droit boursier, celui-ci apparait comme
étant incompatible avec le pacte d'actionnaires, compte tenu, d'une
part, de la transparence des sociétés côtés en
bourse et d'autre part, de la confidentialité du pacte. Vient alors se
poser la question spécifique de savoir si la réglementation des
AMMC pourrait considérer le pacte d'actionnaires comme étant non
valide. Il semblerait que la réponse est négative, tout en
constatant l'absence d'une décision relevant de la jurisprudence
marocaine, la jurisprudence française a par ailleurs été
claire sur ce point là. Prenant le cas de COB23 (AMMC au
Maroc), sa mission se limite à la réglementation des
marchés placés sous son contrôle, or, le régime des
pactes d'actionnaires relève du droit des sociétés et du
droit commun mais aucunement d'une question boursière. C'est ainsi que
vouloir proclamer l'invalidité des pactes d'actionnaires dans les
sociétés côtés est liée de façon
prioritaire au bon déroulement d'une OPA. De ce fait, l'interdiction de
techniques telles que le droit de préemption ou de
préférence dans les sociétés côtés
semble aller à l'encontre des principes législatifs et
jurisprudentiels anciens et cohérents, relevant du droit commun des
sociétés, heurtant ainsi le principe de la liberté des
conventions, celui-ci jouant un rôle majeur en la
matière24.
22 Voir en ce sens, Yves Guyon, « droit des affaires :
tome 1, Droit commercial général et sociétés,
2ème édition, Delta.
23 « Commission des opérations de bourse »
organisme français créé en 1967 pour formuler des avis ou
prendre des décisions concernant l'admission des valeurs à la
cote officielle. La COB a été fusionnée en 2003 avec le
Conseil des marchés financiers pour former l'AMF
24Mazin Galal Sayed, op.cit., p.40
21
II- La primauté des statuts et de
l'intérêt social
Il convient à priori de distinguer entre les statuts et
les pactes d'actionnaires, étant donné la divergence des
intérêts poursuivis par chacun d'eux, dans le but d'effectuer les
choix les mieux adaptés aux intérêts des associés et
investisseurs mais également dans l'intérêt de la
société et de ses actionnaires. Les statuts sont chargés
de définir l'objet et les règles de fonctionnement de la
société, considérés à juste titre comme les
actes constitutifs de celle-ci. Les pactes d'actionnaires, de leur part,
s'occupent d'organiser les rapports et relations au sein de la
société sur des questions spécifiques, ils jouent ainsi un
rôle complémentaire aux statuts et ne peuvent contenir une clause
contraire à une disposition statutaire. Ce qui nous poussera à
nous pencher sur les effets que peuvent avoir les statuts sur les pactes
d'actionnaires (A), et de chercher la conséquence de
l'intérêt social sur ces pactes (B).
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