Introduction générale
« L'homme est un loup pour l'homme »1.Ce
postulat se retrouve particulièrement dans le monde des affaires,
marqué par la primauté à l'individualisme et au profit. Ce
monde étant particulièrement dynamique, les lois qui le
gouvernent doivent constamment être mises à jour, de façon
à assurer le développement de l'entreprise et son
épanouissement. En effet, depuis quelques années, l'on assiste
à d'innombrables changements qui ont éminemment affecté le
fonctionnement des sociétés, notamment la société
anonyme, caractérisée comme étant un merveilleux
instrument créé par le capitalisme moderne.
Société commerciale2 de capitaux,
assignée aux projets d'envergure, la société anonyme est
la forme la plus usitée au Maroc, elle consacre l'idée selon
laquelle les associés, appelés actionnaires, sont liés
à la société, par la détention d'un titre
négociable. L'actionnaire investi dans la société en
question dans le seul but d'en tirer profit, pour son propre compte, et non en
raison des relations qu'il pourrait éventuellement entretenir avec le
fondateur. Compte tenu de son importance, le statut juridique
règlementant la SA présente l'inconvénient d'être
notablement rigide et rigoureux, manquant atrocement de flexibilité,
laissant peu de marge de manoeuvre aux hommes d'affaires, ce qui risque
d'étouffer le développement des sociétés et de
constituer un frein au progrès. Cette flexibilité s'avère
en effet indispensable, ces dernières étant des acteurs
importants du développement économique des affaires, tant au
niveau national qu'international, faisant ainsi face à une concurrence
des plus rudes.
Ce souci de flexibilité ne peut être
résolu qu'à travers la liberté contractuelle, engendrant
ainsi un phénomène de contractualisation, apportant un certain
renouveau au droit des sociétés marocain. Ce
phénomène s'est manifesté par l'utilisation croissante de
la technique contractuelle afin de répondre aux besoins
manifestés par les associés, notamment les actionnaires,
d'adapter le Dr. Sociétés3.
C'est dans ce contexte que sont nés les pactes
d'actionnaires, objet de notre étude. Leur origine remonte au fruit
d'une pratique exercée en dehors de toute réglementation propre,
par référence au droit comparé.
Les statuts des sociétés ne sont plus l'unique
source régissant les relations entre actionnaires. En effet, en vue de
réglementer le fonctionnement de leur société
1 La première référence à
cette locution est de Plaute dans sa comédie Asinaria (La Comédie
des Ânes).
2 Article 1er du Dahir n°1-96-124 (14 RABII II
1417) portant promulgation de la loi 17-95 relative aux sociétés
anonymes (Modifié et complété par les lois 81-99, 23-01,
20-05, 78-12).
3 G. Goffaux-Callebaut, « Du contrat en droit des
sociétés : essai sur le contrat instrument d'adaptation du droit
des sociétés », éd. L'Harmattan, 2008,
n°2.
7
constituée à plusieurs, les actionnaires peuvent
rédiger des statuts mais également conclure un pacte
d'actionnaires.
Bien qu'il ne soit pas nouveau, le pacte d'actionnaires peut
être considéré à juste titre comme étant un
sujet de haute importance. La nature incontestable et l'actualité du
pacte ne peut être remise en cause. Le recours à ce type de
contrat peut être justifié par le besoin des partenaires et des
actionnaires des sociétés ou entreprises commerciales de
gérer les rapports entre eux, particulièrement soucieux de la
survie de leur bijou commun. Du point de vue théorique, les relations
entre les actionnaires et avec la société sont régies dans
le cadre des statuts de la société. Néanmoins, il est
assez courant que les actionnaires cherchent à compléter ces
statuts officiels par une convention contractuelle, cette dernière est
alors qualifiée de contrat extrastatutaire qui produit des effets
à l'égard des tiers.
Les pactes extrastatutaires sont légions dans les
sociétés, ceux-ci sont plus fréquents dans les
sociétés par actions, dans la mesure où dans les autres
formes de sociétés, la personnalité des associés
est largement prise en compte, ces derniers étant souvent peu nombreux,
ils n'ont guère besoin de l'intervention d'une convention
particulière. Les pactes d'actionnaires concernent exclusivement les
sociétés anonymes et les sociétés par actions
simplifiées. Notre étude concernera spécifiquement les
pactes d'actionnaires dans la société anonyme.
Il convient alors de définir le pacte d'actionnaires
avant d'entamer une étude approfondie sur le sujet. Il s'agit d'un
contrat de droit privé, devant être constaté par
écrit tel que prévu dans l'article 114 de la loi 78-12
relative aux sociétés anonymes, modifiable par avenant à
l'unanimité, signé entre tout ou partie des associés d'une
entreprise, la société anonyme, le cas échéant. Ce
contrat complémentaire aux statuts a pour finalité de clarifier
les relations entre les principaux actionnaires, fixant ainsi les engagements
de chacun des signataires leur garantissant des droits et ce, en fonction des
clauses qu'il contient. Il ne faut cependant pas ignorer que sa fonction
capitale consiste à préparer un éventuel divorce.
Malgré leur grande diversité résultant de
la créativité et du souci des praticiens de répondre tout
au mieux aux multiples attentes de leurs clients, les pactes d'actionnaires ont
tous en commun de porter soit alternativement soit cumulativement sur les deux
éléments constitutifs de la structure et du fonctionnement de la
société.5
Qui a la qualité d'actionnaire ?
L'actionnaire ne se rencontre que dans trois types de
sociétés, à savoir la société en commandite
par actions, la société en actions simplifiées, dans ces
deux sociétés, la
4Article 11 de la loi 78-12
modifiant et complétant la loi 17-95 relative aux sociétés
anonymes
5 Caroline Leroy, le pacte d'actionnaires dans
l'environnement sociétaire, thèse de l'université
Paris - Est Crétail Val de Marne (Paris XII), soutenue publiquement le
14 Juin 2010, p. 83.
8
situation déterminant la qualité d'actionnaire
est quelque peu complexe, et la société anonyme. Par
référence à la définition donnée par Yves
Guyon, l'actionnaire est : « titulaire d'un titre négociable
représentant une quote-part du capital dans la société, et
donnant le droit de participer au partage des bénéfices et de
voter à l'assemblée générale ». Il existe
plusieurs types d'actionnaires, mais pour le législateur, seul un seul
modèle est pris en considération. Il peut s'avérer parfois
difficile de l'identifier, même dans une situation n'ayant rien de
complexe.
Offrant de la souplesse face à la rigidité du
droit des sociétés, que ce soit lors de son établissement,
son administration ou encore lors de sa révision ou son abrogation, le
pacte d'actionnaires est particulièrement avantageux, son principal
attrait réside dans sa confidentialité, contrairement aux statuts
d'une société qui peuvent être consultés par tous,
seuls les signataires y ont accès. Les signataires sont
nécessairement actionnaires mais tous les actionnaires ne sont pas
nécessairement signataires. Il permettrait ainsi de régler en
toute discrétion certaines dispositions concernant l'organisation de la
société. Les fondateurs ont la possibilité, à titre
d'exemple, de s'octroyer des avantages sans que les investisseurs le
sachent.
En outre, ces clauses secrètes constituent un
véritable moyen d'anticipation des éventuelles difficultés
pouvant advenir entre les associés dans le futur. «Bien que
plusieurs s'y refusent au moment de la constitution de la société
par actions, ou lors de l'arrivée d'un nouvel actionnaire, force est
d'admettre que lorsque survient un conflit ou une impasse entre les
actionnaires, la présence d'une telle convention n'est plus un
luxe», c'est ce qu'a expliqué Mohamed Mernissi, arbitre et
professeur en droit des sociétés.6
La jurisprudence marocaine reconnait les pactes d'actionnaires
comme étant totalement licites au vu du droit des
sociétés. Conclus au nom de la liberté contractuelle,
principe qui n'est pas contredit dans les dispositions relatives au droit des
contrats prévues dans le DOC, ces clauses n'ont rien de frauduleux,
elles doivent cependant obéir aux règles générales
du droit des contrats formulées par le DOC mais également
respecter la réglementation propre au droit des sociétés.
De manière générale, l'ensemble des techniques
utilisées en matière de conventions extrastatutaires est
considéré comme licite par la jurisprudence à la condition
de l'existence d'une juste contrepartie et de leur limitation dans le temps.
Ayant une force obligatoire à l'égard des actionnaires
signataires, l'inexécution des pactes entre actionnaires peut donner
lieu à des indemnisations sous forme de
dommages-intérêts.
Compte tenu de l'intitulé du thème et de son
intérêt pratique dans le monde des affaires, il est possible de
formuler les problématiques suivantes:
6La Vie éco,
hebdomadaire économique et financier marocain créé en
1957
9
Le pacte d'actionnaires, qui concerne exclusivement les
sociétés anonymes, constitue un éclairage organisant au
sein de la société, les rapports entre tout ou partie des
associés. Offrant une plus grande liberté de rédaction que
ce qu'accorderaient éventuellement les statuts, il permet de renforcer
les intérêts réciproques des actionnaires concernés,
mais également de rechercher un juste milieu entre les
intérêts divergents de ces derniers, étant donné la
dissemblance de leurs situations.
Par ailleurs, c'est cette même liberté,
accordée aux actionnaires de décider du contenu de cet accord,
qui a suscité l'intérêt du législateur. En effet,
l'efficacité du pacte d'actionnaires est une question récurrente
en droit des sociétés, il ne peut, cependant et en aucun cas
contenir des clauses ne respectant pas le droit des sociétés et
allant à l'encontre des statuts.
Décider du contenu d'un pacte d'actionnaires en y
insérant les bonnes clauses n'est pas chose facile. Il est
nécessaire de se faire bien accompagner et conseiller, afin de s'assurer
de l'efficacité de l'acte extrastatutaire et de garantir sa
validité au point de vue du droit marocain, évitant ainsi son
inexécution. Ainsi faut-il adapter les clauses à la forme sociale
de la société en question et des objectifs poursuivis par les
signataires. Ces derniers se doivent d'être particulièrement
minutieux, étant donné l'importance que revêt ce pacte.
Il convient de souligner à cet égard que toutes
ces prérogatives suscitent bien des interrogations.
En quoi se présente le formalisme du pacte d'actionnaires
?
Quelles sont les limites de la liberté contractuelles
accordée aux parties ?
Et quelle est l'étendue de mise en oeuvre des clauses
pouvant y figurer ?
10
Afin de répondre convenablement aux problématiques
de notre étude, et dans le but de procéder à l'analyse
conceptuelle qui en découle, il convient, à priori, de structurer
notre travail en deux parties subdivisées en deux chapitres :
La première partie aura vocation à traiter les
règles relatives à la formation du pacte d'actionnaires.
Les dites règles sont divisées en deux :
? Le formalisme du pacte d'actionnaires (Chapitre 1) ? Une
liberté contractuelle encadrée (Chapitre 2)
La seconde partie, quant à elle, sera consacrée
à la mise en oeuvre du pacte d'actionnaires, subdivisée à
son tour en deux chapitres :
? L'exécution du pacte d'actionnaires (Chapitre 1) ?
L'inexécution du pacte d'actionnaires (Chapitre 2)
11
|