Chapitre 4 : les projets dans les transports
Nous avons posé dans les chapitres
précédents différents éléments de contexte
concernant l'état actuel des transports dans le Grand Abidjan, les
enjeux auxquels ils font face et les méthodes mises en place par la
puissance publique pour se donner les moyens de reprendre en main la
planification urbaine et déterminer à échelle de la
métropole les objectifs à atteindre. Dans le présent
chapitre, nous nous attacherons à décrire directement un certain
nombre de projets, ainsi que les logiques qui les animent. Cela nous permettra
d'examiner par l'étude de cas concrets les réalisations
récentes et les perspectives d'avenir à court et moyen terme du
paysage des transports abidjanais.
1- Les projets d'infrastructures à influence
extranationale
Dans cette partie, nous aborderons les projets autour des
infrastructures de transport qui connectent Abidjan au reste du monde. Elles
sont au premier plan des efforts menés par l'État ivoirien pour
faire d'Abidjan une centralité régionale, à l'ambition
continentale.
A) Le Port Autonome d'Abidjan, une infrastructure aux
aménagements nombreux et importants
Comme nous l'avons décrit précédemment,
le PAA a vu depuis le retour de la stabilité en Côte d'Ivoire une
très forte croissance de son trafic annuel, et est donc confronté
depuis dix ans à un défi permanent d'augmentation de ses
capacités d'accueil. Dans le cadre de la concurrence avec les principaux
ports de la région, et de la course à l'insertion de la
mondialisation, les autorités du port ont donc engagé, et
même parfois déjà achevé, des projets
d'infrastructures mobilisant d'importants moyens. Nous allons décrire
les principaux d'entre eux ci-après.
Modernisation du port de pêche
Le port d'Abidjan est le premier port thonier d'Afrique. Le
trafic des pêcheurs y est donc important, et nécessite certaines
infrastructures pour le traitement de la cargaison à quai. En
2012, le port de pêche existant à Abidjan
présentait certains défauts17 : les infrastructures
étaient dans un état général assez vétuste,
un problème flagrant de place disponible pour les activités
industrielles se posait déjà depuis plusieurs années. Par
ailleurs, le coût d'entretien des infrastructures, du fait de leur
mauvais état, s'élevait à 350 millions de francs CFA par
an. Enfin, le tirant d'eau proposé, alors de sept mètres,
n'était plus suffisant pour accueillir les navires de pêche dont
la tendance actuelle est, comme pour les porte-conteneurs, à la
croissance de taille. Pour pallier les divers manques du port de pêche,
un projet a été lancé, avec un objectif politique
affiché : « l'ambition du président est de réduire
significativement le taux de dépendance de la Côte d'Ivoire en
matière de consommation de produits halieutiques. Et que cet ouvrage
garantira la sécurité alimentaire de nos populations », a
déclaré le Premier ministre Daniel Kablan Duncan lors de
l'inauguration de la nouvelle infrastructure en septembre 2015, trois ans plus
tard. La nouvelle infrastructure agit sur l'ensemble des problématiques
énoncées précédemment : plus de huit hectares ont
été remblayés sur l'eau, permettant de gagner de la place
pour aménager de nouvelles infrastructures industrielles,
consacrés en l'occurrence à l'entreposage de conteneurs
frigorifiques et à la réparation des filets. Par ailleurs, les
nouveaux quais, entièrement rénovés, offrent
désormais 460 mètres sur 160 mètres et un tirant d'eau de
huit à dix mètres.
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17 Source : M. Moni, directeur adjoint à la
l'ingénierie et la maîtrise d'ouvrage.
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Photo n°4 : Un navire stationné dans le port de
pêche du Port Autonome d'Abidjan
Source : Gaspard Ostian, 2021
Cette image (PHOTO 4), prise sur la partie Ouest du port de
pêche qui présente trois faces, illustre les évolutions
décrites précédemment. On observe le bon état des
infrastructures, ainsi que la place disponible, qui permet d'entreposer des
filets en attente d'être réparés ou chargés
directement sur le quai sans gêner le passage.
Élargissement et approfondissement du canal de
Vridi
Les installations du PAA sont situées principalement
dans la commune de Treichville, sur la lagune Ébrié. Le canal de
Vridi est l'aménagement qui connecte l'océan à la zone
portuaire située sur la lagune. C'est donc la porte d'entrée et
de sortie du port pour les navires qui arrivent et repartent, ce qui en fait un
aménagement d'importance logistique de premier plan pour le trafic.
Avant les travaux récents, le canal de Vridi était un facteur
limitant pour les capacités d'accueil du PAA : sa taille réduite,
notamment à l'embouchure, empêchait l'accueil de navires de plus
de 260 mètres de long et 11,50 mètres de tirant d'eau. Cela
posait problème pour les porte-conteneurs, qui sont les navires
commerciaux aux plus fortes dimensions. Par
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ailleurs, l'étroitesse du canal imposait des
délais d'attente aux navires, d'une dizaine d'heures par jour en moyenne
selon les autorités du port. Le canal était donc responsable
d'une carence en compétitivité du PAA en matière d'accueil
des navires. Des travaux ont donc été lancés pour pallier
ces manques, et le nouveau canal de Vridi a été inauguré
en février 2019. Peuvent désormais y transiter des navires sans
limitation de longueur, et d'un tirant d'eau allant jusqu'à seize
mètres. À titre de comparaison, le record de tirant d'eau d'un
navire mesuré dans le port de Rotterdam est de 17,30 mètres, et
le tirant d'eau du Marco-Polo de la CMA-CGM, qui était le plus grand
porte-conteneur au monde dans le début dans années 2010, est de
seize mètres. La logistique accrue permise par ces nouvelles
capacités permet un gain de temps pour les navires, ce qui est un
paramètre important de la compétitivité d'un port. Par
ailleurs, l'accueil de plus grands navires permet des économies
d'échelle lors des opérations de déchargement, pour les
chargeurs comme pour les armateurs. Par le biais des travaux
réalisés dans le canal de Vridi, le port d'Abidjan s'affirme donc
comme un port au niveau des réalités techniques du commerce
maritime mondial.
Le deuxième terminal à conteneurs :
Côte d'Ivoire Terminal
Il s'agit, selon M. Moni, le directeur adjoint à
l'ingénierie et à la maîtrise d'ouvrage du PAA, du projet
central de la décennie. Les conteneurs sont aujourd'hui
emblématiques du commerce maritime mondial. Or, le trafic des conteneurs
est très vite apparu comme le point faible le plus flagrant du port
d'Abidjan, du fait des importantes limites de sa capacité d'accueil des
porte-conteneurs. Le premier terminal à conteneurs, « Abidjan
Terminal », ne permet qu'un accueil de navires de 11,50 mètres de
tirant d'eau et l'accueil d'un million d'EVP (équivalent vingt pieds)
annuel, bien que la demande soit largement supérieure. En comparaison,
le port de Dakar peut accueillir des navires de treize mètres de tirant
d'eau, et celui de Lomé quinze mètres. L'aménagement du
nouveau terminal à conteneurs, « Côte d'Ivoire Terminal
», doit permettre de disposer d'infrastructure modernes, capable
d'accueillir des navires de seize mètres de tirant d'eau, et d'augmenter
les capacités d'accueil de 1,2 million d'EVP par an dès la
première phase de développement. Les travaux ont
été lancés en octobre 2020, et sont prévus pour
durer jusqu'à fin 2021. L'objectif affiché du port est par cet
aménagement de se positionner en leader dans le trafic des conteneurs
dans la région, dans l'objectif de repositionner durablement le PAA, qui
fait face à une concurrence acharnée, comme le hub-port
de la façade Atlantique de l'Afrique.
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Aménagements connexes et bilan
décennal
Outre les projets que nous avons décrits, plusieurs
réalisations ont été achevées ou lancées sur
la dernière décennie. Nous pouvons mentionner le nouveau terminal
roulier, dit ro-ro18, aménagé pour
répondre à l'augmentation de la demande d'importation de
véhicules, pour faire de la place pour le nouveau terminal à
conteneurs, et pour suivre les normes internationales du tirant d'eau des
navires rouliers de plus en plus gros. Pour répondre au besoin de place,
un vaste remblaiement a été effectué sur la lagune dans la
baie de Bietry, qui a permis de gagner 40 hectares de terrain. Par ailleurs, un
terminal céréalier est en construction depuis janvier 2020.
L'ensemble des projets réalisés ou lancés
depuis dix ans dans le port d'Abidjan totalisent, selon M. Moni, 1 500
milliards de francs CFA d'investissements, soit 2,3 milliards d'euros environ.
Cela équivaut à plus d'un vingtième du PIB ivoirien, ce
qui est considérable. Ces investissements massifs ont abouti à
des réalisations nombreuses, importantes et rapides qui donnent au PAA
un visage modernisé. Celui-ci semble ainsi relever avec succès le
double défi de l'absorbation la croissance du trafic et de la
concurrence régionale.
B) L'augmentation des capacités dans le domaine
aérien
L'aéroport d'Abidjan diffère du port en ce qu'il
est une infrastructure de transport humain avant tout, et non de marchandises.
Son succès, plus que pour le port, ne dépend donc pas que des
capacités techniques d'accueil qu'il présente, mais
également de son offre d'accueil au sens humain. Deux aspects sont ainsi
importants : l'expérience passager qu'il offre, et l'image qu'il
renvoie. Bien entendu, un aéroport n'est qu'un lieu de transit la
plupart du temps non-concurrencé localement pour une destination
précise. On ne se rend pas à une destination pour son
aéroport, en revanche l'aéroport est pour un voyageur la
première impression qu'il a de sa destination. L'image de
l'aéroport d'Abidjan est donc une pièce importante de l'image que
renvoie Abidjan, et donc de son attractivité. De ce fait,
l'appréciation des passagers de leur expérience de
l'aéroport d'Abidjan contribue à l'attractivité plus
générale de la ville d'Abidjan, qui contribue donc à la
croissance annuelle de passagers dans l'aéroport d'Abidjan. Deux aspects
occupent donc les dirigeant de la société Aeria qui s'occupe de
la gestion de l'aéroport : l'amélioration des capacités
d'accueil, et l'amélioration de la qualité de l'accueil
proposé.
18 Abréviation de « roll-on roll-off
».
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Le développement des capacités de
l'aéroport
Nous l'avons vu précédemment, l'aéroport
FHB connaît depuis 2012 une très importante croissance de sa
fréquentation annuelle, passée de moins d'un million en 2012
à plus de deux millions en 201919. L'aérogare actuelle
n'est prévue que pour l'accueil de deux millions de passagers par an, ce
qui met l'aéroport sous pression et provoque des congestions à
l'heure de pointe. De la même façon, la pression s'est accrue sur
le trafic de l'unique piste de décollage et d'atterrissage. Pour faire
face, quatre projets principaux ont été réalisés ou
lancés sur la décennie dans l'aéroport. D'abord, une
aérogare d'affaires a été construite au début des
années 2010, pour accueillir notamment les vols privés. Un vaste
projet d'augmentation des capacités de parking a été
mené depuis les années 2000, faisant passer le nombre d'aires de
stationnement de deux à vingt aujourd'hui. Du côté de la
piste, deux évolutions majeures ont vu le jour : d'abord, la piste a
été adaptée pour permettre l'accueil de l'A380, l'un des
plus gros avions au monde. Un vol inaugural a été
réalisé en 2014 par la compagnie Air France. Ensuite, afin de
démultiplier les capacités de mouvement des avions sur la piste,
un taxiway a été aménagé en
parallèle de la piste, ce qui permet d'éviter son
encombrement.
Le principal projet est à venir : il s'agit de
l'extension de l'aérogare, qui sature aujourd'hui aux heures de pointe.
Le projet, initialement gagné par une compagnie chinoise, a finalement
été récupéré par le français
Bouygues, et portera les capacités d'accueil de deux millions de
passagers par an aujourd'hui à cinq millions après les travaux.
Si le chantier n'a pas encore commencé, un accord en vue du lancement
des travaux a été signé le 30 avril 2021 entre le ministre
ivoirien des transports Adama Coulibaly et le ministre français de
l'économie et des finances Bruno Lemaire.
L'amélioration de l'accueil au sein de
l'infrastructure
En-dehors de la volonté d'être le hub
d'Afrique de l'Ouest, M. Tah Rodrigue, chef du département des
opérations aéronautiques de l'aéroport, présente
deux autres objectifs20 : faire de FHB un aéroport vert, et
le porter à la pointe de la technologie. Pour ce faire, il
développe plusieurs stratégies :
1/ Bonifier la compétence organisationnelle. Il y a de
la compétition avec Dakar et Accra. Il faut améliorer le capital
humain du personnel, ce qui passe par l'embauche mais aussi la formation.
19 Le maximum connu avant la
décennie de crise était de 1,25 million de passagers en 1998.
20 Entretien réalisé le
15 février 2021 dans les locaux d'Aeria.
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2/ Labelliser toutes les pratiques opérationnelles.
L'idée est que les usagers sachent qu'ils ont affaire à de vrais
professionnels. Pour cela, l'aéroport a obtenu ou s'applique à
obtenir divers certificats comme le certificat ISO, TSA, carbone, etc.
3/ Relever le niveau technique. Cela concerne les infrastructures
et équipements notamment. 4/ Consolider les acquis en redevances
aéronautiques et en avoir de nouvelles, en redevances
extra-aéronautiques, avec la construction d'hôtels par exemple.
5/ Faire de la communication et du marketing pour être
attractifs.
6/ Introduire plus de technologie, améliorer les
procédures automatisées. Cela implique d'aller davantage vers les
interactions homme-machine, par exemple les enregistrements sur borne des
passagers.
7/ Établir un nouveau mode de management, qui fonctionne
désormais par objectifs.
L'aspect moderne d'un aéroport passe beaucoup par
l'intégration des nouvelles technologies de l'information et de la
communication (NTIC) dans l'expérience voyageur. Pour cela, plusieurs
choses ont été faites : la création du site internet
d'abord, qui affiche les informations de vol en direct. Des écrans
d'information voyageur ont également été installés,
ainsi que des micros et des haut-parleurs dans l'aérogare pour diffuser
des annonces sonores.
Une fois l'aérogare achevée, après
l'ensemble des autres réalisations récentes que nous avons
décrit, l'aéroport FHB pourra être considéré
comme une infrastructure ayant relevé un premier défi de
croissance et d'amélioration de son attractivité. Cette
montée en puissance a permis à certains acteurs de lui manifester
leur confiance, comme par exemple quand Air Côte d'Ivoire, nouvelle
compagnie aérienne ivoirienne créée en 2012 après
l'échec d'Air Ivoire, a choisi de faire de l'aéroport d'Abidjan
son hub, c'est-à-dire sa principale base logistique. En 2015, le groupe
franco-néerlandais Air France-KLM a manifesté sa volonté
de faire d'Abidjan son hub régional pour le transport de passagers en
Afrique de l'Ouest. « Vu d'Europe c'est la partie en très fort
développement dans les cinq à dix ans », a souligné
M. de Juniac, le PDG d'Air France, dont le projet prévoit de faire
également de Nairobi, la capitale du Kenya, un hub pour toute l'Afrique
de l'est. Les évènements semblent donc sourire à
l'aéroport FHB, qui est même parvenu à surpasser en trafic
l'aéroport de Dakar, son principal concurrent de l'aire francophone
régionale. Néanmoins, un classement d'Atlasocio de 2020
révèle que l'aéroport d'Abidjan était en 2018
à la 28e place des aéroports du continent africain, loin
derrière Lagos, Abuja ou Accra (13e, 21e et 23e), ce qui relativise de
beaucoup son importance actuelle.
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C) Un secteur ferroviaire de plus en plus marchand
L'activité ferroviaire est depuis 1995
concédée à la Société internationale de
transport africain par rail (SITARAIL), filiale du groupe Bolloré
Transport & Logistics. Cette concession est issue de la vague de
libéralisation imposée après la crise des années
1980 par les institutions financières internationales, afin de
réaliser des économies. Le trafic passager, qui avait
déjà considérablement chuté, passant de 350 000
voyageurs en 1980 à moins de 50 000 en 1995, a continué de
baisser, du fait de mesures prises par la compagnie en faveur du transport de
marchandises. Le nombre de gares sur le territoire ivoirien a continué
de se réduire, et aujourd'hui, 90% du trafic sur la ligne se fait entre
Abidjan et le Burkina Faso, à des fins principalement commerciales.
Cette dynamique s'inscrit, comme pour le secteur aérien et portuaire,
dans un contexte régional concurrentiel : le corridor ivoirien
d'accès à la mer est fortement concurrencé par celui du
Ghana, du Togo et du Bénin par exemple.
De ce fait, des investissements ont été
mobilisés et des projets mis en place pour développer le
potentiel du corridor ivoirien. Ils se composent de trois volets principaux :
la rénovation des infrastructures, la prolongation de la ligne vers le
nord du Burkina et l'acquisition de nouveaux matériels roulants. Le
programme de modernisation des infrastructures et de rénovation des
équipements est chiffré à 600 millions d'euros, dont
presque la moitié sur la première phase entre 2019 et 2023. Il
prévoit entre autres le renouvellement complet de la voie sur des zones
identifiées, la rénovation de plusieurs gares, la consolidation
et la réhabilitation des ouvrages d'art et hydrauliques ainsi que des
travaux d'assainissement le long de la ligne et dans les gares, comme celle de
Port-Bouët à Abidjan par exemple.
L'idée du prolongement de la ligne, qui n'est pas
récente, a vu naître un très vaste projet de boucle
ferroviaire (CARTE 7), entre Abidjan et Cotonou, passant par le Burkina Faso,
le Niger, et se prolongeant à l'Ouest de Cotonou vers Lomé au
Togo. La ligne projetée aurait atteint 3 000 kilomètres, dont
plus de 1 000 kilomètres à construire. Malgré un
début prometteur au Bénin, et une centaine de kilomètres
de voies construite au Niger, le projet a été avorté du
fait de la remise en cause du groupe Bolloré à mener ces travaux,
notamment par le Bénin.
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Carte n°7 : Le projet avorté de boucle ferroviaire
en Afrique de l'Ouest
Source : Jeune Afrique Économie, 2015
Ainsi, le prolongement de la ligne qui reste
d'actualité ne concerne que la localité de Kaya, au Nord-Est de
Ouagadougou, ville minière au potentiel d'exportation conséquent.
Ce prolongement est d'une importance majeure pour le trafic commercial de la
ligne, car au terme du projet, sur une capacité totale projetée
de 5 millions de tonnes de marchandises par an, la moitié devrait
provenir des mines de Kaya.
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