3- Ses moyens d'action : l'arsenal administratif mis en
place pour des efforts de planification urbaine
Les différents enjeux que nous avons identifiés
au niveau des transports à Abidjan doivent, pour les autorités en
charge de la planification, faire l'objet d'études et d'analyses
précises afin d'améliorer la connaissance du territoire pour
déterminer des marches à suivre. Pour ce faire, la puissance
publique déploie des moyens spécifiques que nous allons
décrire ici.
A) Le retour d'une autorité centrale de la
mobilité à échelle métropolitaine : l'AMUGA
La politique ivoirienne en matière de transports,
au-delà de l'amélioration du cadre législatif, juridique
et infrastructurel, vise à organiser les activités de transport,
favoriser le développement du secteur, promouvoir une offre de service
suffisante et de qualité, favoriser l'accès aux transports pour
toutes les couches socio-professionnelles, et favoriser l'accès des
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transporteurs aux crédits bancaires (Kassi-Djodjo,
2020). Pour la mise en oeuvre de ces politiques, l'État
privilégie un mode d'action consistant en la création de
structures dédiées à certaines tâches, mises sous sa
tutelle le plus souvent via le ministère des transports ou des
infrastructures. Sur ce modèle sont créées des structures
comme la Société ivoirienne de contrôle technique
automobiles et industriels (SICTA), ou la Société nationale des
transports terrestres (SONATT). L'une des plus importantes actuellement est
l'Agence de gestion des routes (AGEROUTE) qui se consacre au très
important effort de développement des infrastructures et
équipements routiers mené actuellement par la Côte d'Ivoire
sur l'ensemble du territoire national.
Dans le contexte abidjanais, une structure a été
créée en 2000 avec pour rôle supposé de s'occuper de
la gestion de la mobilité à Abidjan : il s'agit de l'Agence de
gestion des transports urbains (AGETU). Cette entité, apparue dans un
contexte politique complexe, n'a jamais pu exercer son activité comme
elle le devait, du fait d'importantes tensions et mésententes au sein
même des différentes administrations publiques. Notamment, le flou
législatif laissé autour des prérogatives des
différentes administration territoriales, à savoir le district et
les communes, n'a pas permis à l'AGETU de coordonner efficacement
l'ensemble des activités de transport public. Les insolubles conflits de
compétences ont mené à un échec de son
activité, et à sa dissolution quinze ans après sa
création (Kassi-Djodjo, 2020). Abidjan est alors laissée pendant
plusieurs années sans autorité centralisée de gestion des
transports sur le territoire du Grand Abidjan.
Ce n'est que récemment que l'État a
décidé de palier à ce vide, et relancé une
initiative similaire à l'AGETU : il s'agit de l'Autorité de la
mobilité urbaine dans le Grand Abidjan (AMUGA). Il s'agit d'une
autorité administrative indépendante (AAI) dotée de la
personnalité juridique et de l'autonomie financière. Dans les
faits, cette structure est l'organisme public chargé de réaliser
les objectifs fixés par le SDUGA. Ainsi, « l'AMUGA assure, dans
le Grand Abidjan, la gouvernance institutionnelle de la mobilité urbaine
définie comme étant le transport urbain et la circulation des
personnes et des marchandises au sein d'un territoire délimité,
ainsi que les infrastructures et les équipements nécessaires au
transport, les moyens de transport, les services liés au transport et
aux déplacements sur ce territoire15 ».
15 Source : site internet de l'AMUGA, 2021.
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L'AMUGA dispose de onze prérogatives principales pour
mettre en place sa politique. Elle est ainsi chargée :
1/ D'anticiper les évolutions résultant du
développement territorial du Grand Abidjan par l'élaboration d'un
plan de déplacements urbains (PDU), applicable au
périmètre des transports urbains ;
2/ De définir et déployer une politique unique,
structurée, homogène et cohérente de transport et de
mobilité urbaine à l'intérieur du périmètre
des transports urbains ;
3/ D'éditer et de délivrer les autorisations
relatives aux services des transports urbains ;
4/ D'assurer le contrôle de l'application et du respect
des règles par tous les acteurs ;
5/ D'étudier, de mettre en place et de gérer les
redevances et taxes résultant de l'activité transport
exercée à l'intérieur du périmètre des
transports urbains ;
6/ De définir et d'organiser le réseau urbain
routier, ferroviaire et fluvio-lagunaire de transport maillé à
l'intérieur du périmètre des transports urbains ;
7/ De définir et d'organiser la mise en concurrence des
opérateurs des transports urbains ; 8/ De mesurer la performance du
système des transports urbains ;
9/ De programmer et de contractualiser avec les structures
compétentes de l'État en vue de réaliser les
aménagements d'infrastructures de transport, de mobilité et de
stationnement ainsi que les moyens de transport adaptés ;
10/ De porter et d'assurer la maîtrise d'ouvrage
déléguée des projets d'investissements de transport public
;
11/ D'être l'interlocuteur de l'ensemble des acteurs
économiques et institutionnels en activité à
l'intérieur du périmètre des transports urbains pour tout
sujet relatif à la mobilité urbaine, notamment les sujets
relatifs à l'intégration et la réalisation des plateformes
technologiques.
Cette structure, née en janvier 2020, est encore trop
jeune pour que l'on puisse dresser un bilan pertinent de ses agissements.
Néanmoins, force est de constater par cette liste de prérogatives
que l'objectif de l'État à travers l'AMUGA est de disposer d'un
contrôle très large et resserré sur les différents
aspects de la mobilité abidjanaise, en essayant de l'imposer comme
l'interlocuteur privilégié des différents acteurs, et en
lui donnant des fonctions de décision et de contrôle dans de
nombreux domaines signifiants.
B) Des objectifs chiffrés et délimités
dans le temps
Les autorités planificatrices, pour atteindre leurs
objectifs, suivent une méthode que nous allons décrire ici. Afin
de garantir la meilleure marche à suivre, dans la conception des
objectifs comme dans la manière de les réaliser, elles s'appuient
sur des études et rapports de terrain. Ces documents permettent ensuite
d'avoir une meilleure connaissance du territoire, et sur les leviers d'action
que l'on a dessus. La connaissance la plus précise de ces
différents paramètres, combinée à l'étude
des moyens à disposition, permettent de dégager des
stratégies et des plans d'action pour la planification. Par ailleurs,
une étude peut également mettre en lumière la
nécessité d'en produire une autre sur un thème en
particulier. Cette approche de l'aménagement, qui se veut très
technique, se manifeste par la production de documents comme le SDUGA, que nous
avons déjà évoqué. Ce dernier fournit
lui-même des documents très complets et précis, comme le
schéma de synthèse du SDUGA (CARTE 6), qui présente un
résumé de l'étude de terrain et des préconisations
faites pour l'horizon 2030 dans le Grand Abidjan.
Carte n°6 : Carte de synthèse du Schéma
directeur d'urbanisme du Grand Abidjan
Source : mission d'étude de la JICA, 2015.
77
78
Nous avons ici beaucoup décrit les parties concernant
le transport du SDUGA. Mais un plan de transport s'insère bien entendu
dans un contexte territorial, dont il faut avoir une vision claire. Le mode de
représentation cartographique du territoire permet cette vue d'ensemble.
Le schéma de synthèse donne quelques détails concernant le
potentiel constructible du territoire, par exemple en représentant les
zones inconstructibles ou bien les aires protégées. Il met en
valeur les densités de population, et les zones à forte
concentration d'activités industrielles ou commerciales. Rappelons que
la connaissance précise du territoire n'est pas encore acquise dans le
Grand Abidjan, puisque le SDUGA précise lui-même dans les propos
introductifs que seuls 54% de la superficie totale des sols ont pu voir leur
occupation spécifiée. Ainsi, ce schéma contextualise le
plan de transport qu'il propose dans une représentation cartographique
précisant le cadre administratif utile, ainsi que certaines
données économiques et sociodémographiques
localisées.
La production de ces études permet de donner des
objectifs chiffrés et délimités dans le temps. L'horizon
général du SDUGA est l'année 2030, mais il permet de
diviser la procédure en une multitude d'objectifs complémentaires
dont la réalisation doit suivre des objectifs en termes de dates de
rendu. Il est à noter que, d'après les observations
réalisées sur le terrain et les recherches faites en
parallèle, les objectifs annoncés en termes d'aménagement
ont souvent tendance à être très optimistes. Le retard
semble être la norme, et les bornes chronologiques sont souvent plusieurs
fois reculées. Un exemple signifiant est la construction du
quatrième pont d'Abidjan, qui est en toujours en cours. La date de
livraison annoncée était le 30 septembre 2020. Une visite
à proximité des travaux réalisée en janvier 2021
m'a permis de constater un retard important, malgré mon absence de
qualification dans le domaine de la construction, puisque quatre mois
après la date de livraison initialement prévue, l'ouvrage ne
semblait pas près d'être fini (PHOTO 3). Les exemples en la
matière sont nombreux. Mais il existe aussi des précédents
d'importants ouvrages livrés sans retard : le troisième pont
d'Abidjan, ouvrage massif de plus d'un kilomètre de long, a
été livré environ deux ans et demi après le premier
coup de pioche donné par Alassane Ouattara16.
16 Il s'agissait néanmoins d'un projet
lancé quinze ans auparavant, qui n'avait jamais pris du fait notamment
des difficultés du pays sur la période.
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Photo n°3 : L'état d'avancement du 4e
pont au 14 janvier 2021
Source : Gaspard Ostian, 2021.
Ainsi, la planification dans le Grand Abidjan s'appuie sur une
double approche d'étude du territoire et de projection d'objectifs
délimités dans le temps. Le choix de ce mode d'action montre la
volonté des autorités de se placer dans une logique techniciste
d'efficacité, semblable à ce que l'on peut trouver dans les
principaux noeuds de l'archipel métropolitain mondial.
C) La mise en place de cellules d'action
spécialisées et éphémères
Nous venons de décrire le processus de fabrication des
objectifs de la planification. Dans les transports, pour remplir les objectifs,
des cellules d'action spécialisées sont mises en place. Ces
cellules disposent de locaux, et rassemblent des équipes
recrutées pour leurs compétences ainsi que des moyens
spécifiquement alloués. Deux des principales cellules en ce qui
concerne les transports et la mobilité abidjanaise sont le Projet de la
mobilité urbaine d'Abidjan (PMUA) et le Projet de transport urbain
d'Abidjan (PTUA). Nous allons les présenter ici, car ceux sont deux
entités majeures de l'avenir du transport abidjanais.
Le Projet de mobilité urbaine d'Abidjan
Les informations données ici sont issues d'un entretien
avec le coordinateur adjoint du PMUA, Ali Coulibaly, réalisé le
18 février 2021 dans les locaux de l'unité de coordination du
projet. Le PMUA, mis en vigueur le 13 février 2020, est un projet
financé principalement par
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l'AFD et la Banque mondiale, ainsi que des partenaires
privés. Les crédits alloués s'élèvent
à 540 millions de dollars de la part des deux bailleurs de
développement, ce à quoi s'ajouteront les sommes versées
par les partenaires privés, encore inconnues car elles interviendront
dans la construction du bus rapid transit (BRT). L'objectif
général du projet est d'améliorer la mobilité des
populations pour aller dans les zones d'emplois, ce qui en fait selon Ali
Coulibaly « un projet à visée économique permettant
d'améliorer la compétitivité de la ville ». Il s'agit
d'un projet prévu sur six ans, fait de quatre composantes principales :
1/ construire la première ligne de BRT, 2/ fournir un appui
matériel au transport public de la SOTRA, 3/ fournir une aide au
transport artisanal pour renouveler la flotte, et 4/ développer le
capital humain abidjanais en matière de compétences dans le
domaine des transports en finançant des formations. Le projet
dépend du ministère des transports, et, comme il s'agit d'un
projet multisectoriel, agit en collaboration avec d'autres cellules
spécialisées dans les projets de transport comme l'AGEROUTE pour
les infrastructures routières. Le coordinateur du projet est le
directeur général de l'AMUGA.
Le projet de transport urbain d'Abidjan
Les informations données ici sont issues d'entretiens
réalisés avec le chef de l'unité « ouvrages » du
PTUA, M. Dosso, et le chef d'unité « aménagements connexes
et renforcement institutionnel », M. Koffi, réalisés le 2
février 2021 dans les locaux du PTUA. Le PTUA a été, selon
M. Dosso, créé à la suite des constats dressés par
le SDUGA. Son objectif général est d'améliorer la
fluidité routière et les conditions de circulation à
Abidjan, qui perturbent l'économie et la compétitivité de
la ville. Les principaux bailleurs sont la Banque mondiale, le Fonds
environnemental mondial (FEM) et l'État de Côte d'Ivoire. Le PTUA
n'a pas de liens directs avec le ministère des transports, mais
dépend en tant que projet infrastructurel de l'AGEROUTE et du
ministère de l'équipement et de l'entretien routier. Il est
composé de trois unités : celle de M. Dosso s'occupe des ouvrages
d'art, ce qui englobe le suivi de la construction du quatrième pont et
la construction de trois échangeurs sur le boulevard Mitterrand, l'un
des plus congestionnés de la ville. L'unité de M. Koffi s'occupe
des activités qui accompagnent les infrastructures pour améliorer
la mobilité, comme la mise en place et le respect d'une
réglementation, l'installation d'équipements de signalisation, la
création d'espaces verts, etc. La troisième unité s'occupe
des projets routiers, c'est-à-dire de construction de nouvelles routes
comme la rocade Y4 prévue autour de la ville, ou encore de la
réhabilitation de certains axes existants.
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Ces entités, le PMUA et le PTUA, sont à vocation
éphémère puisqu'elles devraient normalement
disparaître lorsque leurs objectifs auront été atteints. On
constate dans les propos tenus par les directeurs interrogés que les
objectifs principaux des projets se concentrent sur des retombées
économiques positives. Nous y reviendrons plus tard dans l'analyse.
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