2- Les enjeux identifiés au niveau des transports
La présente partie se consacre au travail
l'identification des enjeux dans les transports sur le territoire du Grand
Abidjan. Cette partie théorique introduit une présentation
précise des projets mis en place pour répondre aux enjeux
identifiés ici, qui viendra après.
A) Une mobilité urbaine à restructurer
De la lecture du SDUGA et des échanges avec le
directeur de la contractualisation et des aménagements à l'AMUGA,
nous pouvons déterminer, au niveau de la mobilité urbaine, une
série d'enjeux visant à la restructurer en profondeur, dans une
logique de densification des réseaux et des flux.
Les enjeux au niveau des infrastructures
routières
Le réseau routier du district d'Abidjan compte
près de 1800 kilomètres de routes, dont moins de la moitié
est revêtue de goudron (SDUGA, p.17). Le réseau routier est
caractérisé par des chaussées dégradées, des
liaisons manquantes et une capacité insuffisante. La congestion du
trafic peut être constatée partout sur le réseau routier
aux heures de pointe, sur des plages horaires de plus en plus larges, et rien
n'a pu être encore fait qui soit suffisant pour inverser cette tendance.
Beaucoup de projets routiers ont été planifiés depuis des
années mais n'ont pas encore été réalisés,
ce qui accentue la pression sur le réseau routier existant. Le
réseau des axes principaux de la ville est globalement revêtu,
mais le réseau secondaire, qui constitue le maillage le plus fin, est
encore majoritairement fait de pistes. Cela pose des problèmes
concernant la vitesse de circulation sur ces axes, mais également pour
assurer leur entretien.
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Les épisodes de pluie tout particulièrement,
combinés au passage des véhicules dégradent fortement les
pistes. Cela est particulièrement visible dans la commune
d'Adjamé, qui abrite de très nombreuses gares routières :
les espaces de manoeuvre des véhicules, souvent non revêtus, sont
dans un très mauvais état, ce qui est très contraignant
les jours de pluie.
Par ailleurs, le réseau routier existant n'a pas
été développé en prenant suffisamment en compte les
transports en commun, dont l'importance est remise au centre par le SDUGA.
L'objectif est le suivant : aménager le réseau routier de
façon à ce qu'il permette la co-circulation entre les transports
en commun et les autres véhicules, et de cette façon valoriser
leur utilisation. Cet objectif vient du constat de la diminution de
fréquentation des transports publics sur les dernières
années. Mais si la fréquentation des transports publics a
baissé, celle des modes de transport artisanaux n'a pas diminué,
au contraire. L'idée sous-jacente est claire : cette revalorisation du
réseau routier en faveur des transports en commun doit s'accompagner
d'un renforcement du transport en commun sous des formes et organisations
formelles, que ce soit d'une exploitation publique ou privée.
Concrètement, le SDUGA préconise pour parvenir à cet
objectif de créer sur les routes aménagées suffisamment de
voies pour pouvoir partager la chaussée entre les usagers classiques et
les transports en commun, en réservant à ces derniers des voies
dédiées. Sept kilomètres de voies dédiées
aux bus existent déjà dans Abidjan, principalement dans la
commune du Plateau. L'objectif est donc de généraliser ces
aménagements afin d'offrir une véritable plus-value aux
transports en commun.
Un troisième aspect de l'analyse du SDUGA réside
dans la problématique de la co-circulation sur les routes entre les
mobilités humaines et le transport de marchandises. Cela entretient la
congestion routière car les poids-lourds, volumineux et lents, roulent
avec les petits véhicules sur des axes aux capacités
insuffisantes. L'enjeu ici serait donc, comme pour les transports en commun, de
ségréger l'espace routier, afin de dissocier les flux marchands
du reste, pour limiter la congestion. Cela implique la création d'axes
dédiés et de routes alternatives.
Les enjeux concernant le contrôle et la gestion du
trafic
À Abidjan, les difficultés dans les
déplacements liées à la congestion routière ont des
conséquences sur toute la population, en termes de temps perdu, de
coût du déplacement, de conséquences écologiques et
de santé publique des gaz d'échappements, etc. Un rapport de la
Banque mondiale de 2019 pointe le fait que les ménages abidjanais
passent en moyenne trois
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heures par jour dans les transports. Il y a plusieurs
éléments d'explication à la congestion routière
abidjanaise. L'un d'entre eux, probablement le plus important, concerne les
trop faibles capacités du réseau routier en matière
infrastructurelle. Mais l'analyse du SDUGA pointe un autre paramètre sur
lequel il préconise de jouer : le comportement routier des usagers. Cela
implique l'instauration de règles plus contraignantes et de moyens pour
les faire respecter. Par exemple, l'indiscipline des usagers, notamment aux
carrefours, a des conséquences sur la congestion du trafic. De la
même façon, les embouteillages sont très souvent
causés par des pannes de véhicules du fait de leur mauvais
état. Le non-respect des règles et le mauvais état de
nombreux véhicules augmentent également les accidents de la route
et leur gravité, ce qui a des conséquences directes sur le trafic
routier à échelle de toute l'agglomération. Pour lutter
contre cela, le SDUGA s'inspire de politiques déjà à
l'oeuvre au moment de sa rédaction à Abidjan : la mise à
niveau du contrôle par feux tricolores, la mise en oeuvre des
systèmes d'information sur le trafic, la gestion du trafic sur les
autoroutes, le contrôle des véhicules en surcharge, l'application
du règlement de la circulation. Il recommande de renforcer les moyens
mis en oeuvre dans ces domaines.
Les enjeux concernant le transport public
Sur cette question, nous mêlerons les
préconisations du SDUGA aux propos du directeur de la contractualisation
et des aménagements de l'AMUGA dont les propos ont été
recueillis lors d'un entretien le 28 janvier 2021. Sur la question des
transports en commun, le SDUGA prend position en faveur d'un renforcement du
transport public aux dépens du transport artisanal. Il est à
noter qu'au moment de la rédaction de ce texte, les transports public et
formel désignaient la même chose à Abidjan, puisque la STL
et Citrans n'exploitaient pas encore la mobilité lagunaire. Pour les
auteurs du rapport, la ligne directrice est éloquente : « En
termes de transport urbain, la priorité doit être donnée
à la mobilité des personnes et non à la circulation des
voitures ». Ce positionnement implique donc une favorisation du
transport en commun, qui a des conséquences positives pour
l'écologie et sur la congestion routière. Il répond
à une réalité statistique paradoxale : à Abidjan,
le système routier semble être pensé principalement pour
les voitures individuelles, alors que la majorité des personnes
effectuant des déplacements motorisés le fait en transport en
commun (artisanal ou formel).
L'un des enjeux soulevés par le SDUGA et le
représentant de l'AMUGA est la sous-exploitation du plan d'eau
lagunaire. Même si ce secteur a été fortement
dynamisé depuis l'arrivée des deux nouveaux acteurs formels, la
STL et Citrans, l'offre actuellement disponible
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reste encore bien loin des 800 000 voyageurs quotidiens
potentiels évalués. Les trois acteurs lagunaires
rassemblés aujourd'hui absorbent plutôt un trafic d'un
dixième de la demande potentielle, soit 80 000 voyageurs, même si
ces chiffres sont à prendre avec précaution du fait de la
croissance rapide de la STL et de Citrans. L'intérêt du plan d'eau
lagunaire réside également dans son étendue : ce dernier
n'est pas confiné dans la commune d'Abidjan, et présente la
possibilité aujourd'hui inexploitée de rallier d'autres communes
du Grand Abidjan comme Dabou et Jacqueville à l'Ouest, ou Grand Bassam
à l'Est.
L'un des enjeux majeurs des transports en commun est de
parvenir à mettre en place des axes de transport de masse. En effet,
Abidjan présente actuellement une population importante et une certaine
spécialisation spatiale de son territoire. L'exemple le plus flagrant
est, à l'image de nombreuses centralités urbaines du monde,
l'importance des flux pendulaires en direction du centre, disproportionnelle
à sa population résidentielle. Les migrations pendulaires
polarisées par le centre se font dans des proportions qui
dépassent les capacités des réseaux existants. Cela
engendre des congestions très marquées à l'heure de
pointe, qui tendent de plus en plus à s'étaler à toute
heure de la journée du fait de la croissance du parc automobile
abidjanais. Un élément de solution réside dans la mise en
place d'axes de transport de masse qui permettraient d'augmenter la vitesse de
mobilité moyenne des usagers des transports en commun tout en
réduisant la congestion sur le réseau routier. Une telle
dynamique aurait des externalités positives comme la baisse du
coût de la mobilité et de son impact environnemental.
Concernant le transport artisanal, l'AMUGA a l'ambition de
parvenir à une professionnalisation du secteur. En effet, cette
structure publique vise à porter la mobilité abidjanaise vers la
modernité, à l'image des mobilités observées dans
les grands ensembles urbains des Nords. Cette finalité est incompatible
avec le modèle du transport artisanal. En effet, le terme gbaka
par exemple est issu d'après un chauffeur de taxi compteur
rencontré sur place de la langue Malinké et désigne «
quelque chose de vétuste, vieux, en mauvais état ». Or, la
mobilité moderne voulue par les autorités implique une
activité formelle, avec des conducteurs formés et
compétents, et des véhicules en bon état, respectant des
normes, à l'image de l'offre de transport de la SOTRA.
En résumé, les enjeux de la mobilité
urbaine abidjanaise sont de développer les infrastructures de transport
actuellement insuffisantes, en ségrégant les flux : l'enjeu est
sur la route de dissocier sur différents axes les transports
individuels, marchands et collectifs.
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Parallèlement, il faut soulager la pression sur ces
réseaux en créant des axes de transport en commun de masse et en
déployant des moyens renforcés pour changer les pratiques des
usagers, qui sont pour partie à l'origine des problèmes de
congestion des flux.
B) Des infrastructures de transport international au
défi de la croissance
L'aéroport Félix
Houphouët-Boigny
L'aéroport Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan
se trouve dans la commune de Port-Bouët, dans le Sud de la ville, au bord
de l'océan. Construit dans les années 1970, il est actuellement
le seul aéroport international de Côte d'Ivoire.
Géré initialement par un organisme public, il connaît des
difficultés économiques à partir des années
1980-90, et finit par être concédé en 1996 à une
société privée, Aeria, qui a la charge de l'exploiter et
le développer. Appuyée par l'État, Aeria met alors en
chantier une vaste modernisation de l'infrastructure sur quatre ans, qui
amène en 2001 Abidjan à posséder l'un des aéroports
les plus modernes de la région. Sa capacité de trafic est
notamment portée à ce que l'on connaît actuellement, soit
deux millions de voyageurs par an.
L'aéroport FHB est aujourd'hui confronté
à plusieurs enjeux de croissance. Le premier enjeu touche la croissance
forte du trafic voyageur : légèrement supérieur à
un million de voyageurs par an juste avant la crise de 1999, le trafic a
fortement augmenté depuis 2012 pour dépasser les deux millions de
passagers par an aujourd'hui (hors période de Covid-19). Les
capacités maximales de l'aérogare sont donc aujourd'hui
atteintes, et Aeria doit trouver des solutions pour éviter la congestion
et permettre au trafic de continuer de croître normalement, ce à
quoi il semble promis dans le présent contexte.
Par ailleurs, l'enjeu de développement des
capacités de l'aéroport FHB ne dépend pas que de sa
croissance individuelle de passagers annuels. En tant qu'unique aéroport
abidjanais, son importance à échelle régionale et
continentale fait l'objet de l'attention des autorités dans le cadre de
leurs ambitions régionales. Chez Aeria, l'objectif est clair : devenir
le premier aéroport de la région, devant Lagos. La concurrence
régionale est ardue : l'aéroport de Lagos est encore loin devant,
avec plus de six millions de passagers par an, de même que celui
d'Abudja, qui compte environ quatre millions de passagers annuels. En Afrique
de l'Ouest anglophone, Accra devance également Abidjan avec près
de 2,5 millions de passagers annuels. En Afrique de
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l'Ouest francophone, l'aéroport civil de Dakar Blaise
Diagne est le principal concurrent d'Abidjan. Leurs fréquentations
annuelles sont très proches, toutes les deux supérieures à
deux millions de passagers (avant la Covid-19). Leurs ambitions sont
également similaires : le gouvernement sénégalais affiche
également sa volonté de voir l'aéroport de Dakar devenir
« le premier hub d'Afrique de l'Ouest ». Il apparaît donc que
les discours des autorités et de l'exploitant de l'aéroport FHB,
Aeria, sont à mettre en perspective et à placer dans un contexte
régional particulier. Si Abidjan affiche sa volonté de devenir le
premier hub aérien de la région, il apparaît en
réalité que ce but est encore lointain. À l'heure
actuelle, Abidjan ne peut toujours pas prétendre vraiment au titre de
hub de l'Afrique de l'Ouest francophone. Par ailleurs, la concurrence
régionale est ardue, car toutes les principales métropoles de la
région ont la même ambition pour leur aéroport, et
déploient des moyens comparables à ceux d'Abidjan.
L'un des paramètres qui joue sur la croissance de
l'aéroport, en-dehors de sa desserte, est l'attractivité dont il
jouit auprès des voyageurs. Ainsi, l'une des préoccupations
majeures du personnel d'Aeria est la qualité de «
l'expérience passager » dans l'aéroport. De la même
façon, un aéroport pour améliorer son attractivité
doit renvoyer une bonne image de son activité. La préservation de
l'environnement, par exemple, s'impose de plus en plus comme un standard
incontournable pour les entreprises à échelle mondiale,
même dans des activités très polluantes comme l'aviation.
Nous verrons, lorsque nous aborderons les projets directement, ce qui est fait
à l'aéroport FHB pour se positionner dans ces domaines et
améliorer son attractivité.
Le Port Autonome d'Abidjan
Le Port Autonome d'Abidjan (PAA) est de loin le premier port
de Côte d'Ivoire, et le principal port de la région tout trafic
confondu. Il s'agit d'un établissement public, bien que depuis le
début des années 2000 une vague de concession des
activités ait fortement réduit l'importance du rôle de
l'État dans l'exploitation du port. Cette infrastructure voit transiter
près de 25 millions de tonnes de marchandises par an, et connaît
une croissance importante. Cette infrastructure est la plus importante
économiquement du pays, car plus des deux tiers du PIB national en
dépendent. Principale porte d'entrée et de sortie marchande du
pays, le PAA jouit d'une position de centralité sur le littoral
régional. Par ailleurs, il est fort d'un arrière-pays dynamique,
alimenté notamment par le Burkina Faso, pays enclavé mais
relié directement au PAA par une voie de chemin de fer. Il est l'un des
moteurs des ambitions des autorités
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ivoiriennes en termes de leadership régional, puisque
le domaine portuaire est le seul domaine où la Côte d'Ivoire
parvient à concurrencer voire à s'imposer sur la Nigéria
en volumes.
Les enjeux auxquels le PAA est confronté sont
aujourd'hui multiples. Sa croissance soutenue lui impose une augmentation tout
aussi soutenue de ses capacités, en stockage et en logistique. Face
à la concurrence, une série de capacités techniques
doivent être améliorées constamment. D'abord, face à
l'augmentation de la taille des navires commerciaux en activité dans le
monde, le tirant d'eau est un facteur majeur de l'attractivité d'un
port. Ainsi, la course au plus grand tirant d'eau est acharnée dans la
région. De la même façon, la capacité de traitement
des conteneurs, emblématiques du commerce maritime mondial, concentre
une importante attention. Dans le cas plus précis du PAA, d'autres
enjeux plus localisés se posent à lui, comme la demande pressante
de l'augmentation des capacités industrielles du port de pêche,
car Abidjan est le premier port thonier d'Afrique.
On constate donc que, dans le domaine aérien comme
portuaire, la question première qui se pose n'est pas de savoir comment
attirer le trafic, bien qu'elle soit très présente dans les
esprits, mais d'abord d'être capable d'assumer dans ses capacités
la croissance très importante sur la dernière décennie du
volume du trafic. Le PAA et l'aéroport FHB sont en effet depuis quelques
années confrontés en permanence aux limites de leurs
capacités et au défi de parvenir à les augmenter, le tout
dans un contexte régional très concurrentiel.
C) La place grandissante de la protection de
l'environnement
Le secteur du transport est l'un des plus polluants à
échelle mondiale, représentant près du tiers des
émissions totales de CO2. La ville d'Abidjan est confrontée
à de multiples problèmes de pollution qui ont des incidences
négatives sur la qualité de vie de la population. Dans la ville,
le problème que représente la pollution est visible pour tout le
monde, notamment sur la question des déchets, du fait de l'absence d'un
système de collecte et de traitement des déchets efficient sur la
globalité de l'agglomération. Mais comme dans beaucoup de villes
du monde, la problématique de la pollution de l'air se fait sentir
à Abidjan, et celle-ci est principalement liée au secteur du
transport. Elle est liée au nombre croissant de véhicules qui
évoluent sur le
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réseau routier, à la très importante
congestion routière dans l'agglomération, ainsi qu'à
l'état des véhicules qui souvent rejettent de grandes
quantités de polluants. De ce fait, les acteurs en charge de penser
l'avenir du transport abidjanais prennent de plus en plus en compte la
préservation de l'environnement dans leurs projections.
Par ailleurs, cette conscience environnementale de plus en
plus affichée s'insère aussi dans la recherche du rayonnement de
la ville. En effet, dans sa quête d'émergence, Abidjan cherche
aujourd'hui à renvoyer l'image d'une ville moderne, au fait des
problématiques mondiales contemporaines et impliquée dans leur
résolution. La préservation de l'environnement est
emblématique de cela. De ce fait, il est nécessaire de garder
à l'esprit dans l'analyse l'importance des discours en tant que tels
tenus par les acteurs. C'est particulièrement intéressant
lorsque, par exemple, le chef des opérations aéronautiques de
l'aéroport FHB parle de l'ambition d'Aeria de développer un
« aéroport vert ». Dans ce cas précis, tout l'enjeu
pour Aeria est une question d'image afin de stimuler son attractivité,
puisqu'un aéroport n'a que très peu d'influence sur la pollution
générée par l'activité aérienne, qui est
principalement du fait des avions, mais à laquelle l'infrastructure en
elle-même est facilement associée dans les esprits.
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