Partie 2 : Le futur du transport abidjanais :
ambitions, acteurs, moyens
La première partie nous a permis de poser un contexte
autour de notre sujet d'étude : d'abord, l'importance d'Abidjan à
échelle nationale et régionale. Aussi, un état des lieux
dans les grandes lignes de l'état du secteur des transports dans la
métropole et de son fonctionnement.
La seconde partie de ce travail portera davantage sur le futur
du transport abidjanais. Il sera envisagé selon de multiples angles :
les ambitions autour du Grand Abidjan, les moyens existant pour les
réaliser, les problématiques auxquelles il faut répondre,
et la façon dont cela se traduit dans le réel à travers
les projets concrets mis en place. Une partie de l'analyse s'attachera à
observer les discours, des autorités politiques mais également
des acteurs du transport métropolitain.
Nous étudierons ainsi d'abord la volonté
politique qui est à l'oeuvre, et les moyens qu'elle se donne pour
atteindre des objectifs délimités. Nous observerons ensuite
très concrètement un certain nombre de projets
réalisés ou projetés dans le courant de la dernière
décennie, afin de mettre en perspective les ambitions et les
capacités de réalisation de la puissance publique.
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Chapitre 3 : Une volonté de faire d'Abidjan un
leader régional
Ce chapitre sera consacré à comprendre les
ambitions qu'ont les pouvoirs publics pour la ville d'Abidjan. Nous observerons
particulièrement le travail d'analyse réalisé afin
d'identifier les enjeux à dépasser pour atteindre les objectifs
fixés, ainsi que les moyens déployés pour y parvenir. Ce
chapitre est donc préliminaire à l'étude stricte des
projets dans les transports, qui viendra après.
1- Les ambitions de l'État : Abidjan, premier hub de
la sous-région
A) Un objectif annoncé de retrouver sa place de
première économie de l'Afrique de l'Ouest
Le début de la seconde moitié du XXe
siècle a vu la Côte d'Ivoire se positionner en puissance
régionale de premier plan. Si elle l'est toujours aujourd'hui, les
périodes de crise traversées entre les années 1980 et 2000
ont terni son rayonnement. Cela se traduit directement dans la
réputation d'Abidjan : son surnom de Perle des lagunes, s'il reste
présent dans les esprits, n'a plus son éclat d'antan. La
revalorisation de la Côte d'Ivoire par la revalorisation d'Abidjan est
donc l'un des objectifs non-dissimulés du SDUGA. On peut trouver en page
9 l'extrait suivant :
« La vision pour le Grand Abidjan est fondée
sur les principes de développement durable et est destinée
à contribuer au renforcement de l'économie de la Côte
d'Ivoire par l'amélioration de l'infrastructure économique et
l'enrichissement de la qualité de vie dans le Grand Abidjan grâce
à la mise en place d'infrastructures sociales et équipements
urbains adéquats. [É] La vision de la planification de
l'Occupation du Sol est de permettre au Grand Abidjan de devenir à
nouveau le premier centre économique de l'Afrique de l'Ouest.
»
SDUGA, 2015.
Cet extrait, situé au tout début de ce document
de 172 pages, s'inscrit dans la partie qui expose la vision
générale de la planification prévue par le SDUGA.
L'objectif et la raison d'être de ce
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document sont clairs : propulser par l'économie Abidjan
en position de leader de la sous-région. Cela doit reposer sur un
principe de croissance économique, auquel s'ajoute un respect de
l'environnement et une préservation du patrimoine naturel du territoire
qui montre qu'Abidjan se positionne également comme un acteur
responsable du monde de demain. L'accent est mis sur le tourisme : le Grand
Abidjan doit être leader, et le monde doit pouvoir le voir. Pour ce
faire, le document présente quatre objectifs pour un programme de «
croissance intelligente ».
1) Établir des initiatives de ville compacte afin
d'endiguer l'expansion urbaine coûteuse et prédatrice d'espace ;
Fournir une gamme d'opportunités d'emploi à proximité des
zones d'habitations.
2) Promouvoir un développement urbain axé sur
l'usage des transports en commun ; Privilégier le transport collectif et
vert au détriment de l'utilisation des véhicules
privés.
3) Promouvoir une meilleure qualité de vie :
i. Créer le sentiment d'identité et d'appartenance
des résidents à travers des espaces et des bâtiments
communautaires.
ii. Répartir équitablement les équipements
publics, y compris des centres de santé et d'éducation faciles
d'accès.
iii. Fournir des types de logements accessibles à toutes
les couches sociales.
4) Préserver et valoriser les ressources naturelles et
culturelles.
L'enjeu principal est clair : reprendre la maîtrise de
l'urbanisme de la ville. Cela se veut être fait en limitant
l'étalement urbain, en améliorant la mobilité, en
homogénéisant l'accès au service public, à l'emploi
et à l'habitat, et en limitant les dégradations
environnementales. Ces enjeux s'inscrivent dans le contexte du monde en
développement, mais il est intéressant de constater que les
enjeux identifiés ici sont les mêmes que ceux auxquels sont
confrontées les autres villes d'importance comparable de la
région, comme par exemple Dakar. L'objectif de se démarquer des
concurrents régionaux est donc technicisé par le SDUGA, qui
s'érige ainsi en plan de dépassement de la concurrence.
Si la Côte d'Ivoire, dès aujourd'hui, peut
prétendre à se trouver parmi les principaux centres
économiques de la région, l'objectif est de passer nettement en
tête. Le défi sous-tendu est
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ambitieux : surpasser le Nigéria et le Ghana. Ces deux
concurrents ne sont pas à placer sur le même plan. La Côte
d'Ivoire est la troisième économie de la région en termes
de PIB, avec ses 50 milliards de dollars annuels. Le Ghana, pays de taille et
de population comparables, la devance avec près de 70 milliards de
dollars de PIB. La hiérarchie urbaine du Ghana est similaire à
celle de la Côte d'Ivoire : la capitale macrocéphale Accra domine
largement le réseau urbain national. La croissance des deux pays est
comparable, ce qui fait que la concurrence est rude entre eux. Si la Côte
d'Ivoire progresse vite, le Ghana a encore une avance confortable dans le
volume des richesses produites. Les autorités ivoiriennes savent qu'une
valorisation réussie de la capitale économique permettrait un
nouveau bond dans leur course au dépassement du Ghana.
La concurrence avec le Nigeria est de nature
différente. La démographie nigériane est incomparable avec
la démographie ivoirienne, car le pays compte près de 220
millions d'habitants, contre 25 millions en Côte d'Ivoire. De la
même façon, le PIB du Nigeria, autour de 500 milliards de dollars,
est dix fois supérieur à l'actuel PIB ivoirien. Les
autorités ivoiriennes savent qu'elles ne peuvent pas concurrencer le
Nigéria en volume. La stratégie de concurrence s'appuie donc sur
le niveau de vie. Si Abidjan ne peut rivaliser avec Lagos par la
taille11, elle cherche à s'imposer autrement, en augmentant
son influence et ses fonctions métropolitaines, et notamment les
fonctions de commandement d'influence supranationale. Les autorités
ivoiriennes savent pouvoir déjà compter sur Abidjan comme leader
de l'Afrique de l'Ouest francophone. Augmenter son attractivité par un
vaste plan d'aménagement s'intègre donc clairement dans une
dynamique de concurrence métropolitaine à échelle
régionale.
B) Améliorer son insertion dans l'économie
globalisée : Abidjan, fer de lance de la quête de
l'émergence
Les ambitions ivoiriennes concernant Abidjan que nous venons
d'exposer sont soutenues par un discours politique : celui de
l'émergence. Cette ligne directrice a été fixée par
Alassane Ouattara lors de son arrivée au pouvoir en 2011 : «
J'ai l'ambition de faire de la Côte d'Ivoire à l'horizon 2020
un pays émergent, une nation réconciliée avec
elle-même et avec les autres nations », a-t-il lancé du
haut de la tribune des Nations unies, en septembre 2011. Ce discours
11 Lagos compte en 2020 plus de 22 millions
d'habitants.
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a été immédiatement appuyé par une
politique de grands travaux à travers le Programme présidentiel
d'urgence (PPU) qui a mené à d'importantes et rapides
réalisations que nous avons décrites précédemment,
comme le troisième pont de la ville livré en 2014. Ce discours
ambitieux devait être accompagné de réalisations
importantes, qui ont été assurées par le biais du PPU.
Mais ces réalisations ne prennent leur portée que si elles sont
visibles, c'est pourquoi elles se sont beaucoup concentrées dans le
Grand Abidjan. Le PPU peut donc être vu comme un prélude de nature
spectaculaire au SDUGA, qui présente une approche bien plus globale et
élargie de l'aménagement pour la métropole d'Abidjan. Dans
la vision présentée par le SDUGA, on peut ainsi trouver la phrase
suivante :
« Il s'agit d'une initiative de développement
majeure pour la croissance économique nationale afin de soutenir la
réalisation de la Côte d'Ivoire en tant qu'une «
économie émergente », comme énoncé dans le
Plan National de Développement (PND). »
SDUGA, 2015.
La Côte d'Ivoire a connu deux plans nationaux de
développement, entre 2012 et 2015 puis sur le période 2016-2020.
Ce dernier suit, selon le ministère du plan et du développement,
cinq axes principaux :
1) Le renforcement de la qualité des institutions et de
la gouvernance.
2) L'accélération du développement du
capital humaine et du bien-être social.
3) L'accélération de la transformation
structurelle de l'économie par l'industrialisation.
4) Le développement d'infrastructures sur le
territoire et la préservation de l'environnement.
5) Le renforcement de l'intégration régionale
et de la coopération internationale.
Le SDUGA est le plan qui applique en aménagement le PND
au territoire du Grand Abidjan. Ce dernier y est explicitement
présenté comme un outil majeur de la course à
l'émergence lancée par le président Ouattara en 2011. Des
moyens massifs y sont donc consacrés et sont consignés dans le
SDUGA, dans l'objectif d'un développement en trois aspects
(économique, durable et social) qui soit le plus rapide possible.
La collecte des données sur le terrain pour cette
étude s'est déroulée au début de l'année
2021, soit juste au terme de l'échéance souhaitée par
Alassane Ouattara pour atteindre l'émergence. En l'état, la
Côte d'Ivoire n'a pas atteint son objectif, qui était très
ambitieux,
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malgré des évolutions et un dynamisme certains.
Il est intéressant de noter néanmoins que les ambitions
politiques ivoiriennes trouvent un écho certain auprès de la
population et de différents acteurs que j'ai rencontré sur place.
Le directeur de la contractualisation et des aménagements à
l'AMUGA, lors de notre entretien, a plusieurs fois en me parlant du futur de la
mobilité abidjanaise fait des comparaisons avec des métropoles du
monde développé comme Paris ou Bruxelles12. L'enjeu
affiché, pour lui, était de sortir du monde en
développement pour entrer dans le monde développé. De la
même façon, le directeur adjoint à l'ingénierie et
la maîtrise d'ouvrage du Port autonome d'Abidjan m'a dit : « tout le
monde veut être le hubport »13. Il m'a ainsi
assuré que tous les projets de développement du port, qui sont
nombreux, importants et sur lesquels nous reviendrons plus tard, visent
à s'imposer comme premier centre portuaire de la région, non sans
cacher des ambitions continentales. De même à l'aéroport,
le chef des opérations aéronautiques m'a déclaré
que « l'ambition d'Aeria est de faire de [l'aéroport] Félix
Houphouët-Boigny le hub d'Afrique de l'Ouest »14,
même en comptant le Nigéria.
Il apparaît donc qu'une mosaïque d'acteurs du
transport s'accordent sur l'objectif des acteurs politiques de faire d'Abidjan
le premier hub régional. Nous détaillerons par la suite les
moyens mobilisés pour y parvenir.
C) Des objectifs sociaux
Nous avons jusqu'ici beaucoup insisté sur des aspects
économiques de l'analyse. Ces derniers prennent une part importante dans
le référenciel des personnes et dans les discours politiques
concernant le développement en Côte d'Ivoire. Mais un volet social
n'est néanmoins pas absent de la planification du développement,
et le développement humain est l'un des piliers de la quête de
l'émergence et du leadership régional d'Abidjan.
« L'équité signifie que tous les
membres de la société, y compris les personnes socialement
vulnérables devraient bénéficier du système de
transport amélioré. Tous les membres devraient également
ne pas avoir à souffrir des inconvénients causés par le
développement des transports urbains. Certaines personnes seront
touchées par l'augmentation de la pollution de l'air et des
12 Entretien réalisé le 28 janvier 2021
dans les locaux de l'AMUGA à Cocody.
13 Entretien du 4 février 2021,
réalisé dans la section administrative du Port Autonome
d'Abidjan.
14 Entretien réalisé le 15
février 2021, à dans les bureaux de la compagnie Aeria à
l'aéroport Félix Houphou`t-Boigny.
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inconvénients sociaux de leur condition de vie. Une
prise en compte conséquente de ces personnes doit être
assurée au stade de l'étude de faisabilité de chaque
projet. »
SDUGA p.27, 2015
Un volet social existe donc dans la conception des
autorités planificatrices du Grand Abidjan, qui semble rechercher un
développement inclusif. Nous confronterons plus tard cette position
affichée, car de nombreux projets nécessitent justement de
déplacer des « personnes socialement vulnérables »
installées sur les lieux.
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