3- Des aménagements qui bénéficient
d'abord aux classes les plus intégrées
L'objet de cette partie est de se poser la question suivante :
à qui bénéficient pour l'instant les projets mis en place
? Nous suivrons une approche spatiale.
A) La centralité des aménagements : zoom sur
les communes d'Abobo et Port-Bouët
Un examen de la situation actuelle et du futur à court
et moyen terme met en lumière de fortes inégalités
spatiales en termes d'accessibilité par les transports au sein
d'Abidjan. Cela se constate à échelle de la commune d'Abidjan,
sans même parler du territoire du Grand Abidjan. L'approche
première et la plus évidente concerne les
inégalités spatiales selon un modèle
centre-périphéries. Au sein de ce travail qui se place du point
de vue des transports, nous observerons ces inégalités en termes
d'accessibilité et de desserte par les transports, et notamment les
transports en commun.
Les efforts spectaculaires comme les trois nouveaux ponts sont
très centralisés dans la ville, et gravitent beaucoup autour du
Plateau et du Sud de Cocody, des quartiers particulièrement
intégrés socio-spatialement. Mais Abidjan est une commune
beaucoup plus vaste, et nous allons nous pencher plus précisément
maintenant sur deux communes en particulier : Abobo, au Nord, et
Port-Bouët au Sud. Abobo est connue pour être la commune la plus
populaire d'Abidjan. Elle abriterait environ trois millions de personnes.
« Abobo-la-guerre » de son surnom, hérité d'une chanson
de Daouda de 1976, la commune est la plus au Nord des dix communes initiales
d'Abidjan, et n'a de frontière commune qu'avec Cocody et Adjamé,
ainsi qu'une petite partie avec Yopougon à l'Ouest de la forêt du
Banco. Port-Bouët, elle, est la commune de l'aéroport Félix
Houphouët-Boigny. Elle rassemble les territoires abidjanais qui sont au
Sud de l'île de Petit Bassam qui regroupe Treichville, Marcory et
Koumassi. C'est la commune qui relie presque sans rupture du bâti Abidjan
avec Grand Bassam, au bord de l'océan, à l'Est de la ville.
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Port-Bouët est une commune de 420 000 habitants officiels
selon le recensement de 2014. Elle en compte certainement beaucoup plus
aujourd'hui, bien que je ne sois pas parvenu à trouver d'estimations
satisfaisantes à ce propos.
Ces deux communes se rapprochent par une similarité de
situations socio-spatiales : toutes deux sont des communes très
populaires, et présentent probablement les deux moins bonnes
accessibilités par les transports de la ville. Yopougon n'est de ce
point de vue pas à intégrer à cette étude de cas,
car bien que populaire également, elle est bien plus accessible et bien
mieux desservie en son sein, comme nous allons le voir sur la carte ci-dessous.
L'achèvement prochain du quatrième pont l'éloignera par
ailleurs d'autant plus de la situation que nous allons décrire pour
Abobo et Port-Bouët.
Carte n°12 : Abobo et Port-Bouët, des communes en
marge des réseaux de transport
Commune d'Abidjan
Réseau des bus SOTRA Réseaux de transport
artisanal Commune d'Abobo Commune de Port-Bouët Zone urbanisée
Grand Abidjan Lagune Ébrié
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM
CI.
La carte ci-dessus (CARTE 12) représente l'ensemble des
itinéraires à l'heure actuelle cartographiés de transport
en commun sur route, publics et artisanaux. Les problématiques
d'accessibilité des deux communes apparaissent très
distinctement. À la différence de
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Yopougon, il apparait que la desserte tant en transport public
qu'artisanal est très inférieure à Port-Bouët et
Abobo que dans les autres communes, ce qui participe de dynamiques
d'enclavement. C'est particulièrement flagrant à Port-Bouët,
une fois que l'on dépasse l'aéroport vers l'Est : un territoire
d'une cinquantaine de kilomètres carrés n'est desservi que par
une ligne de bus et quelques lignes de transport artisanal. On constate qu'il
n'y a qu'une seule voie d'accès principale, qui est la route qui va vers
Grand Bassam. L'infrastructure aéroportuaire scinde la commune en deux
et apparaît comme un important vecteur d'enclavement de la partie Est, la
plus périphérique.
On peut observer un enclavement similaire à Abobo. Une
seule voie rapide la rallie au Sud de la ville, il s'agit de l'A1, qui longe la
forêt du Banco jusqu'à Adjamé. Un peu plus à l'Est
en parallèle, la N69 et le boulevard des Martyrs permettent
également de rallier Cocody. Ces trois infrastructures ne sont pas
proportionnées pour accueillir les flux existants, et ils sont parmi les
grands axes les plus congestionnés de la ville. Il apparaît aussi,
comme pour Port-Bouët, un déséquilibre spatial au sein de la
commune : si la partie Sud d'Abobo, malgré les faiblesses que l'on vient
d'évoquer, apparaît assez correctement desservie par les
transports public et artisanal, les territoires les plus
périphériques sont, eux, très peu desservis. On observe
aussi une faible répartition de l'offre de transport, qui a tendance
à se concentrer sur de grands axes comme la voie P2 qui va vers
Alépé et la voie Q125 qui rallie Anyama. Ainsi, d'après
les données OSM que nous avons, seulement 44 lignes de transport
artisanal desservent Abobo, contre 81 à Yopougon, commune de taille et
de démographie similaires.
Un projet majeur de transport relie Abobo et Port-Bouët
en les connectant au coeur de la ville : il s'agit du métro, qui est
présenté par la SICMA comme un outil majeur du
désenclavement de ces deux communes. Quelques points assombrissent le
tableau néanmoins : à Port-Bouët, le métro
s'arrêtera à l'aéroport, et n'aura donc pas d'incidence sur
la partie la plus enclavée de la commune qui est plus à l'Est.
À Abobo, l'itinéraire prévu n'offrira pas un nouvel axe de
desserte, mais viendra renforcer ceux qui existent déjà, et
notamment l'axe Abidjan-Anyama qui passe par Abobo. Par ailleurs, ce projet est
encore à de nombreuses années de sa réalisation, puisque
la mise en service du premier tronçon, initialement prévue pour
2023, est dorénavant portée à 2025, et ne concerne pas la
partie Sud qui ralliera Port-Bouët.
Il y apparaît donc que les projets dans les transports
ne comblent pour l'instant pas le fossé spatial creusé entre les
quartiers centraux de la ville et les quartiers les plus
périphériques. Ces
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derniers sont encore très peu desservis en comparaison des
autres, bien qu'Abobo et Port-Bouët abritent plus d'un tiers des habitants
de la ville.
B) Quid d'Adjamé ?
Adjamé est certainement la commune la plus importante
en matière de transport à Abidjan. Pourtant, nous n'en avons que
très peu parlé dans cette étude. Il s'agit d'une commune
très centrale spatialement, qui polarise les flux humains et marchands
intra urbains de la capitale. Très densément peuplée, elle
connaît quotidiennement un passage important de personnes
étrangères à la commune, car elle concentre la plus
importante densité de gares et de marchés de la ville. Elle se
trouve au carrefour entre Abobo, le Plateau, Cocody et Yopougon. Elle rassemble
des hauts lieux du transport abidjanais : la gare Nord de la SOTRA,
première gare de bus de la ville avec la gare Sud du Plateau, se trouve
à Adjamé. Par ailleurs, la plupart des gares des compagnies de
transport qui desservent l'intérieur du pays ou l'étranger sont
à Adjamé, à l'image de l'emblématique Union des
Transporteurs de Bouaké (UTB). Cela fait d'Adjamé la porte
d'entrée et de sortie principale des flux routiers humains et marchands
polarisés par Abidjan dans la région. Alors, pourquoi avoir aussi
peu parlé d'Adjamé dans cette étude ? La réponse
est simple : la commune est, proportionnellement à son importance, peu
concernée par les grands projets de transport.
Adjamé est concernée par le projet de
quatrième pont, qui la ralliera à Yopougon. Elle a
également été touchée par l'autoroute du Nord, qui
est l'une de ses principales voies d'accès depuis Yopougon et
l'intérieur du pays. Elle est également bien desservie en
transports en commun, du fait de sa situation de centralité. Mais la
situation interne de la commune n'a que très peu évolué
depuis dix ans, en dépit de son importance. Les problématiques de
congestion routière y sont importantes et permanentes tout au long de la
journée. Le réseau routier est très insuffisamment
revêtu, en dépit du volume de trafic. Ainsi, de nombreuses voies
sont en terre, et donc très précocement usées par les
véhicules, autant que très fragiles face aux intempéries.
Cela participe d'un mauvais état global, qui explique en partie les
vitesses de circulation très faibles dans la commune.
Un projet de gare routière interurbaine et
internationale y a été lancé en 2013. Ce projet à
47 milliards de francs prévoyait une gare moderne, étendue sur 22
hectares, avec une capacité
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de 9 000 passagers par heure et 23 millions de passagers par
an. Cette infrastructure aurait permis de centraliser une partie du trafic
interurbain absorbé par Adjamé, en limitant par la même
occasion la prolifération de petites gares sur le territoire de la
commune. Prévue pour 2015, cette gare n'a toujours pas vu le jour, et le
projet est presqu'entièrement immobilisé depuis, au point de
n'être plus d'actualité.
Il apparait donc que, si les espaces spatialement en marge
sont moins touchés par les projets dans les transports comme nous
l'avons vu précédemment, c'est également le cas des
espaces socio économiquement en marge comme Adjamé. Il s'agit en
effet d'une commune populaire, connue de la population urbaine pour les
nombreux délits et agressions qui y ont cours. À défaut de
développer ici des explications, il est intéressant de souligner
le manque proportionnel d'investissements et de volontarisme politique autour
de cette commune pourtant centrale.
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