CONCLUSION GÉNÉRALE
Cette étude a permis de mettre en lumière le
tournant du rôle de la puissance public dans la fabrication de l'espace
national, ici dans le cas de la capitale Abidjan. En 2011, après trois
décennies difficiles, le pays, appuyé par certains discours
politiques, semble enfin retrouver la voie du dynamisme économique et du
développement. La Côte d'Ivoire a subi pendant cette
période les difficultés liées au tournant libéral
pris depuis les années 1980. L'État, très puissant depuis
l'indépendance, fait alors face à des difficultés
sociales, économiques et politiques en même temps que baisse
drastiquement le budget public. Il s'est ainsi vu perdre beaucoup de son
influence, pour en laisser une part croissante à des acteurs
privés. Dans les transports, cela s'est notamment traduit lors de la
concession du rail à la SITARAIL, filiale du groupe Bolloré.
En 2011, l'État est toujours très affaibli, mais
le retour d'un contexte favorable et le besoin pour le gouvernement de
retrouver une légitimité le poussent à donner au pays un
objectif pour le moins ambitieux : atteindre le statut de pays émergent
en 2020. Pour cela, la Côte d'Ivoire a besoin de résultats
visibles : de grands efforts sont concentrés à Abidjan, sa
capitale, pour en faire la vitrine d'une réussite spectaculaire. C'est
là qu'est le tournant : initialement contraint de confier certaines de
ses prérogatives à des acteurs privés, l'État fait
désormais le choix délibéré de leur laisser part
croissante, en généralisant de plus en plus les PPP. Certains
résultats sont spectaculaires, à l'image du pont Henri Konan
Bédié, construit en moins de trois ans, ou encore de la
croissance remarquable du PAA et des nombreux et importants aménagements
réalisés en son sein.
L'un des objectifs de ce mémoire était de
comprendre mieux et de caractériser la voie de développement
suivie par la Côte d'Ivoire, en observant le modèle de ville mis
en place à Abidjan par les autorités. Je conclus de l'ensemble
des observations, discussions et réflexions menées au cours de ce
travail que le développement ivoirien en l'état est un
développement « par le haut », privilégiant la
croissance économique et la recherche du prestige à
l'amélioration générale des conditions de vie de la
population. Il y a un caractère artificiel dans les chiffres de
l'important dynamisme ivoirien mis en valeur par les autorités. Certes,
le revenu national a augmenté de 80% entre 2012 et 2015, mais selon la
Banque mondiale, le taux de pauvreté sur la même période
n'a baissé que de cinq points, passant de 51% à 46% de la
population. Souvent à Abidjan, j'ai pu entendre des témoignages
similaires que l'on peut
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résumer par cette phrase que m'a dit un chauffeur de
taxi : « on voit que le pays avance, mais ça ne se ressent pas
beaucoup dans le niveau de vie de la population ».
Par ailleurs il apparait que l'État, en multipliant les
PPP, joue un jeu dangereux. En effet, ces derniers sont très
intéressants pour l'État dans sa stratégie de croissance
actuelle, mais seulement tant qu'il conserve le contrôle. C'est là
tout l'objet du cadre juridique mis en place autour de ces PPP, par exemple par
le biais des textes des conventions de concessions. Le risque est double :
d'abord, l'État doit toujours conserver l'équilibre des
bénéfices en sa faveur, ce qui n'est pas garanti. Nous l'avons vu
dans le cadre des concessions des différents terminaux du port :
à l'heure actuelle, l'État se voit obligé de modifier
différentes conventions de concession pour augmenter les redevances dues
par les concessionnaires, car pour l'instant certains concessionnaires tirent
plus de bénéfice que la puissance publique de l'exploitation des
terminaux. Le second risque est inhérent à la stabilité
politique de la Côte d'Ivoire, et donc à la capacité de
l'État de se maintenir en capacité de faire valoir ses
intérêts face à ceux des acteurs privés. Même
si la tendance actuelle ne semble pas l'indiquer, un nouvel épisode de
crise exposerait l'État ivoirien à une importante baisse de sa
force géopolitique, et donc à un détournement
d'infrastructures et activités d'intérêt public vers des
intérêts privés.
Finalement, il semblerait que la promesse de
l'émergence prononcée par Alassane Ouattara ait été
l'objet d'une méprise définitionnelle. Pour de nombreux ivoiriens
et ivoiriennes parmi les plus modestes notamment, « l'émergence
» entrait en résonnance avec le Miracle ivoirien des années
1960, et incarnait l'idéal d'une amélioration pour tout le monde
des conditions de vie. Dix ans après, la quête de
l'émergence ivoirienne s'avère plus proche d'une voie de
développement de nature néolibérale, créatrice de
grandes richesses pour une part très réduite de la population, et
génératrice d'importantes inégalités sociales,
économiques et spatiales. On peut en tout cas dire que l'État
ivoirien suit en effet ses objectifs et ambitions d'intégration à
la mondialisation : en renforçant les fonctions métropolitaines
de sa capitale et en favorisant l'investissement d'acteurs privés dans
les activités d'intérêt public, l'État ivoirien
positionne son pays parmi les pays d'Afrique les plus attractifs selon les
critères de l'économie mondialisée. Cela se fait au prix
d'un renforcement très important des inégalités
socio-spatiales que l'on retrouve beaucoup dans le secteur des transports,
à échelle du pays comme au sein de la métropole
d'Abidjan.
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