2.1.4 Les filtres et retouches photo comme contrôle
de son image
L'analyse terrain nous montre que la majorité des
abonnés modifient leurs photographies avant de les publier. La plupart
utilisent les filtres Instagram proposés, certains modifient d'autres
caractéristiques comme la luminosité, les floues, etc. Il est mis
en avant que seules les personnes souhaitant se démarquer ou ayant un
compte professionnel utilisent des logiciels de retouche de photographies. En
effet, Jonathan veut se démarquer sur ses images « Je veux
faire évoluer mon propre style »156 et donc
n'utilisent pas les filtres mais retouche le reste avec son
téléphone. Les autres, influenceurs ou mannequins, utilisent des
logiciels plus performants que les filtres Instagram car ils doivent apporter
un résultat professionnel et parfait. Cependant, nous avons
décelé dans les entretiens qu'il y a une « normalisation
» de l'utilisation du filtre sur Instagram telle qu'ils ne sont pas
référencés par les abonnés dans les techniques de
modification de photographies. Lorsque nous leur demandons s'ils «
retouchent leurs clichés », certaines réponses vont dans ce
sens : « Non, je mets uniquement des filtres »
(Sophie157), « Euh bah je mets un filtre Insta c'est tout
» (Justine158). La
154 LACHANCE Jocelyn. L'éthos de l'adolescent dans les
mondes numériques : le rôle des destinataires, Itinéraires,
2015, mis en ligne le 01 juillet 2016
155 Entretien Claire, 18 juin 2019
156 Entretien Jonathan, le 12 juin 2019
157 Entretien Sophie, 20 juin 2019
158 Entretien Justine, 03 juin 2019
53
modification de la photographie par un grand nombre
d'abonnés montre qu'il y a une nécessité
d'améliorer la photographie pour les autres. C'est donc une
volonté de mise en scène de son quotidien et de soi, surtout pour
certaines personnes tels qu'Elise qui avoue utiliser les filtres lorsqu'il
s'agit de selfie. Les individus veulent montrer une image d'eux et de leur vie
plus esthétique que dans la réalité, comme un vernis mis
sur le réel. Ces pratiques sont devenues anodines au point de ne plus
apparaître comme un outil de retouche. Le besoin de montrer une image de
soi positive nous amène à brouiller nos perceptions de la
réalité et du faux. Cela prouve un besoin naturel de se mettre en
scène pour apparaître sous son meilleur jour
3. Le sentiment d'appartenance dans la communauté
d'Instagram 3.1 Les codes Instagram
3.1.1 Utilisation des mêmes codes pour le sentiment
d'appartenance
Le réseau social Instagram présente des «
formes sociales visuelles répétitives qui codifient les
échanges » (A. Gunthert, 2014). Nous pensons que le fait que les
utilisateurs du réseau social Instagram utilisent les mêmes codes
visuels, les mêmes outils ou spécificités entraîne
une volonté de créer un sentiment d'appartenance avec ses pairs.
Instagram dicte en effet des tendances, les sujets à montrer, les
hashtags à utiliser, jusqu'à créer un système de
codes partagés. C'est un « univers codé dans lequel on
s'identifie et on se ressemble » (Devosse, 2017), cela retransmet un
sentiment d'appartenance dans une communauté dans laquelle on se sent
exister. Yves Leroux, Psychanalyste159 a d'ailleurs
déclaré que « Nous sommes des êtres sociaux et
nous avons besoin de nous conformer à la société pour
intégrer un mouvement, l'image est une colle sociale qui permet de
partager des émotions et des paroles ». Il existe en effet des
informations qui démontrent que les individus usent des mêmes
références, ce qui homogénéise les contenus
d'Instagram. Roland Barthes, reprit par les mots de Sylviane
Conord160, nous dit que la photographie est un médium
singulier, délimitée « par un cadre formel, subjectif
construit par les choix techniques et esthétiques du sujet
photographiant issus des relations que ce dernier entretient avec le monde et
les sujets photographiés. Il y a une double position conjointe : de
réalité et de passé ». L'analyse de contenu montre
certains individus tentent d'être originaux et de se démarquer des
autres en mettant en avant leur créativité ou leurs passions
(exemple de la femme qui fait du yoga dans les rues) mais dans l'ensemble, il y
a une forte homogénéisation des comptes et des photographies :
une partie montre des personnes en train de s'exhiber devant des paysages, en
train de poser, de montrer les meilleurs moments de leur quotidien, une autre
partie montre des instants du quotidien améliorés, des instants
captés, des paysages et d'autres qui sont moins créatifs et
veulent simplement poster des
159 Devosse, Gabrielle. Instagram uniformise-t-il nos goûts
? Psychologies, 6 novembre 2017
160 CONORD, Sylvaine. Usages et fonctions de la
photographie. Ethnologie française, vol. 37, no. 1, 2007, pp.
11-22.
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selfies au quotidien. Les entretiens nous
révèlent que 5 personnes sur 14 recherchent de
l'originalité dans ses clichés. « Pour sortir de ce que les
autres ont l'habitude de voir » (Camille), seulement, avec la masse
photographique sur Instagram, il est désormais difficile de sortir du
lot comme le souligne Claire « Ça ne sert à rien d'essayer
d'être originale puisque tout le monde fait la même chose ».
Qu'il y ait une volonté d'être original ou non, les individus
réalisent tous des mises en scène de leurs photographies qui
rendent les clichés similaires.
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