1.2 L'image de soi sur Internet 1.2.1 E-réputation
sur Internet
La réputation est « la représentation
sociale d'une personne partagée, provisoire et localisée »,
c'est une sorte d'évaluation sociale. Elle dépend de l'influence
qu'on exerce sur l'autre pour avoir une réputation positive, provoquer
une réaction chez l'autre (commentaire, partage, etc.). Nous allons
parler de « réputation-action » car elle se joue en un temps
et un domaine donné (Bollier et Lohard, 2015).136
L'e-réputation est une réputation construite en ligne avec un
dispositif d'évaluation à partir
134 Axel Honneth, Invisibilité : sur
l'épistémologie de la « reconnaissance. Réseaux
2005/1 (n° 129-130), p. 39-57.
135 Entretien Justine, 03 juin 2019
136 BOULLIER, Dominique, et LOHARD Audrey. Médiologie
des réputations numériques. Mesurer pour agir. Terrains
& travaux, vol. 26, no. 1, 2015, pp. 105-125.
48
des « traces des activités des internautes »
sur les réseaux sociaux. (Djebli, Alexis, 2017)137. Elle
réside dans le fait de faire attention à ce que l'on publie, afin
de faire attention à l'image que l'on renvoie et éviter les
rumeurs. (Granjon, 2014)138. La réputation est essentielle
sur les réseaux sociaux car lorsque nous nous exposons, nous attendons
la reconnaissance de notre identité via autrui, de par l'estime que l'on
nous porte.
1.2.2 Estime de soi et estime sociale
Les « dérives de l'extimité » peuvent
amener les individus dans des situations compliquées. A trop vouloir
être remarqué, parfois l'on peut oublier de susciter des
sentiments positifs plutôt que des sentiments tout court (Tisseron,
2011). Mais en général, l'individu va essayer de montrer le
meilleur de lui-même, il va toujours chercher à se mettre en
valeur aux yeux de ses pairs. L'estime sociale vient de la
société et dépend de son système de valeurs. Nous
pourrions penser que l'estime sociale et l'estime de soi sont
différents, hors l'estime de soi découle de l'estime sociale car
« sans reconnaissance, l'individu ne peut se penser en sujet de sa propre
vie » (Honneth par Santarelli, 2016)139. Nous ne pouvons pas
avoir d'estime de soi si nous ne développons pas des valeurs propres
à nous-mêmes, si notre contribution à la
société n'est pas reconnue ou n'est pas estimée par les
autres. Cela peut paraître ironique car nous ne pouvons pas avoir
d'estime de nous-même si nous n'avons pas de valeurs propres mais il faut
que ces dites-valeurs soient également partagées par la
société. L'estime de soi qui se crée par la reconnaissance
des qualités et capacités de l'individu selon ce système
de valeurs. L'estime sociale, elle, permet aux individus de se voir et se
raconter de façon positive grâce à la reconnaissance de
« singularité » par les pairs. (Ils vont partager des choses
ensemble). Les individus vont sur les réseaux sociaux pour montrer leurs
goûts, leurs valeurs et rendre légitime leurs actions. Mais ces
goûts se retrouvent au final partagés par d'autres individus dont
on cherche la reconnaissance, ce qui créé une uniformisation de
la société pour la recherche de la reconnaissance. Il faut se
montrer pour se construire une estime de soi. Nous pouvons également
parler de « respect de soi » (Mead par Honneth dans Santarelli,
2016)140 qui est lié à la reconnaissance de ses pairs.
Le fait de se respecter donne à l'individu un sentiment de
supériorité. C'est ce sentiment qui le fait se distinguer des
autres et lui donne l'impression d'être un être singulier. Les
abonnés interrogés ressentent tous ce besoin de recherche de
reconnaissance car ils
137 DJEBLI Yasmine, ALEXIS Ophélie. Instagram : La
réalité qui se cache derrière nos photos. Master SHS
UPEM, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Les mondes
numériques. 21 janvier 2017 - Consulté le 04/03/19
138 GRANJON, Fabien. Du (dé)contrôle de
l'exposition de soi sur les sites de réseaux sociaux. Les Cahiers
du numérique, vol. vol. 10, no. 1, 2014, pp. 19-44.
139 SANTARELLI, Matteo. L'estime de soi : un cas particulier
d'estime sociale. Terrains/Théories, 2016, mis en ligne le 17
août 2016
140SANTARELLI, Matteo. L'estime de soi : un cas
particulier d'estime sociale. Terrains/Théories, 17 août 2016
(
49
ont accès à une certaine estime d'eux,
déjà parce qu'ils ne s'exposent pas de manière impudique,
qu'ils font attention à l'image qu'ils rendent d'eux.
1.2.3 Marque de reconnaissance des pairs : le
système de j'aime et de commentaires
Instagram comme tout autre réseau social possède
un système d'appréciation des contenus publiés : les
anciens « j'aime » que l'on retrouvait sur Facebook sont
représentés maintenant par un coeur, qui sert à montrer
à l'utilisateur si l'on apprécie ce qu'il a publié. Axel
Honneth (Honneth dans Santarelli, 2016)141 parle de «
médiation expressive », c'est-à-dire que les individus, en
s'exposant se portent à la connaissance d'autrui, puis cette existence
va être légitimée par des actions ou expressions. Il y a
également le système de commentaire où l'on peut exprimer
ce que l'on ressent de la publication. En général, les individus
attendent des commentaires positifs où l'on exprime l'adoration, la
beauté, la qualité, etc. André Gunthert142
qualifie cela de « réponses collectives à un
événement commun ou des occasions culturelles ». Il explique
ensuite que le dispositif d'appréciation donne une
légitimité à la fois sociale, critique et
esthétique à la photographie. Il est étonnant de remarquer
que le système de notation est presque devenu un moyen de communication
à part entière. Lors des entretiens, lorsque nous demandons aux
interviewés ce qu'ils feraient si une photo n'était pas
«aimé» pas leur communauté, les réactions sont
sans équivoques «Bah je trouve ça bizarre mais oui, si
je n'ai pas de j'aime, je l'enlèverais»
(Zélie143), les jeunes n'imaginent pas la possibilité
de n'avoir aucune réaction de leurs abonnés. Ils sont tant dans
la recherche incessante de réactions et le retour immédiat de
celles-ci de la part de leurs amis qu'il n'est pas commun de n'obtenir aucun
retour. Le fait de mettre en ligne notre apparence que les autres peuvent
« juger », à partir du système de j'aime et de
commentaires, est un moyen d'instaurer un système
autorégulé pour la reconnaissance collective.144 Les
likes « apaisent » car ils sont ressentis comme des marques
d'attention de la part des autres, il peut être vu comme une unité
de mesure de l'attention et de la bienveillance que les autres nous portent.
Nous pouvons illustrer ces propos par l'exemple de l'épisode «
Nosedive » de la série Black Mirror (épisode 1, saison
3) qui montre une société dominée par les réseaux
sociaux, où les rapports entre humains sont calculés car tous
évalués selon un système de notation que nous pouvons
retrouver par exemple sur les sites d'achats en ligne. Le personnage principal
tente de s'en sortir dans sa vie en essayant d'atteindre une note plus haute
que celle qu'elle possède dans l'application pour être reconnue
par la société et accéder à ce qu'elle
désire. Nous ne sommes pas si loin de cette vision chaotique des
rapports humains. Notre enquête révèle que les individus
attendent des expressions positives, malgré qu'ils disent parfois le
contraire, ils se contredisent pour ne pas avouer la vérité
« Non je ne veux pas de like, je veux juste émerveiller les
gens et déclencher des réactions
141 SANTARELLI, Matteo. L'estime de soi : un cas particulier
d'estime sociale. Terrains/Théories, 17 août 2016
142 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014
143 Entretien Zélie, 03 juin 2019
144 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014
50
positives » (Christophe145) mais sur
les réseaux sociaux, s'il y a réaction positive, il y a
appréciation de la part de ses pairs avec le système des j'aime.
A contrario, peu de personnes désirent de commentaires. Cela s'explique
par le fait que le commentaire a moins un impact que la reconnaissance positive
que le j'aime, réel symbole d'engagement et d'appréciation.
2. L'image de soi comme objet de marketing
|