1.2.2 La théâtralisation des interactions
Pour Ervin Goffman (1873)98, le monde social
lui-même représente un théâtre dont les
échanges entre les individus ne sont que parades. Déjà car
ces échanges s'adaptent en fonction de la personne à laquelle
nous parlons. Nous n'avons pas le même comportement, la même
gestuelle ni la même façon de nous exprimer devant nos amis, notre
famille ou nos supérieurs hiérarchiques. Chaque personne dans sa
vie de tous les jours joue continuellement des rôles qui diffèrent
selon son auditoire et la situation.
Nous pouvons appliquer cette théorie aux réseaux
sociaux. Les individus exacerbent sur leurs clichés une partie de leur
identité, un attrait de leur personnalité. Ils se rendent acteurs
de scènes de leur vie afin de montrer une particularité
d'eux-mêmes. Ils vont désirer dégager quelque chose en
fonction du public qu'ils ciblent. Ainsi, certains instagrammeurs vont
avoir tendance à se montrer selon le rôle qu'ils aimeraient
incarner dans la vie réelle. Certaines personnes vont mettre en avant
leur corps, leur beauté, leur musculature, leur sensibilité,
capacité à cuisiner, etc. De plus, notre enquête nous a
permis de confirmer notre hypothèse selon laquelle les individus se
créent une image sur internet pour leurs échanges. Il n'y a
apparemment pas de place pour les expressions négatives sur le
réseau social. La majorité des images présentent des
individus en train de sourire ou de rire, montrant ainsi une surexposition de
la joie. Ce phénomène est confirmé par l'utilisation de
hashtags récurrents tels que #happy, #happiness, #love et par
certains témoignages « C'est un réseau social qui
fonctionne sur
97 LARDELLIER, Pascal, BRYON-PORTET Céline. « Ego
2.0 ». Quelques considérations théoriques sur
l'identité et les relations à l'ère des
réseaux. Les Cahiers du numérique, vol. 6, no. 1, 2010, pp.
13-34
98 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie
quotidienne 2. Les relations en public. 1873. Paris : Les Éditions
de minuit, 256 pages.
35
l'esthétisme et le bonheur ».
Elise99 confirme en avouant qu'elle se donne une image «
plus joyeuse » sur Instagram.
1.2.3 Le décor de la photo comme mise en
scène de soi
La comparaison de la mise en scène de la pièce
de théâtre aux réseaux sociaux d'Ervin Goffman explique que
le « décor » d'une pièce a totalement son importance
lors d'une représentation, elle plante l'action dans un contexte. Sur
Instagram, nous remarquons que de nombreux clichés axent leur importance
sur l'arrière-plan, le paysage. Cela permet de montrer les lieux dans
lesquels nous allons et la beauté de ce que nous vivons. Il ressort de
notre enquête que l'arrière-plan n'a pas d'importance en
lui-même, excepté lorsqu'il est le sujet principal de la
photographie. Mais il sert de mise en valeur du sujet. Pour confirmer le
paradigme de Goffman (1973), nous avons fait ressortir de notre recherche que 9
des interrogés sur 14 avouent mettre en avant le paysage sur les
photographies. Dans l'analyse de contenus, seules 7 personnes sur 30 ne mettent
pas en avant de décor en général car elles concentrent les
clichés sur elles-mêmes. Pour les autres, nous nous rendons compte
qu'ils expriment différents attraits à travers les décors
: leurs goûts et passions, notamment avec les salles de sports, lieux
d'activités, mais surtout, le thème très récurrent
est celui du paysage de voyage. En effet, notre enquête
révèle que les personnes se prennent principalement dans des
lieux de vacances, de promenades et immortalisent des sites qu'ils trouvent
beaux ou qui sont célèbres (les monuments, lieux incontournables)
(Annexe 9). C'est ce que les abonnés recherchent sur Instagram : la
quête de paysages magnifiques, de lieux dans lesquels ils voudraient
aller, du rêve. A l'instar de Goffman, les photographies montrent que le
décor sert bel et bien de mise en scène à l'action, de
décor à la personne qui se place en tant qu'acteur de l'instant.
Il y a peu d'images de paysages seuls, mais souvent avec les protagonistes
devant, qu'ils soient de face ou de dos. Il y a cette envie de montrer aux
autres les instants privilégiés que nous vivons. Nous pouvons
croiser ces informations avec la question de l'immortalisation de
l'exceptionnel ou de l'anodin qui confirment notre hypothèse car les
individus veulent davantage montrer l'exception que l'ordinaire. Le
décor résulte d'une élaboration du paysage ou de
soi-même. Les individus ressentent le besoin de se construire une
identité autour de ces photographies et le fait de mettre en avant des
lieux exceptionnels contribue à alimenter une image de soi positive,
à se construire une identité de voyageur, d'amateurs du fabuleux
que l'on va soi-même introniser pour penser être cette personne.
99 Entretien Elise, 15 juin 2019
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