1.2 L'exposition de soi
théâtralisée
1.2.1 Mise en scène de soi
La mise en scène de soi est une notion définie
par Ervin Goffman dans La mise en scène de la vie quotidienne
(1956). L'auteur y compare les instants du quotidien et les interactions
sociales à des pièces de théâtre où les
individus jouent des rôles et «réalisent des
performances» pour tenter de certifier que «leurs actions et
particularités sont réelles» (Goffman dans Paul, 2018). Il
existe deux façades de ces mises en scène : l'apparence
symbolique de l'acteur (ce qu'il représente pour le public) et le
décor (par exemple, sur Instagram, ce sera l'arrière-plan de la
photo, le paysage, les accessoires des individus, les objets mis en
évidence). Ensuite arrive la «façade personnelle» qui
représente les attributs et objets personnels de l'acteur (sexe,
vêtements, bijoux, etc.). Celles-ci peuvent donc être
modifiées (Goffman dans Paul, 2018)95 Les individus
façonnent leur apparence, leur vie, rendent ce qu'ils montrent plus
beau. Ils s'inventent une vie pour « fuir la banalité du quotidien
» et peut-être, pouvoir devenir quelqu'un d'autre.96
Pascal Lardellier et Céline Bryon-Portet
94 CHOOEUM Sophie, GUEMAS, Marion. Le selfie
au-delà de la simple représentation de soi. Mémoire
en master 2 Culture et métier du web, Université de Paris-Est
Marne-la-Vallée, 2017
95 PAUL Jolianne. Réseaux sociaux et image
corporelle. Mémoire de maîtrise en service social. Sous la
direction d'Alexandre Baril, Ph.D. Université d'Ottawa, 31 août
2018
96 BAUHAIN, Valérie. Réseaux sociaux : ce que
révèlent nos photos de profil. Psychologies. 2019
34
(2010)97 décrivent un « soi
fantasmatique ». C'est-à-dire que les utilisateurs se
représentent sur les réseaux de manière toujours plus
avenante, voire caricaturale à cause des stéréotypes
diffusés dans les médias. Le duo d'auteurs parle ici d'un
«processus de subversion» des identités qui consiste à
montrer que le soi est un autre et que «l'on peut sortir des espaces
institutionnels pour s'inventer autrement». C'est-à-dire qu'ils
sortent du «rôle» que la société a
créé pour eux. Notre étude montre qu'il y a effectivement
un désir de se donner une nouvelle image de soi, de se mettre en
scène. En étudiant les postures des individus sur les
photographies, nous nous rendons compte que les personnes ont tendance à
adopter des attitudes particulières. Ils se mettent en avant de
manière avenante avec des codes répétitifs : cambrures,
mains dans les cheveux, expressions exagérées de bonheur, etc.
Les instagrammeurs « posent » tout en faisant semblant d'adopter des
positions que l'on pourrait penser naturelles ou prises sur le vif, mais qui ne
sont que pure mise en scène (photo d'une personne s'étirant dans
le lit mais bien coiffée et bien maquillée). Elles vont user de
techniques pour mettre certains aspects d'eux en avant, que ce soit au niveau
des objets utilisés, du cadrage, de l'action. Chaque expression et geste
est le fruit d'une réflexion antérieure.
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