1.1.2 Recherche de soi dans la modélisation de son
image
Pour Pascal Lardellier (2010)82, l'identité
est à mi-chemin entre la métamorphose et la recomposition lorsque
les individus sont amenés à questionner leur identité,
telles les personnes qui se cherchent en se regardant à travers leur
écran. On parle de crise identitaire, de l'individu perdu dans un «
bain identitaire » qui représente le mix des valeurs,
références, cultures, qui sont partagés par des
communautés et dans lequel l'homme nage depuis son enfance. Il est
confronté à différents espaces possédant ses
caractéristiques propres, dans lequel il évolue constamment :
l'école, la famille, les amis, les loisirs, etc. Fanny Georges
(2009)83 intronise l'idée d'un «
schéma-silhouette de soi » qu'elle reprend du diagramme du
squelette de C. S. Peirce. C'est une représentation de soi que
l'individu se crée, une « modélisation » faite par le
quotidien. Elle considère que l'identité « est un flux
d'événements quotidiens dont le sujet mobilise certains souvenirs
dans la perspective de constituer une représentation abstractive de lui
» ou le fameux « schéma-silhouette ». C'est-à-dire
que l'individu va collecter des informations le concernant, pour ne garder que
celles qu'il juge les plus intéressantes et les plus justes pour
constituer une représentation de lui. Nous étayerons ces propos
dans l'analyse de l'identité virtuelle et réelle et de la mise en
scène de soi. Le fait d'interagir avec les
80 LACHANCE, Jocelyn. L'éthos de l'adolescent dans les
mondes numériques : le rôle des destinataires.
Itinéraires. 2015.
81 TISSERON, Serge. Les jeunes et la nouvelle culture
Internet. Empan, vol. 76, no. 4, 2009, pp. 37-42.
82 LARDELLIER, Pascal, BRYON-PORTET Céline. « Ego
2.0 ». Quelques considérations théoriques sur
l'identité et les relations à l'ère des réseaux.
Les Cahiers du numérique, vol. 6, no. 1, 2010, pp. 13-34
83 Georges, Fanny. Représentation de soi et
identité numérique. Une approche sémiotique et
quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154, no.
2, 2009, pp. 165-193.
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autres peut faire évoluer cette image de
lui-même, c'est ainsi qu'il échange avec autrui, afin de faire
changer son regard sur lui-même.
1.1.3 Le narcissisme
Les réseaux sociaux, d'après Cédric
Fluckinger (2010)84, sont des outils de construction identitaire
mais ils peuvent parfois donner une image négative des jeunes, une
facette narcissique d'individus obsédés par eux-mêmes.
Cette question du narcissisme entraîne un débat houleux entre les
différents auteurs. Certains s'animent à dire qu'il s'agit avant
tout d'une confiance en soi très forte (Magnier et Brodin,
201285) et pensent que les exhibitionnistes sur internet sont des
narcissiques matérialistes. D'autres tendent à dire qu'il faut
plutôt y déceler une recherche de reconnaissance. Le «
narcissisme numérique », pour Frédéric
Tordo86, est une manière de séduire afin d'obtenir
l'amour de quelqu'un. C'est une forme d'exhibitionnisme qui prouve que les
jeunes se cherchent avant tout. Ils ont besoin du regard de l'autre afin de se
créer son identité, on ne parle pas de désir sexuel mis en
avant mais d'un désir « d'externaliser sur un autre qui sert de
support de soi » (Tordo, 2015). Ils veulent connaître le regard des
autres afin de savoir comment se regarder eux-mêmes en retour. Si l'on
reprend le mythe de Narcisse, la légende s'accorde à dire que
c'est l'amour pour lui-même qui causa sa perte. Il se noya en voulant
embrasser son propre reflet, mais le psychologue Nicolas Rousseau87
nia cette histoire pour révéler que Narcisse ne s'est pas reconnu
dans le reflet et s'est questionné sur cette apparition de
lui-même. Notre étude ne nous donne pas d'éléments
assez significatifs pour savoir s'il y a tout de même de l'amour-propre
derrière le besoin de s'exposer. Il est vrai que de nombreux comptes
parmi ceux analysés sur Instagram montrent une confiance en soi
très forte de certaines personnes, à travers les très
nombreux selfies, clichés d'eux. L'étude des hashtags n'a pas
donné non plus beaucoup d'éléments, excepté un
compte où la personne utilisait des termes tels que «
handsome », « hotguy » et que certains autres
prônaient l'acceptation et le fait qu'il fallait s'aimer soi-même.
Mais nous ne pouvons parler ici de narcissisme. Il serait nécessaire de
réaliser une étude psychologique davantage poussée.
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