II. La mise en visibilité et la mise en
scène de soi dans le processus de construction identitaire
La monstration de soi sur les réseaux sociaux,
l'exhibitionnisme, le désir de visibilité et d'échanges
avec autrui est un processus ancré dans la pensée collective
comme une obsession narcissique de soi. Cependant, de nombreux auteurs ne
relient pas cette volonté de visibilité à l'amour de soi
mais plutôt à la recherche de son identité. Les jeunes
individus, en pleine construction identitaire, tente de se forger une image,
une personnalité sur internet à travers ce qu'ils exposent d'eux.
Ils vont se mettre en scène pour se créer un « soi »
virtuel, qui leur ressemble, à présenter aux autres. Pour tenter
de se construire cette identité, ils vont utiliser différentes
techniques d'exposition, tout en contrôlant ce qu'ils montrent d'eux.
Cette partie permet de répondre à notre première
hypothèse et d'amorcer la suivante : l'exposition des individus sur les
réseaux sociaux pour la reconnaissance. La reconnaissance ne peut
exister sans la connaissance en premier abord. Ainsi, les individus doivent
construire leur identité et se faire connaître en s'exposant sur
les réseaux sociaux avant d'espérer une reconnaissance et un
sentiment d'appartenance.
1. S'exposer sur les réseaux sociaux : de la
recherche de soi à la mise en scène de son identité
1.1 La recherche de son identité
1.1.1 Le questionnement de soi
Les réseaux sociaux sont un lieu où se fait plus
facilement la création identitaire pour les plus jeunes, car c'est un
espace écarté du regard des parents desquels ils essayent de se
détacher. Ils sont l'émancipation de l'environnement familial et
des codes qu'il impose. Nous cherchons à devenir nous-même, en
dehors de ce cadre, pour ne plus être un individu à l'image de sa
famille mais à l'image de soi-même. Les jeunes individus sont
à la recherche de leur image et de leur identité, qu'ils tentent
de retrouver à travers les photographies postées sur les
réseaux sociaux. Axel Honneth (Honneth par Berten, 2001)79
parle de « processus d'intériorisation de soi »,
c'est-à-dire le fait de se représenter soi-même en tant
qu'objet pour se voir de façon extérieure afin de pouvoir
réfléchir sur soi. Nous pouvons appliquer ce principe aux
clichés. En effet, les individus vont se photographier afin de se voir
comme une période extérieure, tel qu'ils sont et ainsi
réagir par rapport à leur apparence (se trouver beau, laid, etc.)
Nous pouvons prendre en exemple la fameuse citation de Roger Magritte «
Ceci n'est pas une pipe ». C'est l'image d'une pipe et non
l'objet lui-même. C'est ainsi que le processus d'intériorisation
agit pour comprendre que l'image que l'on voit, c'est nous. Jocelyn
79 BERTEN André. Axel Honneth, La lutte pour la
reconnaissance. Traduit de l'allemand par Pierre Rusch. In: Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 99, n°1,
2001. pp. 135-139.
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Lachance (2015)80 rejoint Axel Honneth en
expliquant que le fait de se présenter soi-même, à travers
un selfie, une photographie, est déjà une démarche de
découverte de soi. Le simple fait de se regarder en photo, sans que
celle-ci ne soit destinée à quelqu'un en particulier, participe
à la réflexion de soi. On s'observe par la méditation de
l'écran du téléphone, comme si l'on avait un regard
extérieur sur soi-même. Serge Tisseron (2009) 81 parle
de « valorisation de l'expérience réflexive ».
C'est-à-dire que les individus ont besoin de raconter leur
expérience, de commenter leur situation pour qu'ils comprennent qu'ils
sont réellement acteur de cette même expérience. Donc
certains individus prennent des photos pour se prouver qu'ils ont bien
vécu cet instant, comme une preuve de sa réalité. La
construction identitaire de soi commence par le besoin de se créer des
histoires, des souvenirs, des brides de soi à exposer aux autres. Lors
de nos observations sur Instagram, nous ressentons ce besoin de se raconter, en
exposant ses passions, ses valeurs, son quotidien c'est une manière de
montrer à autrui qui on est et ce que l'on aime. Le fait de poster
également des photographies de paysages ou de monuments devant lesquels
les personnes posent et un moyen de se rendre acteur de cette
expérience, d'apporter la preuve que nous l'avons bien vécu et
participe à nourrir notre identité.
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