Patrimoine culturel Bandjoun. Destruction et stratégies de protection (1904-2005).par Jacques Simo Djilo Université de Dschang Cameroun - Master 2 2018 |
2.2 LE PATRIMOINE PRECOLONIAL IMMATERIEL BANDJOUNCette autre composante du patrimoine culturel Bandjoun était tout aussi riche que celui du patrimoine matériel. Ainsi, nous allons nous appesantir sur le patrimoine sur les aspects tels que : de la langue, les sociétés sécrètes, les rites, le système religieux, les danses traditionnelles. 2.2.1 Les sociétés secrètes (nkem)Elles constituaient l'un des piliers fondamentaux du patrimoine culturel immatériel Bandjoun bien même avant l'arrivée des colonisateurs. Ces sociétés s'affirmaient par leur diversité et cette diversité trouve sa raison d'être dans les guerres d'expansion de la chefferie Bandjoun depuis la fondation par Notchwegom au XVIIème siècle et surtout la conservation des valeurs culturelles des royaumes vassaux. Elles s'assimilent aux différents groupes de danses traditionnelles. Ces sociétés secrètes désignent un ensemble d'individus constitués en groupes culturellement organisés. Leurs objectifs sont clairement définis par Ambroise Nouaye et Albertin Koupgang : « Permettre à l'individu de trouver sa vraie place dans la société ; défendre le royaume et protéger la communauté de toutes sortes d'attaques y compris mystiques ; rechercher le bien-être de l'Individu et préparer sa retraite par l'épargne à travers des groupes d'entraide ; impliquer la population dans la prise des décisions concernant la gestion des personnes et des biens, contrôlant ainsi les velléités de dictature du roi, qui dès lors se trouve régulièrement sous la surveillance de ces associations ; Maitriser les forces occultes et les utiliser à des buts multiples »125(*). Il ressort donc clairement que l'épanouissement de l'Homme était l'objectif général des sociétés sécrètes même si pour d'autres témoins rencontrés ces dernières étaient quelques fois constituées des individus de mauvaise foi qui en profitaient de leur qualité de membres d'une société sécrète pour des fins maléfiques et nuisant. Plus loin, Guifo Michel, membre de la société secrète Lali du quartier Mbouo, nous révèle qu'abriter une société secrète dans sa concession n'était pas une émanation personnelle mais au contraire était réservé à une catégorie sociale. A titre illustratif, le nye était l'affaire exclusive des foto et quelques wabo126(*).Il existe plusieurs critères de classification des sociétés sécrètes cependant la classification faite par Ambroise Nouaye et Albertin Koupgang semble la plus précise. Cette classification distingue les sociétés secrètes ou les nkem de la lignée royale, les nkem des serviteurs et de leurs héritiers et les nkem accessibles aux simples habitants sans titre les nkem communs à toutes les catégories sociales127(*). La chefferie Bandjoun disposait plus d'une dizaine de sociétés secrètes dont quelques-unes sont : v Le nkamvu'u Le nkamvu'u était la société qui regroupait les neuf notables. Cet organe avait un rôle consultatif, religieux, administratif et politique. Tabue Emmanuel nous rapporte que ces neuf notables sont les descendants des neuf compagnons du fondateur de la chefferie Bandjoun128(*). Ambroise Nouaye et Albertin Koupgang ajoutent que ces neuf notables dans le nkamvu'u étaient assistés par quelques personnalités importantes parmi lesquelles les kuipo et mafo mais elles n'avaient pas de voix délibératives dans les assemblées129(*). De manière plus explicite, cette société secrète avait pour rôle de désigner le successeur du fo défunt, décider de la paix et de la guerre du royaume, assurer le contrôle des autres sociétés secrètes.130(*) v Le Nyeleng Parmi les sociétés sécrètes qui disposent une case culturelle à la place de la chefferie Bandjoun est la société Nyeleng. Les conditions d'adhésion et les fonctions en faisaient d'elle une société secrète importante. Photo 23: case de la société sécrète Nyeleng Source : Cliché Simo Djilo le 14- 03- 2019 à la chefferie Bandjoun. Une attention particulière sur l'expression littérale permet de remarquer la terminologie leng appellation en langue locale de Baleng, chefferie mère de la chefferie Bandjoun. Les deux images ci-dessus montrent les cases rituelles de cette société sécrète. On peut faire le constat selon lequel les cases sont de dimensions modestes et situées sur la place des manifestations publiques du royaume. Dans celles-ci, on retrouve le lam (Tambour horizontal), qui est gardé dans cette maison rituelle. Photo 24: Membres de la société Nyeleng Source : Koupgang, A et Nouaye, A-F., « Les Sociétés secrètes de Bandjoun »..., p.125. L'observation directe de la photo ci-dessus fait ressortir le constat suivant : les membres arborent des cagoules appelés pfuee nyeleng. D'après la tradition, cette association intervenait lors des obsèques d'un fo, d'une reine ou d'un membre du nkamvu'u. C'est elle qui conservait d'ailleurs l'objet musical sacré kwi'fo(double cloche).Elle battait également lentem (tambour à membrane/ tambour de sexe mâle)et lelem. Elle admettait aussi des femmes notamment la première épouse du fo, et la reine mère du fo. v Le Ku'ngang C'est une société secrète qui, selon la tradition orale proviendrait de Bapa. D'après la tradition orale de Tatuénè, l'un des grands fondateurs de la lignée des guérisseurs Bandjoun, cité par Koupgang Albertin et Nouaye Ambroisse, affirment : « exploitant l'écorce magique de son épouse Medzemgno venu de Bapa, Tatunenè aurait fondée cette société à caractère mystique et serait devenu le grand maitre du rite du ku'ngan »131(*)Ainsi, d'une manière plus simple, cette association organisait des rituelles suite au décès d'un de leurs membres ou lors des obsèques d'un roi Bandjoun. La dernière sortie de cette société sécrète fût en 2004.132(*) v Le mwela C'est une société très ancienne qui date de la fondation de la chefferie Bandjoun. Elle était formée des descendants du fo. Elle était en quelque sorte une société transitoire pour accéder au nyeleng. Cette société secrète participait à la régulation des pluies et participait aussi à l'ouverture de la cérémonie du kè.132(*) v Le kemdje Cette société sécrète était très redoutable à Bandjoun. Elle était considérée comme étant la gardienne des coutumes. L'image suivante met en exergue une parade de cette société secrète à l'esplanade de la place des fêtes de la chefferie Bandjoun en 1948.La dernière sortie de cette société secrète était en 2003133(*). Leur accoutrement démontre à suffisance le caractère mystique et sacré de cette société culturelle. Revêtis de peaux de panthères, des cornes de boeufs ou d'ivoires d'éléphants, cette société sécrète exécute les danses culturelles avec le visage toujours couvert. Il faut préciser aussi que cette société ne présente sa parade que lors des évènements exceptionnels tels que les funérailles d'un roi Bandjoun, la sortie du roi au la'kam... Photo 25: société secrète Kemdje Source : Koupgang, A et Nouaye, A-F., « Les Sociétés secrètes de Bandjoun », ..., p.129. * 125 Koupgang, A et Nouaye, A-F., « Les Sociétés secrètes de Bandjoun » ..., p.122. * 126 Entretien avec Guiffo Michel le 25-04-2019 à Mbouo. * 127 Koupgang, A et Nouaye, A-F.« Les Sociétés secrètes de Bandjoun »...,p.124. * 128 Entretien avec Tabue Emmanuel 25-04-2019 à Kam Ngkuikè. * 129 Koupgang, A et Nouaye, A-F.,« Les Sociétés secrètes de Bandjoun »...,p.124. * 130Notué, J-P., La place du kè et du sacré dans les arts de l'Ouest Camroun ..., p. 27. * 131 Koupgang, A et Nouaye, A-F., « Les Sociétés secrètes de Bandjoun », ..., p.128. * 132 Entretien avec Wabo Tagassi le 11- 12 2018 à Famleng Djouogo. * 133Cette date est significative tant pour la compréhension de la parade de cette société secrète en cette année tant pour l'histoire de la chefferie Bandjoun. En effet cette date marque le décès du roi Bandjoun Ngnié Kamga |
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