3.1. Structure et segmentation
Segment B2B: éditeurs de jeux et annonceurs
publicitaires
La typologie de l'offre a en outre des conséquences
directes sur la structure de la demande du marché du jeu vidéo.
En tant que marché biface, il existe effectivement deux
clientèles distinctes, à commencer par les éditeurs de
jeux (mobile et console), qui payent une redevance liée à
l'acquisition d'une licence de développeur nécessaire au
développement et à la publication de jeux sur les plateformes
hardware (Apple, Google, Sony, Microsoft, Nintendo), des taxes sur la vente de
jeux sur les plateformes de distribution digitale (App Store, PlayStation
Store, par exemple) mais également l'achat d'espaces publicitaires sur
ces mêmes plateformes afin de sponsoriser leurs jeux.
Les interdépendances entre l'offre et la demande sur ce
segment génèrent ainsi des externalités de réseau
importantes, ayant également un effet direct sur les stratégies
mises en oeuvre par les exploitants de plateformes qui s'orientent
généralement vers une stratégie de pioneering, puis de
volume dans l'acquisition des consommateurs finaux. En termes
d'externalités, le nombre d'éditeurs de jeux (et donc, de jeux)
présents dans les réseaux de distribution digitale des consoles a
un impact positif sur l'attractivité commerciale de ces
dernières. Également, un nombre important d'utilisateurs sur une
console, à même d'utiliser la plateforme de distribution digitale
de celle-ci, aura un impact positif sur la demande en publicité des
éditeurs de jeux dès lors que la concentration des utilisateurs a
une corrélation directe avec les ventes de jeux. Au-delà des
effets de réseau, des travaux de recherche (R. Gretz, 2010) ont mis en
avant l'influence du critère de qualité du produit et des
composants hardware dans les résultats de parts de marché de
l'industrie, du nombre de jeux disponibles ainsi que son impact sur la taille
du réseau et des externalités en découlant, expliquant
ainsi en partie la position de Sony en tant que leader de la filière des
consoles hardware (depuis la PS2, soit près de vingt ans) dans
l'industrie du jeu vidéo. Une seconde étude (R. Gretz, 2013) sur
une période plus récente a confirmé ces résultats
tout en affirmant que les externalités de réseau directes et
indirectes constituaient aussi un facteur significatif d'évolution des
parts de marché dans les phases de croissance et de maturité des
cycles de vie des consoles de jeu.
Naturellement, ces facteurs d'offre ont un impact
considérable sur la demande du groupe de consommateurs institutionnels,
avec une confiance accrue des éditeurs de jeux dans les capacités
de commercialisation et de distribution de leurs jeux par les fabricants de
consoles. La promotion des jeux sur les plateformes de distribution digitale
des fabricants de consoles ou des sociétés
spécialisées (Valve, Itch.io) réduit effectivement les
coûts d'analyse des retours sur investissement, permet d'automatiser la
remontée de données et d'agréger la big data, avec de
nombreux KPI (visibilité et nombre de clicks, taux de conversion en
leads, parcours de l'utilisateur) tout en facilitant pour l'utilisateur final
les processus d'achat avec des moyens de paiement variés (Paypal, carte
bancaire, cartes-cadeaux) et un paiement puis une réception du jeu en
quelques minutes. Les éditeurs de jeu peuvent quant à eux payer
selon le nombre de vues ou de clicks (figure 2), voire acheter des espaces
publicitaires uniques (figure 3) avec des call-to-action et une charte
graphique personnalisés, puis les pages légales de description du
produit et de ses fonctionnalités (figure 4) et l'ajout rapide en panier
(figure 5), ces deux derniers éléments étant
partagés par l'ensemble des jeux et applications sur la plateforme.
13
Figures 2 et 3 -- Captures d'écran de la plateforme de
distribution PlayStation Store
Figures 4 et 5 -- Captures d'écran de la plateforme de
distribution PlayStation Store
Également, la hausse de la demande en publicité
des éditeurs de jeux sur les plateformes de distribution est liée
à la modification du modèle de production et de commercialisation
du jeu-vidéo vers un système de DLC (downloadable content), comme
nous l'avons vu dans l'étude de l'offre. La monétisation au sein
du jeu et l'achat de contenus additionnels sont ainsi effectués via les
plateformes de distribution du fait des contrats d'utilisation des plateformes,
qui souhaitent verrouiller leur propre marché et leurs circuits de
distribution. Les éditeurs de jeux, soumis à
l'intermédiation des plateformes de distribution, constituent ainsi le
premier segment de clientèle du marché biface.
Segment B2C: utilisateurs finaux
Si le segment de demande B2B existe depuis la naissance de
l'industrie du jeu-vidéo avec la vente de jeux aux magasins d'arcade,
aux bars et aux casinos, le segment le plus important est pourtant
constitué des consommateurs finaux des produits, soit les usagers des
consoles et jeux-vidéos. Les fabricants de consoles, face à la
hausse de la demande sur le marché mondial, optent
généralement pour une stratégie de ciblage mass-market
pour toucher de nombreux segments de consommateurs, avec des modalités
marketing générales en termes de publicité et de prix,
tout en proposant des services multimédia pour toutes les tranches
d'âge avec des stratégies d'alliances additives (BeinSports,
YouTube, Netßix, Spotify, Twitch, par exemple). À ses
débuts, le jeu-vidéo s'adressait généralement
à des individus jeunes, de 16 à 25 ans, mais aujourd'hui, toutes
les tranches d'âge sont représentées grâce à
la diversité des produits (figure 6).
14
Pourcentage de la population
30 22,5 15 7,5 0
|
|
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|
|
< 18 ans 18-35 ans 36-49 ans > 50 ans
|
Figure 6 -- Distribution des joueurs par tranche d'âge
aux États-Unis
(Statista, 2017)
Légende:
Moins de 18 ans 18-35 ans
36-49 ans 50 ans et plus
15
La demande évolue également en fonction des
supports de jeux, avec une érosion marquée de la demande en
consoles portables face à la forte croissance du jeu sur smartphones et
tablettes (figure 7). Là encore, ces évolutions varient entre les
zones géographiques, avec une croissance en valeur en Asie du Sud-Est et
en Chine correspondant à celles de l'Europe, Moyen-Orient, Afrique et
Amérique du Nord cumulées. Une des raisons principales est
constituée du facteur de hausse du pouvoir d'achat en Asie, mais aussi
pour de l'évolution des facteurs politiques, lorsque la Chine
interdisait la vente de consoles de jeux étrangères jusqu'en
2015. Le taux d'équipement en smartphones en hausse importante en Asie
du Sud-Est explique également ces différences notables dans
l'évolution des différentes filières de l'industrie
mondiale du jeu-vidéo. Enfin, si la typologie core gamer / casual gamer
est aujourd'hui moins marquée que par le passé, les consommateurs
restent pourtant loyaux à leurs supports de jeu pour des raisons
techniques: la compétition eSport dans les jeux de shooting et de course
demeure ancrée dans la filière PC grâce aux performances
supérieures de ce support par rapport aux consoles et mobiles, quand les
jeux de rôle et d'action, autre volet important de l'eSport, sont
généralement distribués exclusivement sur PC (à
l'instar de League of Legends).
100
|
75 50 25 0
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Figure 7 -- Évolution du poids des segments dans
l'économie mondiale du jeu vidéo, en pourcentage
(Accenture, 2017) Légende:
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26
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26
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25
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26
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28
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27
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11
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11
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10
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Smartphones Tablettes
Consoles Ordinateurs
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30
|
32
|
34
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2017 2018 2019
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Concernant les éditeurs de jeux, les
sociétés indépendantes s'adressent
généralement à une niche pour se constituer une
clientèle stable avant d'entreprendre leur développement. Les
éditeurs majeurs comme Electronic Arts, Ubisoft, Take Two ou Sony
Interactive cherchent quant à eux à exploiter un catalogue de
licences et de genres variés (shooter, action, jeu de rôle, sport,
course), tout en proposant des jeux hybrides pour toucher plus d'utilisateurs,
à l'instar d'Uncharted (action, shooting, aventure) ou Rocket League
(racing, football) parmi les plus grands succès commerciaux sur PS4. La
demande varie ainsi selon les genres, et reste marquée par des
différences culturelles selon les zones géographiques: les jeux
de rôle sont bien plus plébiscités au Japon et en Asie avec
la culture anime/manga que dans le reste du monde, tandis que l'Europe et
l'Amérique du Nord partagent un fort goût pour les jeux d'action,
de shooting et de sport, représentant respectivement plus de 20%, 27% et
11% des ventes en 2016.
En outre, la perception des utilisateurs finaux évolue
selon le business model retenu par les éditeurs de jeu ou des
plateformes de distribution (Olsson et Sindenblom, 2010). En effet, suite
à un sondage, les utilisateurs mettent en avant l'achat «facile et
rapide» des éditions digitales des jeux sur les plateformes
digitales, quand d'autres plébiscitent plutôt la distribution
physique car ils apprécient la «possession physique du jeu, le
packaging et le manuel d'emploi». Majoritairement, ceux-ci ne sont pas
inquiets lors de leurs achats sur les plateformes digitales dès lors que
«les
16
vendeurs sont des entreprises réputées», ce
qui s'explique en partie par les effets des externalités de
réseau sur l'attractivité de Steam ou de Itch.io sur PC, et de
l'exclusivité des plateformes propriétaires comme l'App Store sur
les terminaux Apple, le PlayStation Store intégré au
système propriétaire des consoles Sony PlayStation et le Google
Play Store sur les terminaux et box de télévision Android.
Néanmoins, les utilisateurs identifient des
problématiques pouvant constituer des freins à la consommation
sur les business models du F2P (free-to-play), qui utilisent comme leviers
commerciaux les microtransactions (sur consoles et mobile) ou la
présence de publicité au sein du jeu (majoritairement sur
mobile). Les problématiques majoritairement soulevées sont ainsi
respectivement pour les modèles commerciaux de microtransactions et de
la présence de publicité au sein des jeux: «ces jeux
procurent moins de plaisir car les microtransactions donnent un avantage
déloyal dans le jeu aux joueurs qui possèdent le plus d'argent
réel», et «ces jeux sont de moins bonne qualité / ces
jeux sont détruits à cause de la publicité et du placement
de produits». Pourtant, ces modèles libèrent certains freins
à la consommation et disposent d'une demande croissante dès lors
que les prix d'accès pratiqués sont particulièrement bas,
voire gratuits pour l'utilisateur final, et la rentabilité s'exerce
généralement sur l'achat possible de fonctionnalités
supplémentaires (nouvelles zones à explorer, nouvelles missions,
nouveaux équipements, par exemple).
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