2.3. Modes de production et de distribution
Structure productive
Les modes de production diffèrent selon le rôle
de l'entreprise dans la chaîne de valeur globale de l'industrie, de
fabricant hardware, à développeur de jeux ou plateforme de
distribution. Nous traiterons ainsi des deux premiers cas dans cette partie,
puis dédierons une seconde partie à l'analyse des réseaux
de distribution.
Les fabricants de consoles disposent d'une production mixte,
à la fois internalisée et externalisée, suite à des
acquisitions d'entreprises satellites dans une logique d'intégration
verticale de la chaîne de valeur. Elles disposent également de
fournisseurs externalisés pour des composants technologiques
particuliers, comme les processeurs fabriqués par Intel et AMD, et des
cartes graphiques produites par Nvidia ou AMD, en raison des économies
d'échelle que réalisent ces sociétés et la
réduction du coût d'acquisition par rapport au coût de
développement que requiert ces composants. Si la phase de conception et
de production est internalisé, du design au développement du
produit, l'assemblage est réalisé à la fois dans des
usines et bâtiments spécialisés détenus par les
fabricants mais également avec des partenaires au Japon, en Chine et
à Ta ·wan comme Foxconn en raison des volumes de production
importants et de la capacité de production de ces sociétés
spécialisées. Enfin le transport et la logistique est
majoritairement réalisé par des prestataires externes comme DHL
et United Parcel Service, deux entreprises mondiales du secteur de la
logistique (Kramberger, 2016, p. 362).
Avec les volumes de production réalisés sur la
manufacture de consoles, les fabricants réalisent des économies
d'échelle importantes, associées à un apprentissage
progressif sur l'efficience des processus de production. Au même moment,
le prix des composants décroît avec le temps, en raison d'une
meilleure maîtrise de la technologie de la part des
sociétés externalisées (AMD, Intel, Nvidia). Ces facteurs
expliquent la décroissance du prix et la stratégie
d'écrémage des fabricants de consoles dans les différentes
phases de vie de leurs produits commercialisés. Les marges
réalisées sur les consoles sont pourtant relativement faibles,
inférieures à 4% pour la PlayStation 4 et la Xbox
One(8) dans les deux premières années de
commercialisation, malgré des volumes de vente importants. Les leviers
de rentabilité principaux concernent en réalité la vente
de services comme la souscription premium Xbox Live ou PlayStation Network,
avec des coûts de mise en oeuvre très faibles, permettant aux
joueurs d'accéder aux contenus en ligne et d'interagir avec leurs
semblables au sein des jeux-vidéos. En outre, les fabricants de consoles
impactent leurs marges faibles sur la commercialisation de droits
d'accès à l'écosystème de leurs consoles pour les
éditeurs de jeu, dans des coûts de publication et de distribution
digitale qui concernent tant l'achat du jeu que l'achat de
fonctionnalités supplémentaires. La commercialisation
d'accessoires, comme les manettes et autres accessoires de jeux (volants de
course, casques audio officiels, caméra d'interaction, casque de
réalité virtuelle), permet également aux fabricants de
diversifier leurs leviers de rentabilité et de répartir les
coûts de production des consoles sur d'autres produits et services.
Concernant les développeurs et éditeurs de jeux,
les coûts et les durées de développement s'envolent en
raison de produits de plus en plus sophistiqués dans les graphismes
proposés, les fonctionnalités présentes (tant dans les
actions possibles par le joueur, que l'accès à des modes divers
tels que l'online ou la possibilité de jouer en coopération)
ainsi que les coûts marketing mis en oeuvre dans la commercialisation des
jeux. Avec des prix moyens de vente des packages autour de 69,99€ à
leur lancement sur consoles, les éditeurs ne perçoivent qu'une
part faible de la marge réalisée sur la vente des produits
(figure 1). Ainsi, l'un des plus grands succès des consoles de
dernière génération, Grand Theft Auto 5, présentait
des coûts de développement et marketing supérieurs à
235 millions de dollars (Gamesindustry, février 2013).
10 %
10 %
15 %
30 %
35 %
Figure 1 -- Distribution traditionnelle du revenu de la vente
d'un jeu vidéo (Dovey & Kennedy, 2006)
Légende:
Éditeur et développeur Revendeur
Distributeur Marketing
Fabricant de console
10
Pourtant, avec une baisse de la demande pour un produit dans
le temps, les éditeurs de jeux ne pourraient pas actuellement
rentabiliser leur développement en conservant ce modèle
traditionnel. Pour ces raisons, le business model des jeux-vidéos
évolue depuis une dizaine d'années, avec des nouveaux modes de
monétisation pour développer non seulement des revenus
additionnels, mais également améliorer l'engagement des
consommateurs dans le temps. Les DLC (downloadable content) viennent en aval de
la sortie du produit pour augmenter la durée de vie des
jeux-vidéos en créant des contenus supplémentaires
payants, permettant également plus de flexibilité dans la gestion
du projet et donc, in fine, dans la production.
Unités vendues (mio)
24
18 12 6 0
|
|
2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018* 2019*
Marché mondial du jeu-vidéo en volume, par type de
business model (Statista, 2017)
Légende: Marché du DLC Marché des
packages / en millions d'unités vendues
|
11
On constate également l'essor des jeux F2P
(free-to-play), qui cherchent à diminuer les coûts de promotion
des produits tout en attirant plus de joueurs par la gratuité du jeu,
avec une rentabilité sur les contenus additionnels au sein du jeu sous
forme de microtransactions. Les studios de développement cherchent en
outre à développer les liens entre leurs licences et créer
un univers synergique comparable à ce qui existe actuellement chez
certains majors de l'industrie cinématographique, comme DC Entertainment
et Marvel. Ainsi, depuis plusieurs années, les éditeurs
dépassent leurs fonctions historiques de développement et de
publication de jeux, pour devenir des sociétés de management de
portfolio de produits.
Comparaison des modèles de monétisation
|
Packaging et DLC
|
Free-to-play
|
Coût d'achat
|
Plusieurs éditions proposées, avec un Season Pass
incluant les futures mises à jour
- 69,99€ jeu seul
- 79,99€ jeu et un DLC
- 99,99€ jeu et Season Pass
|
- Gratuit à l'acquisition
- Contenu supplémentaire sous forme de
microtransactions
|
- Physique (package)
- Digitale (jeu seul, et téléchargement des DLC et
autres mises à jour)
- Distribution physique: gestion des stocks - Distribution
digitale: disponibilité de la plateforme, promotion des produits
- Chaîne de production et revendeur
- Plateforme de distribution et éditeurs pour les
coûts publicitaires
Baisse du revenu sur la vente de produits physiques,
compensée marginalement par les contenus supplémentaires
Exclusivement digitale
Conversion des usagers en clients
- Développeur du jeu par l'attractivité du contenu
supplémentaire
- Plateforme de distribution par le design de
l'expérience utilisateur lors de l'achat
Un risque important sur la rentabilité des produits avec
des pertes au lancement et un horizon incertain selon le succès relatif
du jeu et la conversion effective
Joueur (coût d'achat élevé, sans
période d'essai ni possibilité de remboursement)
Développeur / éditeur (taux de conversion)
Détenteur du risque
Distribution
Défi principal
Parties
responsables
Impact financier
(Adapté de Kelly / Accenture, 2014, p. 115)
Structure et évolution des modes de distribution
Le modèle de distribution classique physique est en
profonde mutation vers un modèle de distribution digitale. Ce
phénomène lié à l'existence d'internet a
émergé dans les années 1980, mais connaît un
réel développement dans les années 2000 avec l'apparition
de l'e-commerce, et l'on voit que ce modèle digital occupe une place de
plus en plus importante dans l'industrie du jeu-vidéo face à la
distribution physique traditionnelle. En 2009, le modèle de
distribution
12
physique aux États-Unis concernait près de 80%
des ventes de jeux vidéos tandis qu'en 2016, il ne représente
plus que 26%.(12)
Le modèle de distribution digitale repose sur du B2C,
lorsque le modèle de distribution physique était de type B2B2C.
L'évolution du modèle réduit ainsi l'intermédiation
des acteurs par l'émergence de plateforme de distribution digitale
où la promotion et la commercialisation des jeux est assurée
directement auprès des consommateurs. Auparavant, le prix d'un jeu
vidéo se décomposait en une tranche comprise entre 10% à
12% qui revenait au distributeur, puis environ 3% à 12% couvrait le
coût de production du support matériel pour les jeux PC et
console, respectivement. En supprimant les intermédiaires, les
coûts de distribution des jeux diminuent de près de 20%. (13)
En outre, pour les fabricants de console qui disposent
généralement de leurs propres plateformes de distribution
digitale, l'absence de coûts de stocks, des coûts d'exploitation
bien plus faibles et l'absence d'intermédiation dans la distribution
leur permet de bénéficier d'une rémunération de
taxation sur la vente des produits, tout en consolidant davantage leur
chaîne de création de valeur. Un autre avantage non
négligeable de la digitalisation pour l'industrie du jeu vidéo
réside dans le fait qu'elle constitue une solution efficace contre le
piratage, que l'on évaluait à près de 66 milliards d'euros
en 2014. (14)
Le modèle de distribution digitale offre la
possibilité de proposer les jeux vidéos sans limite de stocks et
de disponibilité aux consommateurs mais aussi de proposer un catalogue
élargi face à la distribution physique qui pour des questions de
logistique et de rentabilité ne proposait qu'un catalogue
resserré de potentiels best-sellers. Les jeux indépendants ont
également la possibilité d'être distribués et de
connaître un plus grand succès. On peut ainsi atteindre tous les
segments de la demande, y compris les niches.
Concernant le consommateur, le jeu vidéo est
dématérialisé et accessible où qu'il soit, tout en
disposant d'une plus grande longévité dans la mesure où un
support physique pouvait s'endommager tandis qu'il peut
retélécharger le jeu digitalisé s'il est endommagé
sur son appareil. Les coûts d'achats sont égalements moindres dans
la mesure où les marges sont réduites en misant sur le volume. Le
seul réel désavantage est l'impossibilité de
re-commercialiser le produit lorsqu'il est «usé» mais ce
désavantage est largement compensé par le coût
réduit d'achat du jeu.
3. Analyse de la demande
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