L4égalité des créanciers dans les procédures collectives en droit OHADA.( Télécharger le fichier original )par Darly Russel KOUAMO Abomey-calavi (Bénin) - DEA 2012 |
PREMIERE PARTIE :Une applicabilité affirmée.
« Le principe de l'égalité est un des piliers du droit privé », ainsi s'exclamait Pierre MAZIERE22(*), et, il s'applique aussi bien en droit civil qu'en droit commercial. L'on note tout de même que le droit commercial constitue le domaine par excellence de l'égalité et plus précisément le droit des procédures collectives. D'ailleurs, l'on a pu considérer cette égalité comme étant le modèle parfait. Il s'agit de la philosophie qui innerve le droit des entreprises en difficultés. Un auteur a pu dire qu'elle était l'âme des procédures collectives23(*). En matière civile, le créancier le plus vigilant qui poursuit le premier son débiteur aura peut-être la chance d'être payé avant les autres créanciers. Ce qui n'est pas le cas en droit des entreprises en difficultés où l'approche individualiste est sacrifiée au profit de l'approche collectiviste et ce sur la base égalitaire. La loi soumet tous les créanciers tant bien que mal à la discipline collective, qui est alors perçue comme le socle de l'égalitarisme24(*). Cette exigence égalitaire ne transparaît pas expressément dans les dispositions de l'acte uniforme OHADA portant procédures collectives ; elle est déduite de l'article 72 dudit acte qui prescrit une certaine attitude à observer par tous les créanciers dès le déclenchement de la procédure. De ce fait, l'on s'accorde unanimement sur la certitude de l'applicabilité de l'égalité des créanciers. C'est une égalité pleinement affirmée et en vertu de laquelle tous les créanciers, sans distinction, subiront des atteintes à leurs droits individuels au profit d'une organisation collective25(*). Il s'agit indubitablement des mesures assurant l'unité de la procédure. En conséquence, il s'opère un nivellement des situations juridiques de tous les créanciers dont le droit est gagé sur tout le patrimoine du débiteur26(*). Pour plus de précision, l'on verra d'entrée de jeu l'affirmation par la constitution de la masse des créanciers (Chapitre 1), ce qui permettra ensuite d'analyser l'affirmation par l'assujettissement à la discipline collective. (Chapitre 2) CHAPITRE I- L'affirmation par la constitution de la masse.La consécration des droits et devoirs égalitaires des créanciers dans les procédures collectives d'apurement du passif en droit OHADA est une réalité. Ce principe demeure la base desdites procédures. Il constitue une protection collective accordée à tous les créanciers. C'est un axiome fondamental qui entraine l'implémentation de nombreuses autres règles dérogatoires évitant la tricherie d'un créancier trop impatient27(*). Toutefois, il est à noter que cette égalité n'est pas étendue à tous les créanciers ; il s'agit d'une catégorie des créanciers bien précisée et ce au cours des procédures également déterminées. Cette posture est adoptée par la quasi totalité des systèmes juridiques contemporains. C'est dans cette optique que le Guide législatif de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International impose le traitement équitable des créanciers se trouvant dans la même situation. C'est en quelque sorte une concrétisation du principe d'économie de la procédure. Ledit guide impose en substance la centralisation du traitement de l'endettement et la valorisation maximale des actifs à réaliser28(*). Ainsi, il est aisé de constater que l'égalité des créanciers est inopérante dans la prévention des difficultés des entreprises. Dans le règlement préventif prévu à cet effet par le législateur communautaire, les créanciers ne sont point astreints à un traitement égalitaire. D'ailleurs c'est là que règne l'inégalité par excellence notamment dans l'adoption des propositions concordataires. Un auteur a pu écrire à ce sujet que dans le cadre du concordat, le droit des procédures collectives réserve un sort différencié entre les créanciers en fonction des remises qu'ils ont bien voulu consentir aux débiteurs29(*). En droit français, la jurisprudence n'a pas souhaité étendre le principe de l'égalité des créanciers dans les procédures collectives, à la procédure de prévention instaurée par la loi du 1er mars 198430(*). L'on ne saurait toutefois nier l'existence de quelques mesures s'appliquant à l'ensemble des créanciers, toutes choses qui ne sauraient véritablement être conçues comme étant une démarche égalitaire. En revanche, dans le traitement effectif des difficultés des entreprises, l'impératif égalitaire plane au dessus de tous les protagonistes à la procédure. Si en période de redressement judiciaire le vocable masse est consacré par le législateur, en période de liquidation c'est l'union qui existe. Tout compte fait, l'on peut aisément constater qu'il s'agit réellement de procédures strictement égalitaires. Il s'avère donc important d'appréhender le domaine de cette égalité, autrement dit, les catégories de créanciers soumis à cette égalité procédurale. Cette démarche se révèlera d'un intérêt assez pratique pour la compréhension de la présente étude. La maitrise parfaite de cette applicabilité ne peut se concevoir qu'après la mise en exergue du champ d'application de ladite règle. Ainsi, seront successivement abordées, la détermination des créanciers composant la masse (Section1), puis, l'expression de l'égalité à travers le monopole de représentation conféré au syndic, véritable « brain trust » de la procédure. (Section 2) Section I. - La détermination des créanciers composant la masse.S'il est unanimement admis que le droit OHADA des entreprises en difficultés s'est beaucoup inspiré du droit français, particulièrement la loi française du 13 juillet 1967, l'on note tout de même qu'il n'intègre pas toutes les avancées en la matière, notamment depuis la réforme du 1er mars 198431(*). Lesquelles avancées s'observent à travers l'instauration d'une procédure amiable et discrète. Quoi qu'il en soit, toutes ces législations sont unanimes sur l'affirmation de l'égalité des créanciers dans le droit des entreprises en difficultés. En outre, elles s'accordent sur le domaine desdits créanciers égalitaires, en l'occurrence les créanciers antérieurs au jugement d'ouverture (Paragraphe 1), tout ce qui est pleinement justifié comme l'on verra. (Paragraphe 2) Paragraphe 1- L'exclusivité des créanciers antérieurs.Aux créanciers antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective, il est appliqué ce que le Professeur CORRE qualifie «de régime de la maltraitance»32(*) ; contrairement aux créanciers postérieurs qui selon la formule du même auteur, bénéficient du régime « des soins attentifs » en contrepartie de leur concours indispensable non seulement au déroulement normal des opérations de la procédure, mais aussi à la conservation ou à l'accroissement du patrimoine du débiteur. De la combinaison des articles 72 et 117 de l'acte uniforme portant procédures collectives, il ressort formellement que seuls les créanciers antérieurs sont astreints à la discipline collective sur la base égalitaire. L'identification de ces créanciers passe par la prise en compte du fait générateur de la créance (A) et le caractère légal de ladite créance. (B) A- La prise en compte du fait générateur de la créance.La masse des créanciers est constituée par tous les créanciers chirographaires antérieurs au jugement d'ouverture, sans oublier les créanciers munis des privilèges généraux et même ceux titulaires des sûretés spéciales33(*). Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le caractère de la créance qui importe ici, c'est sa date de naissance. C'est pourquoi la détermination des créanciers regroupés au sein de la masse se fera sur la base chronologique en observant le fait générateur de la créance. En droit français, l'on utilise l'expression « créances de l'article 5034(*) » pour les identifier. L'antériorité s'apprécie au regard du fait générateur de la créance et non de son exigibilité. Le critère à prendre en compte est donc la naissance de la créance, critère en cohérence avec les dispositions concernant les créances postérieures. Cependant, il faut admettre avec le Professeur PEROCHON que la recherche du fait générateur est parfois délicate35(*) . L'on n'est pas sans ignorer que le droit des entreprises en difficultés est marqué par son caractère conflictuel en raison des intérêts antagonistes et divergents en cause. Ceci étant, l'on recherche activement à réduire au plus bas possible le passif du débiteur, ce qui ne peut être fait que par une exclusion de certaines créances. En ce sens, SAWADOGO Michel fait observer qu'il s'agit de traiter de manière égalitaire les créanciers antérieurs et de s'assurer que leurs droits sont fondés36(*). Etant donné que les procédures collectives sont destinées à préserver le crédit des activités économiques, il est tout à fait logique que la sauvegarde des intérêts des créanciers qui ont fait confiance à l'entreprise soit effective, ceci d'autant que l'ouverture de la procédure à l'endroit de leur partenaire les met aussi certainement en difficultés. Une jurisprudence de la Cour de Cassation française considère en ce sens que la créance née de la garantie d'un vice caché, a son origine au jour de la conclusion de la vente et non, au jour de la révélation du vice37(*). Le vice ayant été révélé bien après le délai laissé pour la déclaration, le créancier se trouvait forclos. La solution était cependant justifiée sur le plan juridique car la créance a son origine à la conclusion du contrat, l'obligation de garantie des vices cachés étant une obligation contractuelle. Pourtant elle semblait tout à fait injuste en pratique, le créancier n'ayant pas les moyens de s'en rendre compte38(*). C'est pourquoi il est également exigé que ces créances soient régulièrement admises. * 22P.MAZIERE, Le principe d'égalité en droit privé, thèse, 2003, presse universitaire D'Aix-Marseille, p.33, cité par O. KAHIL, op.cit., p. 41. * 23 M. VASSEUR, le principe de l'égalité entre les créanciers chirographaires dans la faillite, thèse, Paris, 1947 ; obs. B. SOINNE, D.1986. Somm. 9 : « Ame de ces procédures en même temps que loi d'airain à laquelle tous ceux qui n'ont pas une cause légale de préférence doivent être soumis, l'égalité a inspiré la quasi totalité des solutions spécifiques à ces procédures, la principale d'entre elles résidant dans la constitution de la masse(...) » ;aussi, P. Le CAMU et ALII , Entreprises en difficultés, joly,1994, n° 6, Cités par R. NEMEDEU, « Le principe d'égalité des créanciers : vers une double mutation conceptuelle », RTD com. avril/juin 2008, note de bas de page n°4, p .242 * 24idem, n°23, p. 246. * 25A. KANTE , « réflexions sur le principe de l'égalité entre les créanciers dans le droit des procédures collectives d'apurement du passif (OHADA) » EDJA N° 56 , www.ohada.com,Ohadata D-O6-47, consulté le 03 décembre 2012 à 10h 45. * 26 D. CORRIGNAN-CARSIN, l'affaiblissement de la condition des créanciers privilégies spéciaux dans les procédures collectives, Thèse, Université de Rennes, 1977, P18, L'auteur pense que cette approche collectiviste sur la base égalitaire vise à garder intact le patrimoine actif de l'entreprise ce qui pourrait favoriser la poursuite de ses activités jugées indispensables tant pour l'économie nationale que régionale. * 27 J-P. MASLIN, La place du navire dans la faillite internationale, Mémoire présenté en Master II Professionnel Droit Maritime et des Transports, Faculté de Droit et de Science Politique d'Aix-Marseille, Université Paul Cézanne ,Centre de Droit Maritime et des Transports, 2009/2010, P17. * 28 F. GEORGES, « L'égalité des créanciers : un mythe? » in Revue de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 2009, p321. * 29A. KANTE , op.cit. * 30 Cass.com., 16 juin 1998, J.C.P. (E) 1998, 1795, note SERLOOTEN ; D. 1998, 429, Droit fiscal, septembre 1998, 1185 : « abstraction faite du motif erroné et surabondant selon lequel la règle de l'égalité des créanciers, principe fondamental des procédures collectives, s'applique à la procédure de règlement amiable ». Au passage, on appréciera la précision de la cour de cassation, qui fait, dans la même phrase, de l'égalité des créanciers une « règle » et « un principe fondamental » . C. Toulouse, 24 avril 1998, jurisdata n° 040866 « le principe de l'égalité entre les créanciers est inapplicable dans le cadre de la loi du 1er mars 1984 ». cité par C. LEGUEVAQUES, « L'égalité des créanciers dans les procédures collectives : flux et reflux » , in gazette du palais-recueil juillet-Aout 2002, p1222. * 31R. NEMEDEU, « Le principe d'égalité des créanciers : vers une double mutation conceptuelle », R.T.D.com. avril/juin 2008, n° 28, p.247. * 32 P.-M. LE CORRE, Premiers regards sur la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005- 845 du 26 juillet 2005), Dalloz, 2005, supplément au n° 33, p. 2312, n°44. 518 Cité par F. THERA, L'application et la réforme de l'acte uniforme de l'OHADA organisant les procédures collectives d'apurement du passif, Thèse, Université Jean Moulin Lyon 3, Présentée et soutenue à Lyon le 6 décembre 2010, p180. * 33F. M. SAWADOGO, procédures collectives d'apurement du passif, commentaire des l'acte uniforme portant organisations des procédures collectives d'apurement du passif, Juriscope, collection OHADA, Harmonisation du droit des affaires, Mise à jour 2011, note sous l'article 72, p953. * 34 Actuellement ce sont les dispositions de l'article L.621-43 du Code de commerce qui ont remplacé l'article 50 sus évoqué. * 35PEROCHON et BONHOMME, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, L.G.D.J. 8ème édition 2009, n°235, p.221, cité par F. THERA op.cit.,p.180. * 36F. M. SAWADOGO, « Etude des actes uniformes de l'OHADA portant sur l'organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution et sur l'organisation des procédures collectives d'apurement du passif », formation de .juristes béninois en droit OHADA tenue à l'Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature du 13 au 16 mai 2008, p.55. * 37 Com. 8 juin 1999 JCP E 2000 n°4 p131 obs. CABRILLAC. * 38B. Clémence, Le sort des créanciers munis de sûretés après la réforme des procédures collectives et la réforme du droit des sûretés. Magistère de juriste d'affaires. DESS. DJCE Université Paris II Panthéon Assas Mai 2006, p.37. |
|