5.2 Hypothèse 2 : Un hôtel de luxe ne
pourra passer véritablement au développement durable que lorsque
ses membres dirigeants, opérationnels et ses clients prendront
conscience de manière personnelle de ses enjeux.
5.2.1 Analyse des interviews et questionnaires
Cette hypothèse trouve ses réponses dans les
rouages mêmes d'un hôtel de luxe. Dans toutes les interviews que
j'ai pu faire, il en ressort toujours que la volonté de passer à
un autre modèle passe bien sûr d'une part par la marque ou le
groupe mais que le bon déroulement de ce changement passe par des
personnes individuellement motivées pour ce changement et qui y
croient.
L'interview de Sylvie Petrus40, directrice
administrative et financière du Sofitel Paris La Défense est en
ce sens très évocateur. Elle me parle d'une lutte contre le
gaspillage. Si c'est une lutte, c'est que les gens n'ont pas encore pris en
considération les impacts négatifs que
40 Voir Annexes, 1.4 Interview de Sylvie Petrus, page
15
44
nous pouvons avoir au quotidien sur l'environnement. Elle me
dit ne pas avoir « attendu cette révolution du développement
durable pour prendre conscience des dangers auxquels nous faisons face pour
l'avenir ». La motivation viendrait du fait que l'on soit
déjà ou non averti et conscient des bénéfices d'un
développement durable de manière personnelle. Et c'est un peu un
cercle vicieux car ce manque de motivation peut ensuite déteindre sur la
clientèle, qui, ne voyant aucune motivation dans ce sens, se sentira
complètement en dehors de ces questions liées au
développement durable. Il n'est alors pas étonnant de voir que
dans le questionnaire numéro 2 41sur le développement
durable et l'hôtellerie de luxe, la majorité des répondants
affirme que les principaux freins d'un hôtel de luxe à passer au
durable viendrait de la clientèle et des fournisseurs, mais il s'agit
aussi de mettre les hôteliers dans cette réponse.
Il n'y aura pas de développement durable sans acte
humain. Et c'est en cela que c'est encore plus complexe car l'humain a besoin
d'être motivé, d'être secoué pour avancer ce qui rend
la tâche plus complexe et forcément plus longue.
Pour reprendre l'interview de Sylvie Petrus, il y a des
leaders qui sont là dans chaque structure pour faire passer des
messages. Elle se qualifie de « police » du gaspillage car c'est elle
qui tape sur les doigts des gens lorsqu'ils consomment mal. Qualifier ses actes
comme ceux d'un membre de la police est un peu dur, finalement c'est elle qui a
le mauvais rôle dans l'histoire. Les gens soufflent, font mine de
comprendre mais oublient aussitôt. Il y a déjà une dizaine
d'année, Sylvie avait rédigé une lettre à
l'attention des collaborateurs 42pour essayer de les sensibiliser au
développement durable. Résultat des courses, 10 ans après,
cette lettre serait toujours d'actualité et les termes n'auraient pas
changés... Comme elle dit, les mentalités évoluent mais il
faut être patient.
10 ans ne suffisent pas à changer des habitudes
cependant c'est en prenant le taureau par les cornes que l'on peut avancer.
Rien n'est pire que l'immobilisme en attendant de voir ce qui se passera.
L'implication ne peut être effective que lorsque l'on en comprend les
enjeux. Elle me parle à ce sujet justement des femmes de chambres qui
sont touchées par l'action humanitaire du Sofitel Paris La
Défense à SOS Sahel43, à qui l'hôtel
donne tous les semestres la moitié des
41 Voir Annexes, 1.2 Questionnaire numéro deux,
page 6
42 Voir Annexes, 1.5 Lettre de Sylvie Petrus, page
19
43 Voir Annexes 1.6 SOS Sahel, page 21
45
économies de blanchisserie faites grâce à
l'opération 5 serviettes réutilisées= 1 arbre
planté44. Beaucoup des
femmes de chambre qui travaillent au Sofitel paris La Défense viennent
de cette région du monde. Elles sont touchées que l'on veuille
aider leur région natale dont elles connaissent les
réalités de terrain. Cette action les motive au quotidien, elles
comprennent ce pourquoi elles font certaines actions. Cela donne une notion
plus concrète à certaines demandes qui peuvent paraitre floues
dans les esprits45.
La question de la motivation est soulignée par toutes
les personnes que j'ai pu interroger. Milan Spoljaric46 par exemple,
Responsable technique du Sofitel Paris La Défense, semble
attristé de certains comportements. Gérant au quotidien toutes
les questions techniques et opérationnelles de l'hôtel il se rend
compte avec une pointe d'amertume que le développement durable est chez
la plupart des gens une réelle contrainte. Il dit également qu'il
y a beaucoup de marge avant que les mentalités évoluent. Milan
prend la question du développement durable comme une question importante
depuis longtemps, pourtant il semblerait que sa motivation s'étiole au
fur et à mesure qu'il voit ses collègues ne jamais prendre
conscience du changement à faire. Il voit au quotidien que des choses
aussi simple que ne pas débarrasser n'importe comment son plateau
à la cantine ne sont pas faites. Il se demande comment les gens
réagiraient si en plus on leur demandait de faire du tri. L'adaptation
et la motivation seraient nécessaires mais il souligne que certaines
personnes vont toujours aller dans un sens contraire juste pour ne pas suivre
la mouvance. Ce manque de motivation vient d'un manque d'information pour la
plupart, il faudrait des films chocs, peut-être même des amendes
pour le non-respect de certaines règles. Car comme il le souligne
à plusieurs reprises, le développement durable c'est un peu le
bâton et la carotte. Tant qu'on ne se fait pas « épingler
» pour nos mauvaises conduites on continue à aller dans le mauvais
sens... en revanche si on doit un jour verser une amende à chaque fois
que l'on trie mal son plateau, beaucoup de gens finiront par faire un tri
parfait ! Pour lui, tout le monde devrait savoir et ceux qui ne savent pas ne
veulent seulement pas savoir. La volonté personnelle de changer n'est
pas là et c'est elle qui bloque majoritairement la situation.
44 Voir Annexes 1.7 Explication système des
serviettes, page 22
45 Voir Annexes, 1.15 Affichage destiné aux
femmes de chambre, page 37
46 Voir Annexes 1.8, Interview Milan Spoljaric, page
23
46
Ce qui est assez frappant dans le questionnaire 147
c'est qu'à la question « selon vous quels facteurs seraient
susceptibles d'entrainer un changement de comportement ? », la
majorité dit que ce serait possible par des économies ou des
gains financiers et vient ensuite la réponse « par des obligations
ou mesures publiques ». La sensibilisation vient après. Je pense
que ces données peuvent aussi s'appliquer à l'hôtellerie de
luxe et à n'importe quelle structure. Si les gens ne sont pas convaincus
de la nécessité de passer au développement durable
après y avoir été sensibilisés, ce sont des mesures
plus drastiques qui viendront faire changer les actes. Le grand public est en
majorité convaincu qu'il faudrait être soit dans le gain d'argent,
soit dans la répression pour pouvoir enfin changer ses habitudes. Triste
tableau, qui se révèle pourtant être vrai dans toit type de
structure.
Monsieur Donzel, le directeur général du
Sofitel48 Paris La Défense souligne également le fait
que les choses n'avancent pas vite non pas par des problèmes financiers
mais surtout pas un souci d'envie générale ! Il déplore le
fait d'une mentalité française qui pense que c'est à
l'Etat de tout faire sous prétexte que l'on paye des impôts. Tout
citoyen du monde doit s'investir selon lui mais cette fois encore s'il
s'implique dans le développement durable c'est que personnellement il y
croit et que chez lui il agit dans ce sens. Il dit lui-même dans mon sens
que : « Je pense que si personnellement on est impliqué et on en a
conscience on sera plus à même de le faire. Si à la maison
on ne le fait pas, on ne comprend forcément pas les enjeux. ». La
solution serait pour lui, plus de sensibilisation et des leaders des questions
du développement durable.
Anne de Reinach Hirtzbach49, consultante en
hôtellerie de luxe et directrice de l'agence White Velvet, a l'avantage
de pouvoir avoir une très grande visibilité sur ce qui se fait au
niveau développement durable aussi bien en France qu'à
l'étranger. Elle déplore le manque de volonté de la part
des hôteliers. Certaines actions sont bien mises en place dans les
hôtels mais ce ne sont que des « petits » détails qui
laissent supposer un engagement durable mais qui en fait ne prouvent pas du
tout un engagement sur le plus long terme. L'hôtellerie de luxe durable
est pour elle possible dans l'essence même du fait que ces structures ont
plus de moyens financiers pour instaurer des politiques dans ce sens.
Malgré cela, il y a des freins, plus humains que matériels. En
effet le frein principal vient du fait qu'en instaurant une
47 Voir Annexes, 1.1 Questionnaire numéro 1,
page 2
48 Voir Annexes, 1.3 Interview de Monsieur Julien
Donzel, page 10
49 Voir Annexes, 1.9 Interview Anne De Reinach
Hirtzbach, page 27
47
politique de développement durable, les effets positifs
ne seront pas visibles de suite. Cela peut en décourager plus d'un qui
préférera investir dans du « concret » et du visible
instantanément. De plus beaucoup de clients pensent qu'ils ont
suffisamment de moyens alors pourquoi économiser ? Ils ne se projettent
pas dans le futur avec crainte sachant que le leur et celui de leurs enfants
reste assuré. Il y a cette ambivalence du client qui a les moyens et qui
pourrait vivre autrement et le client qui a les moyens et qui en profite
jusqu'au bout sans se soucier de son environnement. La question de la
volonté ressort toujours. Elle est accompagnée d'une implication
déjà personnelle dans ce genre de question. Si la conviction est
présente que ce soit aussi bien chez l'hôtelier, le client ou le
fournisseur, alors les choses seront beaucoup plus simples à mettre en
place et les investissements humains et financiers seront alors plus
assimilables.
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