2.Un exemple de pratique
internationale : L'affaire Gabcikovo- Nagymaros88(*)
L'affaire Gabcikovo-Nagymaros, dont l'arrêt a
été rendu par la Cour Internationale de Justice le 25 septembre
1997 représente un exemple illustrant la mise en oeuvre de l'EIE dans le
cadre d'un projet de développement conçu par la Hongrie et la
Tchécoslovaquie.
Le problème principal était de déterminer
si un pays peut, en invoquant des motifs de protection de l'environnement, se
soustraire à l'effet d'un traité.
Le projet en question, fondé sur un traité
signé par les parties en 1977, portait sur la construction
d'écluses, destinées à mettre en valeur, de façon
générale, les ressources naturelles de la section
Bratislava-Budapest du Danube aux fins du développement des secteurs des
ressources hydrauliques, de l'énergie, des transports et de
l'agriculture et des autres secteurs de l'économie nationale des parties
contractantes.
En raison de divergences quant à la suite du projet, la
Hongrie décida de suspendre puis d'abandonner ses activités en
1989. Elle justifiait sa décision en émettant des doutes quant
à la viabilité du projet sur le plan économique et des
garanties concernant le respect de l'environnement. Elle a, pour cela,
invoqué un état de nécessité écologique
résultant des diverses évaluations entreprises au cours de la
construction.
En effet, à la suite des études menées
par l'Académie des sciences de Hongrie, il a été
constaté que les conséquences sur l'environnement en
général, l'écologie et la qualité de l'eau en
particulier, justifiaient la décision d'abandonner le projet. De l'avis
de l'Académie, « le risque qu'entraînerait la
construction du système de barrage conformément au plan initial
ne peut être considéré comme acceptable ».
Pour elle, le projet ainsi maintenu entraînerait un risque grave et
imminent pour l'environnement, tout en faisant part de ses incertitudes quant
à l'aboutissement réels de ces conséquences
écologiques prévues89(*).
En ce qui concerne la situation à Nagymaros, la Cour
conclut que, quand bien même un risque grave pour l'environnement est
envisageable, ce risque n'est pas imminent au moment de l'abandon des travaux.
Tandis que du côté de Gabcikovo, le risque existe mais demeure
incertain. Les EIE réalisées par l'Académie ont certes
servi à déceler un impact négatif probable sur
l'environnement, mais elles n'ont pas démontré le
caractère imminent des risques encourus. Il est fort remarquable de dire
que dans ce cas que les mesures prises sur la base de l'EIE doivent être
proportionnées aux conclusions de cette étude. La Cour n'a en
effet pas accepté qu'une mesure si incisive soit appliquée, alors
que rien ne justifiait dans l'EIE une telle décision. Au contraire, la
Cour estime que d'autres moyens auraient pu être envisagés pour
éviter ce risque pour l'environnement, comme un contrôle de la
répartition des eaux, l'aménagement d'ouvrages de
régulation des flux du Danube ou la renégociation des travaux.
L'analyse d'une alternative doit alors être
envisagée avant d'abandonner les travaux, ce d'autant plus que cet
abandon représente une violation du traité de 1977 sur lequel
repose la conception du projet. Si le projet est abandonné, cela doit
signifier que le peril environnemental encouru dans la poursuite des travaux
est plus grave qu'une violation du traité. Or, la violation d'un
traité peut engager la responsabilité de l'Etat, et donc, est un
fait d'une extrême gravité. Il faut que l'environnement soit
menacé d'une façon telle qu'il serait déraisonnable de
persister à l'appliquer90(*). Les différentes études menées
n'ont pas identifié une telle menace, de sorte que la Hongrie
n'était pas en droit d'arrêter les travaux. Cet exemple est le
signal d'une évidente exception dans l'application des traités
internationaux. Les considérations écologiques prendraient
désormais le pas sur les règles classiques du droit international
public si les règles du droit de l'environnement venaient à
acquérir la valeur de jus cogens91(*).
En plus des mécanismes de prévention, d'autres
moyens tendent de plus en plus à reléver l'état initial de
l'environnement en cas de pollution permettant ainsi de retrouver sa meilleure
santé.
* 88Projet
Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arre^t, C.I.J. Recueil 1997, p. 7 ;
J.Sohnle, RGDIP 1998, p.85.
* 89Sandrine Maljean Dubois,
AFDI. 1997, p.286.
* 90 La conception hongroise
se basait sur l'article 62 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités que pour abandonner le projet et selon lequel un changement de
circonstances (notamment l'état de nécessité
écologique) sur le plan politique et économique pouvait
entraîner la fin d'un traité.
* 91 Il s'agit d'une norme
impérative du droit international général, reconnue par la
communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à
laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être
modifiée que par une nouvelle norme du droit international
général ayant le même caractère selon l'article 53
de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969.
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