B- L'approche complémentaire :
l'herméneutique
Le mot « herméneutique » vient du grec «
hermeunèo » c'est-à-dire interpréter. C'est la partie
de la critique consistant à déchiffrer, traduire et à
interpréter les textes. Dans De l'art de philosopher avec
sobriété et précision, ANTOINE GUILLAUME AMO,
philosophe de la côte de l'Or (actuelle Ghana), indiquait en 1738 que
« l'art d'interpréter ou herméneutique est une attitude
de l'intelligence théorique qui, par des règles logiques et des
moyens appropriés mis en oeuvre, dégage le sens d'un texte assez
spécial »48. Pour cet auteur, toutes les choses
sont déterminées selon une intention et une fin. Mais dans la
mesure où celles-ci sont souvent cachées, il incombera alors au
chercheur d'adopter une attitude féconde pour les
révéler.
Dans notre étude, l'approche de l'herméneutique
déployée dans un contexte marqué à la fois par le
rejet des règles électorales et le relâchement du lien
social, permettra de mettre en lumière les fins poursuivies par les
autorités étatiques lorsqu'elles envisagent un « consensus
en droit électoral » : D'un point de vue « spécial
», c'est-à-dire, ce qui se rapporte à un dessein
déterminé, le consensus vise à la fois la
légitimation du droit électoral et la modulation des antagonismes
politiques. D'un point de vue « universel », c'est-à-dire, ce
qui est commun à tous, le consensus en droit électoral vise la
construction de la démocratie. Le philosophe français JEAN PAUL
SARTRE49 n'avait-il donc pas vu juste lorsqu'il affirmait dans son
Etre et néant
48 MENDA (Azombo) et KOSSO (Enobo), Les
philosophes africains par les textes, Editions Fernand Nathan, 1978,
p.14.
49 Cité par MBALLA OWONA (Robert), Les
délais de distance en contentieux administratif camerounais ,
Mémoire de DEA, Droit Public Interne, Université de Douala,
2003-2004, p.
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Le consensus en droit électoral camerounais
que les choses sont conçues et destinées
à une fin précise avant d'être matérialisées.
En tout cas, il faut reconnaitre que l'herméneutique nous a permis de
nous rendre compte avec FREEMAN que « le droit n'est pas un ensemble
normatif de règles simplement imposé à la
société, mais une part intégrale de cette
société, qui plonge des racines profondes dans les habitudes
sociales et économiques et les attitudes de ses membres passés et
présent »50. Celui-ci autrement « se
conforme probablement de manière large et générale aux
schèmes de comportements qui sont largement approuvés, ou du
moins acceptés, dans cette société
»51.
Partant de ces considérations, nous avons
effectué des enquêtes empiriques sur les contours du consensus
avec pour instrument de collecte d'informations « l'observation
documentaire » constituée de l'analyse des ouvrages, des textes en
vigueur, de la production doctrinale et des rapports relatifs aux pratiques
électorales. Leur regroupement a donc soutenu la réalisation de
cette étude. Loin de nous de dire que cela s'est fait sans
difficulté. Il en est ainsi parce que « la notion de consensus
est assez difficile à saisir par les instruments d'analyse les plus
raffinés de la science juridique et politique, c'est qu'elle se situe
à un niveau supérieur ou inférieur, comme on voudra,
à celui de l'organisation constitutionnelle et de la vie politique
»52. En tout état de cause, « selon que le
consensus est un bien dont une société est consciente de jouir,
un idéal dont elle rêve ou un équilibre instable qu'elle
cherche à atteindre ou à conserver, il prend la forme d'un
principe permanent d'organisation sociale, d'une expression culturelle de
l'imaginaire collectif ou d'une limite de tolérance des tensions
sociales »53. Si l'on admet aujourd'hui que le consensus
politique autour des règles électorales est nécessaire
pour une société comme la nôtre, cette idée
novatrice n'aura véritablement revêtu de signification juridique
qu'au prix d'une combinaison de dynamiques dont les incidences ont
été certaines. Notre étude a donc pour ambition de montrer
que si, le consensus a fait l'objet d'une construction juridique certaine
(Partie I), sa mise en oeuvre reste toutefois incertaine au regard des
méthodes usitées (Partie II).
50 FREEMAN, 2001, cité par Baudouin DUPRET,
op.cit., p.7.
51 Ibidem.
52 RIGAUD (Jacques), op.cit., p.10.
53 Ibid.
Le consensus en droit électoral camerounais
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PREMIÈRE PARTIE :
LA CONSTRUCTION CERTAINE DU CONSENSUS EN DROIT
ÉLECTORAL
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Le consensus en droit électoral camerounais
L'observation des dynamiques électorales sur le jeune
continent montre que l'Afrique noire francophone particulièrement est en
pleine ébullition. En effet la question du consensus politique autour
des règles du jeu électoral n'a cessé d'alimenter le
débat politique tant sur la scène nationale qu'internationale.
Elle est devenue aujourd'hui une préoccupation majeure pour les
États enclins de construction démocratique. À la
lumière de ces dynamiques, le constat qui se dégage après
tant d'années d'efforts du moins depuis la réactivation du
processus démocratique en 1990, est que la proclamation normative du
consensus est le résultat d'une lente et ingénieuse
évolution juridique qui remonte bien au-delà de 1990. Par
construction, il faut entendre au sens du Dictionnaire Larousse l'« action
de construire, de disposer les parties d'une bâtisse ». En rapport
avec notre étude, la construction du consensus est relative à la
manière dont l'État a, à travers l'agencement des textes
et d'autres mouvements juridiques, procédé à
l'édification du consensus dans la matière électorale.
Perçu comme un réengagement de la
société démocratique, la construction juridique du
consensus dans le domaine des élections peut être assimilée
à « une volonté de retour au constitutionnalisme
définissant et encadrant les nouvelles règles du jeu politique
» 54 . Son investissement en droit électoral s'est donc
progressivement affirmé (chapitre1) pour finalement s'imposer dans le
système de régulation des élections (chapitre2).
54 ETEKOU (Bédi Yves Stanislas),
L'alternance démocratique dans les Etats d'Afrique francophone,
Thèse, Paris-Est/Cocody-Abidjan, 18 décembre 2013, p.8.
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Le consensus en droit électoral camerounais
CHAPITRE 1 :
L'AFFIRMATION PROGRESSIVE DU CONSENSUS DANS LE CADRE
LÉGAL DES ÉLECTIONS
Le consensus en droit électoral camerounais
La doctrine a presque toujours observée une attention
particulière sur le déroulement des opérations
électorales, en isolant très souvent la question de
l'adhésion des règles du jeu. Très peu de recherches y
sont d'ailleurs consacrées. Ce parent pauvre de la littérature
doctrinale se trouve encore plus dépouillé lorsque les textes
cadres tel la CADEG55 qui, en consacrant les principes de ce qu'elle
appelle élection démocratique56, n'a
réservée qu'une infime place à celui devant régir
l'établissement des règles électorales à savoir le
consensus.
Or nul ne doute que pour qu'une élection se
déroule dans un climat apaisé avec toutes les qualités
démocratiques qu'on a pu dégager, il est nécessaire que
les acteurs politiques s'accordent au minimum sur les règles du jeu.
Dans la mesure où il n'est plus une surprise pour personne de savoir
qu'à ce jour, les crises électorales enregistrées sur le
continent africain ont pour l'essentiel une origine bien plus profonde que la
simple contestation des résultats, il devient dès lors
impératif de se pencher sur la question du consensus qui de toute
évidence a su s'imposer sur le terrain de la politique
électorale. Et pour preuve, l'analyse de l'émergence du consensus
en droit électoral camerounais montre bien que l'idée même
de consensus, intimement liée aux « luttes souterraines » qui
ont émaillées le processus électoral camerounais, est le
fruit d'une construction juridique dont les dynamiques tant bien internes
(Section 2) qu'externes (Section1) ont été
déterminantes.
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55 CHARTE AFRICAINE DE LA DEMOCRATIE, DES ELECTIONS ET
DE LA GOUVERNANCE.
56 Le chapitre VII de la C.A.D.E.G relatif à
l'élection démocratique dispose en son article 17 que «
les Etats parties réaffirment leur engagement à tenir
régulièrement des élections transparentes, libres et
justes conformément à la Déclaration de l'Union sur les
principes régissant les élections démocratiques en Afrique
».
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