B- Le recours aux arrangements politiques
Peut-on encore envisager une « stabilité
électorale » en Afrique noire indépendamment des accords
politiques?350
Cette interrogation qui à première vue
paraît surprenante (en raison des solutions
347 SADRY (Benoit), Thèse, op. cit., p.329.
348 SADRY (Benoit), Thèse, op. cit., p.331.
349 SADRY Benoit prévient en effet que « le
mécanisme des études d'impact législatif est d'un
fonctionnement difficile et peu satisfaisant », tel que cela se
dégage du Rapport Mandelkern dressé en 2002.
350 SEVERINE (Bellina), IVAN (Crouzel), DOMINIQUE (Darbon),
SALVATORE (Pappalardo), CELINE (Thiriot), Election et risques
d'instabilité en Afrique : Quel appui pour les processus
électoraux légitimes ?, mai 2014, p.26.
Le consensus en droit électoral camerounais
juridictionnelles existantes) n'est pas pour autant
dénuée d'intérêt. En effet, même si ALINE AKA
LARMARCHE note une certaine évolution positive du contrôle
électoral351, il reste que la pratique contentieuse dans sa
tendance générale livre le récit d'une régression
qu'on ne saurait ignorer. Pour s'en convaincre, il suffit de se
référer à l'exemple ivoirien. Sur ce cas, le juge
électoral, proclamant les résultats de l'élection
présidentielle de 2000 déclarait à l'issue du débat
contentieux qu'« aucune réclamation concernant la
régularité du scrutin ou de son dépouillement n'a
été présentée à la Chambre constitutionnelle
dans les délais requis ; par ailleurs, que l'examen des documents
électoraux ne révèle aucune irrégularité de
nature à entacher la sincérité du scrutin ».
Cette conclusion hasardeuse du juge électoral ivoirien, est-elle, selon
le Doyen MELEDJE, l'élément déclencheur de près de
10 ans de crise politique meublée par des coups d'États à
répétition et confirmée plu tard par une rébellion
armée352. Plus récemment, le traitement de la
contestation des résultats de l'élection présidentielle au
Gabon en 2016 par le juge constitutionnel n'a pas suffi à calmer les
ardeurs du « camp PING », celui-ci ne reconnaissant pas toujours la
victoire d'ALI BONGO.
Ces quelques cas d'école qui démontrent
l'insuffisance des solutions proposées par la loi ne devraient-ils pas
justifier le recours aux arrangements politiques 353 . Bien entendu
il est incontestable que le règlement des différends
électoraux tout comme la conduite des élections sont
déterminés par des règles constitutionnelles qui
définissent les paramètres de la concurrence
politique354, mais « les expériences récentes
relatives aux conflits politiques et à la violence électorale
sont le témoignage de l'existence de questions non résolues dans
les arrangements constitutionnels »355. Le cas camerounais
est certes moins virulent, mais n'est pas à l'abri d'une implosion
sociale. Afin d'assurer la conformité des règles du jeu
politiques à l'idéal démocratique, il est
nécessaire de faire appel quelques fois aux manoeuvres politiques, mieux
adaptées à la circonstance pour atténuer les
ambiguïtés imposées par la procédure en vigueur.
351 ALINE (Aka Lamarche), op.cit., pp.141-143.
352 MELEDJE (Djedjro Francisco), « Le contentieux
électoral en Afrique », op.cit., p.140.
353 D'après le Professeur ATANGANA AMOUGOU, les accords
politiques peuvent être entendus comme « des conventions conclues
entre des protagonistes d'une crise interne dans le but de la résorber.
Leur élaboration, poursuit-il, résulte généralement
d'un différend entre le pouvoir et l'opposition qui ne trouvent pas de
solution, générant un conflit interne propice à un blocage
institutionnel ». Cité par PATERNE (Mambo), « Les rapport
entre la constitution et les accords politiques dans les Etats africains (...)
», op.cit., p.924.
354 RAPPORT DU GROUPE DES SAGES DE L'UA, op.cit., p.20.
355 RAPPORT DU GROUPE DES SAGES DE L'UA, op.cit., p.20.
Le consensus en droit électoral camerounais
Dans tous les cas, le processus électoral au Cameroun est
fortement présidentialisé.
Cette présidentialisation du processus électoral
est l'aboutissement d'un mécanisme législatif dominé par
une majorité parlementaire et présidentielle qui entend bien
assurer son hégémonie au dépend d'une classe qui aurait,
selon la formule du député socialiste français
ANDRÉ LALGNEL356, le malheur d'avoir juridiquement tort parce
qu'étant politiquement minoritaire. Par la suite, il en résulte
un désaccord entre les acteurs relativement au contenu des règles
de la compétition politique, lequel donne lieu très souvent aux
affrontements. Il importe alors par le biais des arrangements politiques, de
construire un cadre juridique consensuel pour garantir la
sérénité de l'élection.
À ce jour, la plus part des observateurs sont unanimes
à l'idée que face à instabilité des
sociétés africaines, il faut opposer une négociation
politique inclusive. L'avantage des accords politiques lorsqu'ils sont bien
négociés est qu'ils remodèlent « le contrat social
» tout en dégageant un corpus normatif consensuel à
incidence électorale. Cette redéfinition consensuelle des
modalités d'accession aux postes électifs induite par les
arrangements politiques permettent ainsi d'assoir une base juridique
fidèle à l'esprit démocratique. Mais pour mieux comprendre
la portée des accords politiques dans les sociétés
démocratiques enquête de stabilité, il est
nécessaire de garder en esprit le contexte dans lequel ils
émergent. En ce sens, le Professeur ATANGANA AMOUGOU 357
enseigne que les arrangements politiques ne peuvent objectivement être
compris que dans un contexte marqué par une instabilité
politique. Dans ce sillage, l'Afrique subsaharienne engluée dans les
crises électorales à répétition, connait une «
prolifération des compromis politiques qui, aux yeux du Professeur
PATERNE MAMBO, révèle, l'insuffisance des solutions
constitutionnelles proposées pour les résoudre
»358. C'est donc dire qu'à la base des
résolutions des situations conflictuelles se trouvent presque toujours
des accords politiques359.
En considérant alors une Afrique marquée par des
désaccords constants entre les
356 Cité par ATANGANA (Etienne Joël Louis),
Thèse, op.cit., p.200.
357 Cité par PATERNE (Mambo), op.cit., p.924.
358 PATERNE (Mambo), op.cit., p.929.
359 Pour citer quelques cas, on note les accords de
Linas-Marcoussis de 2003 qui devaient mettre fin à la crise ivoirienne,
les accords d'Arusha de 2000 pour la paix et la réconciliation au
Burundi, les résolutions prises par la Conférence
épiscopale pour régler le problème de la succession en RDC
(2016).
Le consensus en droit électoral camerounais
gouvernants et l'opposition 360 , le Professeur
PATERNE MAMBO propose de revisiter la thématique sur les relations entre
droit et politique et précisément sur la normativité
juridique pénétrée ou rattrapée par la
réalité factuelle et politique361. La dialectique
ainsi posée ouvre-t-elle des perspectives pour une reconfiguration
politique de la société en marge des règles
constitutionnelles. Précisément à ce sujet, l'ignorance
par ces accords des dispositions constitutionnelles existantes ont fait
naître des inquiétudes au sein de la doctrine constitutionnaliste,
en ce qu'ils favoriseraient « la déstabilisation de l'ordre
constitutionnel »362. Que ces inquiétudes soient
fondées ou non, il n'est pas question pour nous de traiter la question
du « déclassement » supposé de la normativité
constitutionnelle induit par les arrangements politiques, encore moins sur leur
valeur juridique363. Le cadre restreint de notre sujet ne permettant
pas une telle extension. Qu'à cela ne tienne, nous nous limiterons
à présenter « les vertus » de tels accords pour le
droit constitutionnel et particulièrement le droit électoral.
Sur ce dernier point, les arrangements politiques auxquels les
acteurs ont souvent recours comportent un contenu juridique destiné
à pallier les insuffisances et les lacunes de la
constitution364. Il y a donc une cohabitation évidente, mais
pacifique entre « les conventions politiques » et « les
règles constitutionnelles ». Les premières qui
s'évertuent de réorganiser le champ normatif des élections
en élargissant le plateau des présidentiables seront
réitérées plu tard par les règles
constitutionnelles. Tels fut par exemple le cas des accords de LINAS-MARCOUSSIS
qui avaient posés de nouvelles conditions d'éligibilité
à la présidence de la République en Côte d'Ivoire,
en permettant au candidat ALASSANE OUATTARA de se présenter à
l'élection présidentielle. Il en fut de même pour les
accords d'ARUSHA qui, en préparant un nouveau cadre juridique pour les
élections, ont imposés au passage de nouvelles institutions dans
la République burundaise.
En dépit d'un « déclassement »
insoupçonné de la constitution, les rapports entre les
arrangements politiques et le droit constitutionnel ne doivent plus seulement
être perçu dans leur
360 PATERNE (Mambo), op.cit., p.921.
361 PATERNE (Mambo), op.cit., pp.923-924.
362 PATERNE (Mambo), op.cit., p.934.
363 Voir Pierre Avril, Les conventions de la constitution,
Revue française de droit constitutionnel, 1993. Dominique Rousseau,
Question de constitution, dans Jean-Claude Colliard et Yves Jegouzo, dir, Le
Nouveau constitutionnalisme : Mélange en l'honneur de Gérard
Conac, Paris, Economica, 2001. Et Adama Kpodar, « Politique et ordre
juridique : les problèmes constitutionnels posés par l'accord de
Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », Revue de la recherche juridique,
2005.
364 PATERNE (Mambo), op.cit., p.921.
Le consensus en droit électoral camerounais
dimension conflictuelle, car, comme PATERNE MAMBO en conclut
si bien, ils débouchent inéluctablement sur un enrichissement du
texte constitutionnel torpillé jusqu'ici par des vices
certains365. La finalité de ce périple politique se
justifie par le souci de restaurer les valeurs hautement sacrées de la
société démocratique en restituant à la
constitution son autorité366. Cet enrichissement du texte
constitutionnel aussi bien que la restauration de son autorité a
d'ailleurs été reconfirmé par la Cour constitutionnelle
burundaise le 5 Mai 2015 à l'occasion de la contestation de la
candidature du Président sortant PIERRE NKURUNZIZA. La Cour a
affirmé en substance d'une part que : « Attendu que les accords
d'Arusha sans être supra constitutionnelle en constituent tout de
même le socle surtout dans sa partie relative aux principes
constitutionnels ; que celui qui violerait les grands principes
constitutionnels de ce dernier ne pourrait prétendre respecter la
constitution », et d'autre part que : « Attendu que, bien que
comme dit si haut les accords d'Arusha soient le socle de la constitution dans
un régime républicain, la gouvernance institutionnelle repose
toujours sur la constitution »367.
97
365 PATERNE (Mambo), op.cit., p.944.
366 PATERNE (Mambo), op.cit., p.942.
367 ONDOUA (Alain), Cours de Droit constitutionnel approfondi,
op.cit.
Le consensus en droit électoral camerounais
CONCLUSION CHAPITRE 2
Il a été question dans ce chapitre d'analyser
l'incertitude sur la continuité du consensus.
Loin d'être exhaustive, cette réflexion de base a
permis de mettre en exergue la traduction lacunaire du consensus dans le droit
électoral existant. Cette situation a motivé l'exploration
d'autres pistes afin de garantir le consensus dans le système de
production du droit électoral. Delà, les pistes de
réflexion empruntées ont débouchées d'une part, sur
la réaffirmation du rôle du citoyen et des partis politiques dans
le jeu institutionnel de l'État, et d'autre part, sur la greffe des
arrangements politiques dans le système de production des lois
électorales, gage de l'émergence d'une nouvelle forme de
gouvernance électorale.
Nous ne saurons toutefois terminer nos propos sans
réitérer les recommandations du Groupe de Sages de l'UA faites
aux États membres. En ce sens, « l'Afrique doit, souligne-t-il,
faire des efforts concertés pour évoluer, de façon
progressive et créative, vers des systèmes électoraux qui
élargissent la représentation, reconnaissent la diversité
et respectent le principe d'égalité et la règle de la
majorité, tout en protégeant les minorités
»368.
98
368 RAPPORT DU GROUPE DES SAGES DE L'UA, op.cit., p.20.
99
Le consensus en droit électoral camerounais
|