PARAGRAPHE 1: LE RÉAMÉNAGEMENT DE LA
PARTICIPATION POLITIQUE
Comme nous l'avons déjà déterminé,
la participation politique réfère à un « ensemble
distinct et homogène des activités par lesquelles les membres
d'une communauté politique entre en contact avec le pouvoir ». Elle
concourt ainsi à la légitimation et la pérennisation du
pouvoir politique. Dans la perspective d'amélioration de l'environnement
électoral et notamment du système de production de la loi
électorale, la tâche consistera en la reconsidération par
les pouvoirs publics de la fonction citoyenne dans l'ingénierie
normative des élections (B), chose qui ne devrait pas
particulièrement rencontrer des résistances310. Cela
doit se faire naturellement non sans avoir réaffirmé au niveau
constitutionnel le statut des partis politiques, acteurs incontournables dans
les interactions entre gouvernants et gouvernés311(A).
A- La revalorisation constitutionnelle de l'opposition
Selon BÉLIGH NABLI, l'opposition est une notion
clé de la vie politique ayant vocation à exercer un
contrepouvoir, c'est-à-dire à contrôler la majorité
au pouvoir, à lui apporter la contradiction et à proposer des
solutions politiques alternatives312. C'est probablement dans cette
lancée que les États membres de l'Union Africaine ont entendu
prendre des engagements forts dans le sens de la promotion de la gouvernance
politique pour assurer le renforcement des capacités de
l'opposition313. Mais comme le souligne toutefois PARFAIT OUMBA,
« tout dépend de l'étendue et de la nature du
renforcement des capacités qui sera accordée aux partis
politiques314. D'ailleurs pour le Professeur LUC SINDJOUN,
« (...) on ne peut pas comprendre l'opposition indépendamment
des partis politiques qui agissent et parlent en son nom et dont les
310 Pour le Professeur MBALLA OWONA (Robert), « (...)
la démocratie est indissociable de la participation du peuple.
», « Réflexions sur la dérive d'un sacro-saint
principe(...) », op.cit., p.101.
311 Selon le Professeur AUGUSTE NGUELIEUTOU, le champ
politique est le lieu où se déroulent les interactions entre
l'Etat et les gouvernés, et au sein duquel les partis politiques
assurent une médiation dans les transactions politiques. Cours de
sociologie politique, op.cit.
312 NABLI (Beligh), « L'opposition parlementaire (...)
», op.cit., p.128.
313 OUMBA (Parfait), « Promouvoir une culture de la
gouvernance en Afrique », HAL, 22 mai 2016, p.4.
314 Ibidem. Lire pour approfondir OLINGA (Alain Didier),
« Un parti d'opposition est-il banal ? Le régime juridique des
partis des politiques », In LUC SINDJOUN, (dir.), Comment peut-on
être opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et politique
autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004.
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Le consensus en droit électoral camerounais
pratiques font de l'opposition une réalité
concrète »315. C'est donc dire en
conséquence que la revalorisation de l'opposition 316 est
consécutive de la revalorisation du statut des partis
politiques317 dans leur ensemble.
Mais pourquoi parler d'une revalorisation constitutionnelle de
l'opposition? Avant d'apporter quelques éléments de
réponse, il serait intéressant de rappeler que nous n'avons pas
pour ambition dans nos propos de revenir sur la littérature
constitutionnelle produite sur et autour de la notion d' « opposition
»318. A contrario, nous entendons formuler un plaidoyer
à l'endroit des plumes averties de la doctrine pour que soit
portée au plus haut cette question qui est des plus cruciales. Il est en
effet incontestable que ces « clubs de réflexion » ont fait
progresser la pensée et la morale319. Car même si les
idées qui s'y débattent sont souvent taxées d'utopiques,
elles finissent toujours par trouver le chemin de leur réalisation, de
leur application tout en constituant des garde-fous pour une
société en décomposition320. Malgré
cela, un regard rétrospectif montre
315 SINDJOUN (Luc), Ce que s'opposer veut dire :
L'économie des échanges politiques, In LUC SINDJOUN, (dir.),
Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et
politique autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004, p.9.
316 Il existe dans la littérature constitutionnelle un
nombre considérable de définition au sujet de l'opposition. Au
terme de la Conférence européenne des Présidents de
Parlements tenu du 11 au 12 septembre 2014, il s'est accordé que
l'opposition désigne « l'ensemble des partis politiques ou des
mouvements qui n'appartiennent pas à la majorité parlementaire ou
à la coalition au pouvoir, qui expriment leurs divergences et leurs
points de vue critiques par rapport à l'action du gouvernement, et sont
en compétition pour l'accession légale au pouvoir et son exercice
pacifique ». Pour EL HADJI OMAR DIOP, l'opposition
réfère à « tous les groupes ayant un but plus ou
moins politique et qui dans le cadre juridique existant professent des vues
différentes de celles du gouvernement en place et donne une expression
concrète à ces idées dans l'intention le plus souvent de
conquérir le pouvoir », Cité par KAMO TIEKWE IDRYS
SOREL, La navette parlementaire au Cameroun, Mémoire Master II
Recherche de Droit Public, Univ. De Douala, 2013-2014, p.89.
317 ISSAKA SOUARE, face à la pluralité des sens
réservés à la notion de « parti politique », met
en évidence l'analyse d'OFFERLÉ (1987) selon laquelle il n'existe
que des usages politiques et sociaux très divers qu'on applique à
des groupes considérés comme partis politiques. Aussi retient-il
à la suite de la doctrine, la conception dite « restrictive »
formulée par LA PALOMBARA et WIENER d'après laquelle, le parti
politique est une « organisation durable (dont l'espérance de vie
politique est supérieure à celle de ses dirigeants) ; bien
établie aux niveaux local et national du pays dans lequel elle se trouve
; avec une volonté de ses dirigeants de prendre et d'exercer le pouvoir,
seuls ou avec d'autres partis ; et qui a, enfin, le souci de rechercher un
soutien populaire à travers les élections ou toute autre
manière ». D'une part. D'autre part, celle dite « extensive
» offerte par MAX WEBER selon laquelle, les partis politiques sont «
des associations reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but
de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d'un groupement et à
leurs militants actifs des chances-idéales ou matérielles- de
poursuivre des buts et objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de
réaliser les deux ensemble ». ISSAKA SOUARE, Thèse, op.cit.,
pp.60-61.
318 Sur cette question lire SINDJOUN (Luc), en intelligence
avec OLINGA (Alain Didier) et DONFACK SONKENG (LEOPOLD), Comment peut-on
être opposant au Cameroun ? In LUC SINDJOUN, (dir.), Comment peut-on
être opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et politique
autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004. Consulter aussi les Conclusions de la
Conférence européenne des Présidents de Parlements,
Majorité et opposition-trouver un équilibre en
démocratie, OSLO, Norvège, 11 au 12 septembre 2014.
319 MIGNARD (Patrick), L'illusion démocratique
(..), op.cit., p.25.
320 MIGNARD (Patrick), L'illusion démocratique
(..), op.cit., p.25.
Le consensus en droit électoral camerounais
bien que l'« opposant » au Cameroun a fait
très tôt l'objet de stigmatisation 321 . Rendu
responsable de « la fragilisation du tissu national » par l'ancien
régime, il sera purement et simplement proscrit de parole par
l'ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962322. Bien entendu ce
musellement légal n'est plus d'actualité, du moins de
façon aussi visible. Il sera toutefois important de noter que, dans
l'esprit de la plupart des camerounais, il s'est comme formé
inconsciemment l'idée qu'un opposant représente davantage un
ennemi de la République qu'une force politique à part
entière. Et les partis aux pouvoirs conscients de cette lecture
erronée et à la limite rétrograde, profite de l'occasion
pour assoir en toute quiétude une dictature dissimulée dans un
« gant de velours ».
Malgré les tentatives inavouées de
banalisation323, l'institutionnalisation de
l'opposition324 devra-t-elle permettre de changer les perceptions
que peuvent avoir les citoyens à son égard. Dans un espace
politique africain encore fermé, les pouvoirs publics se doivent de
ménager un terrain propice à l'opposition, afin que ses actions
puissent converger d'une manière efficiente et efficace à la
construction du modèle démocratique souhaité. Il sera donc
nécessaire de soutenir l'opposition dans son rôle de contrepoids
à la majorité gouvernante 325 en l'octroyant
régulièrement des moyens pour mener à bien ses
missions326. Aussi, s'accorderons-nous avec PARFAIT OUMBA qui
préconise que soit prise en compte les problèmes des partis
minoritaires au Parlement dans la composition des groupes parlementaires
327. In fine, pour donner la possibilité aux partis de
l'opposition de s'affirmer comme véritables alternatives, en plus
d'un
321 SINDJOUN (Luc), «L'opposition au Cameroun, un
nouveau jeu politique parlementaire », op.cit., p.1.
322 Cette ordonnance avait pour cible principale l'opposition
et tendait à la répression des actes de subversion. Au sens des
article 1 et 2, était compris comme acte subversif, le fait «
par quelque moyen que ce soit d'inciter à résister à
l'application des lois, des décrets, des règlements ou ordres de
l'autorité publique... de porter atteinte au respect dû aux
autorités publiques ou d'inciter à la haine contre le
gouvernement de la République (...) », SINDJOUN (Luc),
L'opposition au Cameroun, un nouveau jeu politique parlementaire, op.cit.,
p.2.
323 Lire OLINGA (Alain Didier), « Un parti de
l'opposition est-il banal ? (...) », op.cit., pp.102-166.
324 Thèse analysée par LEOPOLD (Donfack
Sonkeng), L'institutionnalisation de l'opposition : Une
réalité objective en quête de consistance, In LUC
SINDJOUN, (dir.), Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Politique
parlementaire et politique autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004, pp.44-101.
325 Dans une réflexion sur l'opposition parlementaire,
PIERRE PACTET et FERDINAND MELIN-SOUCRAMANIEN ont établi que dans sa
diversité, les oppositions (parlementaire, extraparlementaire ou
présidentielle) sont autant de « centre organisés de
décisions, de contrôle, d'intérêts ou d'influence
qui, par leur seule existence ou par action, quel que soit l'objectif
poursuivi, ont pour effet de limiter la puissance de l'appareil dirigeante de
l'Etat » : Cité par NABLI (Beligh), L'opposition parlementaire
: un contre- pouvoir politique saisi par le droit, Pouvoirs, n°133,
2010, pp.127-128.
326 OUMBA (Parfait), Promouvoir une culture de la gouvernance
en Afrique, HAL, 22 mai 2016, p.4.
327 OUMBA (Parfait), Promouvoir une culture de la gouvernance
en Afrique, HAL, 22 mai 2016, p.3.
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Le consensus en droit électoral camerounais
assainissement du « cadre institutionnel de la
compétition politique »328, il sera aussi indiqué
de réajuster le cadre politique de la compétition
électorale329.
Cette réévaluation est d'autant
nécessaire pour le bon fonctionnement des jeunes démocraties
africaines. Aussi devra-t-on à l'actif des réformes attendues,
reconsidérer la fonction citoyenne dans les processus
décisionnels.
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