B- Une fonction contentieuse circonscrite
La justice électorale au Cameroun se présente
suivant une architecture bien ficelée au sommet de laquelle figure le
juge constitutionnel, aidé dans biens de matières par le juge
administratif et le juge pénal. Si l'on se féliciter à
l'idée de l'avènement de la justice électorale au
Cameroun, nous ne saurons cacher notre inquiétude sur les moyens dont
disposent les juges face à la résurgence de l'autoritarisme
normatif.
A priori, on pourrait croire que le juge constitutionnel, juge
de la constitutionnalité des lois et accessoirement juge principiel des
élections, dispose de tous les moyens nécessaires pour
protéger les valeurs proclamées au niveau constitutionnel. Pour
rappel, la justice constitutionnelle et la contestation juridictionnelle des
aspects liés à la gestion des processus électoraux sont
comme l'indique le Professeur ALAIN DIDIER OLINGA297, des
problématiques intimement liées. De la sorte, le travail du juge
constitutionnel semble donc aller bien au-delà des aspects
électoraux pour embrasser des domaines considérables, telle la
protection des institutions et des valeurs promues par la constitution. Cette
extension trouve-t-elle grâce aux yeux du Professeur ALAIN DIDIER OLINGA
pour qui, « le jeune juge constitutionnel africain est invité
à accompagner la balbutiante démocratie électorale
africaine, dans un contexte ou l'héritage du parti unique est encore
fortement prégnant, et ou la culture démocratique des
institutions (y compris du juge) est elle-même à bâtir
»298.
296 OLINGA (Alain Didier), « Justice constitutionnelle
et contentieux électoral », op.cit., p.3.
297 OLINGA (Alain Didier), « Justice constitutionnelle
et contentieux électoral », op.cit., p.2.
298 OLINGA (Alain Didier), « Justice constitutionnelle
et contentieux électoral (...) », op.cit., p.2.
Le consensus en droit électoral camerounais
Derrière cette apparente importance donnée
à la fonction juridictionnelle se cache un paradoxe assourdissant. En
théorie, on sait que le droit électoral est produit sur la base
des règles définies au niveau constitutionnel, depuis l'exigence
du respect des valeurs contenues dans le préambule jusqu'à la
procédure conduisant à son élaboration. Or le
préambule de la constitution contient des valeurs à incidence
électorale et au rang desquelles figure le consensus. À ce stade,
toute l'attention sera désormais focalisée sur la capacité
du juge constitutionnel à garantir le respect de cette valeur. Ceci est
d'autant plus vrai lorsqu'on sait que les mécanismes législatifs
actuels ne permettent pas de réaliser en toute
sérénité l'idée de consensus, vue la règle
majoritaire qui sanctionne in fine l'adoption des lois. On se pose alors en
toute légitimité la question de savoir, que peut le juge pour
pallier ce handicap procédural afin de restaurer un processus
véritablement consensuel ? Au surplus, un candidat ou un parti politique
est-il fondé à saisir le juge constitutionnel pour défaut
de consensus dans les règles du jeu politique, ou pour
inconstitutionnalité ? Ces interrogations ont la particularité de
nous plonger au coeur des incohérences et des paradoxes dont parlait le
Professeur ATANGANA AMOUGOU. Dans cette mesure, elles nous amènent
à constater que le juge constitutionnel est autant un spectateur que les
autres juges face à une législation produite au mépris des
valeurs constitutionnelles qu'il est censé protéger, et dont la
majorité aurait marqué son accord en totale indifférence
vis-à-vis de la minorité.
Il faut noter en passant l'irrecevabilité des demandes
pour défaut de consensus dans les règles (en considération
des matières inscrites à l'ordre des débats
contentieux)299 et pour inconstitutionnalité (en raison du
défaut de qualité de la personne du candidat, et/ou du parti
politique)300. Dans ce contexte, comment comprendre qu'un candidat
ou un parti politique soit fondé à saisir le juge constitutionnel
agissant, certes en qualité de juge électoral (notamment juge des
élections présidentielle et législative), et que ceux-ci
soient inapte à saisir le même juge pour
inconstitutionnalité ? Comment comprendre que le juge constitutionnel
chargé de veiller au respect de la constitution soit non seulement
exclut du processus législatif, mais aussi dépourvu
299 En effet, l'objet du contentieux électoral est
circonscrit aux éléments relatifs au rejet, acceptation ou
publication d'une candidature ou d'une liste de candidats ; la couleur, single
ou symbole adopté par le candidat ou parti ; l'annulation totale ou
partielle des opérations électorales. Lecture du Professeur
OLINGA (Alain Didier), « Justice constitutionnelle et contentieux
électoral (...) », op.cit., p.6.
300 Au sens de l'article 47 (2) de la loi constitutionnelle de
1996, « le Conseil Constitutionnel est saisi par le Président de la
République, le président de l'Assemblée Nationale, le
président du Sénat, un tiers des députés ou un
tiers des sénateurs.
Le consensus en droit électoral camerounais
d'un droit d'auto saisine ? Le Virgile de la constitution au
Cameroun serait-il alors comparable à cette flamme qui ne brûle
pas, ou bien à un simple décor institutionnel ? Réduit
à des tâches juridictionnelles classiques, l'apport du juge dans
la protection des valeurs proclamées par la constitution au Cameroun se
trouve en bien d'hypothèse voué à une insignifiance
certaine. Ce paradoxe persistant dans le constitutionnalisme camerounais
mérite que la fonction juridictionnelle soit revue dans son ensemble,
car comme le Professeur ATANGANA AMOUGOU le précise
opportunément, « les mouvements démocratiques n'auraient
aucune force si les risques d'instrumentalisation des constitutions demeuraient
réels »301.
(...) »304.
D'autres États ont par contre su construire une justice
constitutionnelle à la hauteur des enjeux démocratiques. À
l'instar du Bénin, aux termes de l'article 117 de la constitution, la
Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité
des lois organiques et des lois en général avant leur
promulgation302. En outre, le Professeur HOLO souligne dans
l'analyse de l'Émergence de la justice constitutionnelle
à partir du cas du Bénin que la jurisprudence de la Cour
Constitutionnelle « révèle aussi des situations
d'arbitrage, (...) entre la majorité et la minorité
parlementaires. Ainsi, saisie par la minorité parlementaire,
poursuit-il, qui conteste la répartition des personnalités
appelées à siéger à la CENA, répartition
imposée par la majorité parlementaire, la Cour, dans sa
décision DCC 00-078 du 07 décembre 2000, donne raison à la
minorité en jugeant qu'il faut tenir compte de la configuration
politique pour assurer la répartition de toutes les forces politiques
représentées à l'Assemblées Nationale (...)
»303. Elle a aussi eu l'occasion de se prononcer
l'année suivante sur requête de la minorité parlementaire,
en estimant que « la composition de la CENA, telle que
décidée par l'Assemblée Nationale conduit à une
confiscation de cette institution par certains groupes parlementaires en
violation de la règles d'égalité édictée
à l'article 26 de la constitution
C'est donc dire en conclusion que le juge constitutionnel
béninois contrairement à son homologue camerounais, en plus
d'avoir un rôle actif dans le processus législatif, dispose des
pouvoirs lui permettant d'élargir ses compétences pour
réaliser l'idéal démocratique. Le
85
Les présidents des exécutifs régionaux
peuvent saisir le Conseil constitutionnel lorsque les intérêts de
leur région sont en cause ».
301 ATAGANA AMOUGOU (Jean-Louis), op.cit., p.3.
302 Analysé par HOLO (Théodore), «
Emergence de la justice constitutionnelle », Le Seuil, Pouvoirs,
n°129, 2009/2, p.105.
303 HOLO (Théodore), op. cit., pp.105-106.
304 HOLO (Théodore), op. cit., p.106.
86
Le consensus en droit électoral camerounais
Cameroun gagnerait à prendre l'exemple béninois, ou
au besoin, à acclimater son système de production du droit
électoral pour une adhésion plus large des acteurs sociaux et
politiques.
SECTION 2: LE NÉCESSAIRE RÉAJUSTEMENT DU
CONSENSUS DANS LA DÉFINITIONS DES RÈGLES
ÉLECTORALES
Dans ses analyses sur les pratiques électorales en
Afrique noire francophone, le Professeur DODZI KOKOROKO revenait sur la
nécessité de revitaliser le champ électoral en
péril. Non pas qu'il faille précise-t-il « refaire ce
monde politique mais d'empêcher qu'il ne se défasse sous les coups
de boutoir de médiocres autorités pouvant tout détruire
(...) »305. De ce fait, les défis nés de la
violence électorale et politique mettent-ils en relief l'importance que
revêt la mise en place d'institutions à même de garantir
l'équilibre entre la compétition et l'ordre, la participation et
la stabilité, la contestation et le consensus306. Les
défis ainsi lancés devraient à long terme parachever
l'effort démocratique engagé depuis 1990. Toutefois compte tenu
des interférences politiques et juridiques qui n'ont cessé porter
de sérieux coup à cette entreprise, il devenait nécessaire
de murir l'idée d'une nouvelle approche politique dans
l'établissement des règles devant régenter à
l'avenir les compétitions électorales. Les autorités
publiques devraient donc, pour préparer les échéances
avenir, développer un sens aigu de la «gouvernance
électorale »307. Le travail consistera à la
longue à polir l'image de la « démocratie fantôme
» dont faisait allusion VAN BOVEN308. En effet, l'auteur
déclarait en substance que « nombre de situations nationales et
de régimes politiques, à travers le monde, ne sont guère
plus que des démocraties fantômes. Dans leurs constitutions et
dans leurs institutions politiques, les accessoires de la démocratie ne
sont qu'une façade. De larges secteurs de la population ne participent
aucunement à la vie politique, et il n'existe à peu près
aucune possibilité de critique ou de dissidence »309.
Ces propos qui coïncident avec le schéma politique actuel des
États d'Afrique noire francophone monopolisé par les « big
man » , justifient la thèse d'une ouverture significative des
sphères de création du
305 DODZI (Kokoroko), op. cit., p.121.
306 RAPPORT DU GROUPE DES SAGES DE L'UA, op.cit., p.17.
307 L'on pourrait entendre par gouvernance électorale
« l'adoption des techniques et d'élaboration des instruments
juridiques pouvant assurer la transparence électorale »,
Elément de définition proposé par SOBZE (Serge), Note sous
jument n°119/CEL du 07 août 2007, KWEMO Pierre c/ Etat du Cameroun
(MINATD), Revue de Droit Administratif, n°2, 1er septembre
2013, p.94.
308 Cité par SOBZE (Serge), Note sous jument
n°119/CEL du 07 août 2007, KWEMO Pierre c/ Etat du Cameroun
(MINATD), Revue de Droit Administratif, n°2, 1er septembre 2013, p.96.
309 Cité par SOBZE (Serge), Note sous jument
n°119/CEL du 07 août 2007, KWEMO Pierre c/ Etat du Cameroun
(MINATD), Revue de Droit Administratif, n°2, 1er septembre 2013, p.96.
87
Le consensus en droit électoral camerounais
droit électoral (Paragraphe 2) pour garantir une
participation politique plus cohérente des acteurs politiques
(Paragraphe 1).
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