CHAPITRE 2:
L'INCERTITUDE SUR LA CONTINUITÉ DU
CONSENSUS
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Le consensus en droit électoral camerounais
La tendance majoritaire de la doctrine constitutionnaliste
semble unanime sur le fait que le droit constitutionnel africain a connu une
nette évolution dès les transitions politiques des années
1990. Ce droit qui est encore à ce jour enquête de fondements
solides connait par conséquent une constante mutation. Cette
dernière qui se réalise à l'aune de l'introduction de
nouvelles valeurs, objective-t-elle d'inscrire les constitutions d'Afrique
noire notamment, au concert des exigences démocratiques définies
à l'international. Le Cameroun mêlé dans ce mouvement
d'ensemble, n'a pas hésité à marquer de son empreinte son
adhésion à la nouvelle conception de la politique
électorale fondée sur la recherche du compromis et du consensus.
Si la ratification de la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance (instrument de référence de
la gouvernance démocratique et des élections en Afrique) par le
Cameroun peut être aperçue comme une volonté de s'arrimer
à cette nouvelle donne, l'intention politique à elle seule ne
suffit pas. Car comme le dit si bien le Professeur ATANGANA AMOUGOU «
le degré d'en racinement de la démocratie est souvent
proportionnel à la volonté des dirigeants et au suivi des
conditionnalités » 286. Et dans le cas qui nous
préoccupe, cette noble intention se heurte à la
réalité du jeu politique des acteurs. Le résultat produit
est que les valeurs proclamées sont laissées à la merci de
mécanismes équivoques, lesquels s'évaluent tant dans
l'application que dans la consolidation.
Ces derniers points qui débouchent sur une incertitude
sur la continuité des valeurs définies au niveau constitutionnel
permettent de mesurer tout le « paradoxe du nouveau constitutionnalisme
africain » dont le Professeur ATANGANA AMOUGOU 287 faisait
état. La réception par les pouvoirs publics camerounais de
l'idée de consensus, entre autres valeurs dans la matière
électorale, montre bien que celle-ci fait l'objet d'une traduction
lacunaire dans le droit rénové (Section1). L'engrenage
institutionnel approximatif qui ne permet pas d'assurer l'atteinte d'un
résultat fiable va-t-il contribuer à amplifier la contestation
d'un droit déjà mal en point. Il importe donc de réajuster
le système de production de la loi électorale (Section 2) afin de
réaliser une entrée véritable au concert de la
démocratie.
286 ATAGANA AMOUGOU (Jean-Louis), « Les révisions
constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme africain »,
p.19.
287 ATAGANA AMOUGOU (Jean-Louis), op.cit., p.3.
Le consensus en droit électoral camerounais
SECTION 1 : LA TRADUCTION LACUNAIRE DU CONSENSUS DANS
LE DROIT RÉNOVÉ
Le renforcement des institutions politiques pour asseoir une
culture, de la démocratie et de la paix288 semble figurer
parmi les grandes oubliées du cortège d'engagements pris par le
Cameroun au niveau régional. Si le consensus est posé aujourd'hui
comme une valeur constitutionnelle s'imposant aux pouvoirs publics, on note une
absence totale de mesures spécifiques permettant de le consolider.
Aussi, l'évaluation des règles électorales telles qu'elles
ressortissent du code électoral d'avril 2012 montre bien que le
consensus fait l'objet d'une réception modérée. C'est en
effet par le traitement variable de cette valeur (Paragraphe 1) qu'il faudrait
comprendre toute la réticence du législateur de 2012. Et face
à cela, l'on note une incapacité réelle du juge à
assurer la pérennité d'une valeur dont l'importance est pourtant
proclamée en régime démocratique (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : LE TRAITEMENT VARIABLE DU CONSENSUS PAR
LE LÉGISLATEUR DE 2012 : LE CAS DES ORGANISMES
ÉLECTORAUX
En vertu de la loi constitutionnelle de 1996, le Parlement
est, comme nous l'avons souligné, le titulaire désigné du
régime des élections. Il faut donc considérer en
conséquence que toutes les lois électorales sont adoptées
par lui. Or on le sait, ces lois qui ont vocation à régir
l'ensemble des situations électorales et référendaires
contiennent, entre autres, des dispositions spécifiques relatives
à la mise en place des organismes électoraux chargés pour
la circonstance. En réaffirmant donc l'organisation et le fonctionnement
d'ELECAM et des Commissions Électorales, le législateur de 2012 a
fait preuve de retenue quant à l'exigence constitutionnelle de
consensus. Dans la législation produite, si on peut observer une
certaine inclusion dans la composition et le processus décisionnel de
ces organismes (A), en revanche, la consécration par le
législateur du monopole présidentiel en matière de
désignation des membres desdits organismes tempère la
velléité déclarée (B).
288 Article 12 (2) de la CADEG.
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Le consensus en droit électoral camerounais
A- L'inclusion dans la composition et le processus
décisionnel des organismes
électoraux
Pour la bonne tenue des élections au Cameroun, le
législateur de 2012 a sollicité l'apport des organismes tels
ELECAM et les commissions électorales. En réaffirmant la
composition et la modalité devant accompagner la prise de
décision par ces organismes, le législateur a-t-il fait preuve
d'une logique inclusive. C'est du moins la lecture que nous pouvons faire
à ce niveau lorsqu'on prend en considération l'effectif revu
à la hausse du Conseil Électoral. Ainsi, depuis la
révision du code électoral par la loi n°2012/017 du 21
décembre 2012, le Conseil Électoral compte désormais 18
membres289. À cet élargissement qui
s'interprète comme une volonté du législateur à
marquer cette instance de l'empreinte du consensus, il faut ajouter la
consultation préalable à la fois des partis politiques et des
acteurs de la société civile dans la nomination des
membres290. On peut toutefois regretter que la participation des
partis politiques et de la société civile en la matière ne
soit qu'à titre consultative, vu que les avis émis par ceux-ci ne
lient pas le Président de la République. À l'actif du
législateur, l'on notera aussi la composition inclusive des commissions
électorales qui, en fonction de leurs missions, sont constituées
des membres d'ELECAM, de l'administration, des partis politiques, du pouvoir
judiciaire et le cas échéant de la société
civile291. Cette inclusion dans la composition est également
de mise dans le processus décisionnel. À l'image d'ELECAM,
l'article 21du code électoral dispose en son alinéa 1 que
« les décisions conseil électoral sont prises par
consensus ou, à défaut, à la majorité simple des
membres présents ». En tout état de cause, la
présence des 2/3 des membres est nécessaire pour la
validité des délibérations.
Si la recherche du consensus demeure une exigence
légale dans la composition et la délibération, celui-ci se
trouve par contre exclu lorsqu'on prend acte de l'acte de désignation
des membres de ces organismes.
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