B- Le « déclin » de la séance
plénière
Le rôle du Parlement au sein des démocraties
représentatives est essentiel, car il constitue un haut lieu de
rencontre des différentes sensibilités de la
société politique. Sphère par excellence de
création du droit électoral, et donc de recherche du consensus,
l'institution parlementaire captive désormais toute l'attention. Raison
pour laquelle le constituant camerounais de 1996 a par exemple entrepris
d'effectuer un réaménagement conséquent de l'institution
parlementaire en lui dotant d'une seconde chambre pour densifier les
débats autour des textes. Toutefois, même s'il est
indéniable que l'institutionnalisation du double examen des textes et
accessoirement de la navette parlementaire constitue les points focaux du
réaménagement de la procédure législative
246 , l'évolution supposée du « système
242 Employé par BRIQUET (Jean-Louis), op.cit., p.2.
243 BRIQUET (Jean-Louis), op.cit., p.2.
244 Cité par PERROT (Annick), « La doctrine et
l'hypothèse du déclin du droit », p.183.
245 SADRY (Benoit), Thèse, op.cit., p.123.
246 KAMO TIEKWE (Idrys Sorel), Mémoire Master 2, op.cit.,
pp.23-24.
Le consensus en droit électoral camerounais
parlementaire »247 n'a guère
apporté une plus-value à la séance plénière,
instance du débat parlementaire. C'est pourquoi l'annonce de son
déclin 248 n'a pas manqué de susciter des
inquiétudes et des interrogations sur l'avenir et la qualité de
la production des règles du jeu politique. La particularité de
cette dégénérescence est qu'elle affecte inexorablement
l'ensemble du travail parlementaire, entrainant la séance
plénière à une ruine certaine. De ce point de vue, nous
serons naturellement tentés de nous poser les questions de savoir :
Qu'elles sont les raisons d'une telle débandade ? Qu'elles sont les
implications sur le processus législatif ?
Si les travaux de BENOIT SADRY permettent de mettre en relief
le déclin programmé249 du Parlement, ils ont surtout
permis de révéler au grand jour la face cachée du
débat parlementaire. Mais avant d'examiner cette question, nous
proposons de marquer un temps d'arrêt sur les deux interrogations
annoncées plus haut.
Relativement aux raisons susceptibles d'expliquer le
déclin de la séance plénière, il se dégage
des lectures possibles. Les premières, fondées sur un mobile
externe repose sur « le phénomène majoritaire
»250 et la discipline du parti. Comme l'observe JAN
PASCAL251, le phénomène majoritaire qui réalise
l'emprise de l'exécutif sur le législatif cantonne le dernier
dans un rôle d'exécutant des volontés gouvernementales. Au
Cameroun, le législatif a même été réduit
247 Reprenant les termes de KAMO TIEKWE (Idrys Sorel),
Mémoire, op.cit., p.20.
248 Lire à ce sujet SADRY (Benoit), Thèse,
op.cit., pp.59-70. Egalement XAVIER VANDENDRIESSCHE, « Le Parlement
entre déclin et modernité », Pouvoirs, n°99,
2001.
249 Dans ce contexte, on parle de « déclin
programmé » en considérant les implications juridiques de
certaines règles constitutionnelles qui impactent négativement
sur l'institution. BENOIT SADRY en donne quelques-unes :
L'énumération limitative des compétences
réservées au pouvoir législatif par rapport à
l'exécutif (article 34 de la constitution française et article 26
de celle camerounaise), la définition de la politique de la nation
laissée à l'initiative du Président de la
République (article 20 de la constitution française et article
5(2) de la constitution camerounaise), la portée limitée des
propositions loi et amendements (articles 40 et 41 de la constitution
française ; article 18(3.a) de la constitution camerounaise), la
maîtrise de l'ordre du jour des assemblées par l'exécutif
(article 48 de la constitution française), le fait majoritaire et la
délégation du pouvoir législatif (articles 38, 47(1) et
74(1) de la constitution française; articles 28 et 36de la constitution
camerounaise) qui viennent clore cette déchéance
annoncée.
250 Le fait majoritaire constitue une pratique politique qui
influence le cours normal de la vie des institutions. Selon ATAGANA ETIENNE, le
phénomène majoritaire est la situation dans laquelle la
majorité présidentielle coïncide avec la majorité
parlementaire. D'un autre côté, ce phénomène peut
être la résultante d'une coalition de partis politiques se
regroupant pour soutenir le Président. Dans tous les cas cette situation
a la particularité de conférer au Président de la
République un contrôle absolu sur l'institution parlementaire.
ATANGANA (Etienne Joël Louis), Thèse, op.cit., pp.199-200.
Aujourd'hui, il existe de plus en plus des cas où la
majorité parlementaire retire sa confiance à un Président
devenu encombrant bien qu'étant de la même famille politique. Les
exemples récents de la destitution de la Présidente
brésilienne par une initiative de ses camarades politiques en 2016, de
la présidente Sud-coréenne la même année, et de
celle qui pèse désormais sur le Président Sud-africain.
251 Cité par SADRY (Benoit), Thèse, op.cit.,
pp.61-62.
Le consensus en droit électoral camerounais
selon ATANGANA ÉTIENNE252 «
à un instrument servant à convertir les opinions politiques
du gouvernement en loi (...)». Les parlementaires qui se retrouvent
donc absorbés par les spirales du fait majoritaire sont en
réalité prisonnier des logiques des partis qui conditionnent et
orientent leurs comportements au sein des Assemblées, c'est la
discipline du parti. De cette manière, les débats qui
émergent ne sont qu'une « mascarade politique », une simple
formalité. Tout simplement que la discipline du parti qui s'impose au
parlementaire indique la démarche que celui-ci doit avoir lors des
débats.
Il est à annoter cependant que l'explication sommaire
du déclin de la séance plénière à partir des
éléments externes n'est que la face visible d'un plus grand vice.
En observant les interactions entre les parlementaires et les partis
politiques, le constat qui se dégage est que la plupart des membres du
Parlement sont rendus complice du déclin de ce prestigieux temps fort du
travail parlementaire. C'est ce que BENOIT SADRY a eu à mettre en
évidence lorsqu'il dénonça avec vigueur la pratique de la
partitocratie. Dans ce contexte, les parlementaires qui sont censés
défendre les valeurs et les intérêts nationaux, se livre
à corps perdu à « un banditisme » législatif
pour assurer la sauvegarde de leurs intérêts propres, mais surtout
ceux des partis responsable de leur investiture.
Que les causes du déclin de la séance
plénière soient d'origine externe ou interne, cela
dénature le débat parlementaire dans son essence profonde,
affectant au passage la production législative.
Certes « l'Assemblée
délibérante-l `enceinte parlementaire-demeure le cadre
institutionnel privilégié pour le développement de ce
débat contradictoire entre les arguments des groupes/partis majoritaires
et des groupes/partis minoritaires »253, mais dans ces
conditions on est amené à se demander si elle n'est pas devenue
une simple antenne du pouvoir exécutif comme CHRISTINE DESSOUCHES le
faisait remarquer à juste titre254 ? Ou alors n'est-elle pas
simplement placée dans une situation d'allégeance
vis-à-vis de l'exécutif255?
Dans tous les cas, il y a lieu de constater que le Parlement,
en renonçant peu à peu à son
252 ATANGANA (Etienne Joël Louis), Thèse, op.cit.,
p.290.
253 NABLI (Beligh), « L'opposition parlementaire (...)
», op.cit., p.128.
254 Cité par KARIM (Dosso), « Les pratiques
constitutionnelles dans les Etats d'Afrique noire francophone (...)
», op.cit., p.10.
255 CHARLES B. OUOBA, op.cit., p.59.
Le consensus en droit électoral camerounais
pouvoir d'initiative a favorisé le repositionnement
stratégique de l'exécutif 256 dans le jeu
institutionnel. Cette hégémonie confirmée de
l'exécutif dans le constitutionnalisme noire africain a consacré,
à bien d'égard, « l'exercice d'un présidentialisme
accru »257. On comprend désormais tout l'enjeu de la
« dé-présidentialisation » préconisée par
le Professeur MAGLOIRE ONDOA258. Aussi déroutant que cela
puisse paraître, les lois de la République ont fait du
Président le personnage autour duquel tout se fait et se défait.
C'est que le « phénomène majoritaire » induit un
soutien presque inconditionnel de la majorité parlementaire au
Président de la République, faisant de ce dernier non seulement
le chef de l'exécutif, mais aussi du législatif259. Il
n'est donc pas étonnant de constater le jeu trouble des institutions
publiques puisque celles-ci sont directement ou indirectement placées
sous son autorité, la séparation des pouvoirs n'étant que
formelle 260 . Du coup, les instances de création du droit
électoral, embrigadées à tous les stades du processus ne
feront que traduire la seule volonté du Président de la
République dans le texte qui malheureusement s'imposera à
l'ensemble de la société politique.
PARAGRPAHE 2 : LA PARTICIPATION MITIGÉE DE
L'ADMINISTRATION DANS LA RÉGULATION ÉLECTORALE
Dans une analyse de circonstance, SERGE PAULIN AKONO EVANG,
souligne opportunément que le rôle de l'administration dans le
processus électoral entre dans un contexte plus grand qu'il ne
paraît, notamment celui de la « dynamique administrative en Afrique
noire francophone »261.
Sans toutefois se lancer dans cette grande
problématique, nous avons circonscris notre étude à la
participation de l'administration dans le processus de formation du droit
électoral. Dans la mesure où celle-ci est jugée
mitigée, l'administration s'est-elle rendue responsable de tous les maux
à cause des relations incestueuse qu'elle entretient avec le
pouvoir262. Cet aperçu pour peu
256 SADRY (Benoit), Thèse, op.cit., p.67.
257 AKA LAMARCHE (Aline), op.cit., p.29.
258 ONDOA (Magloire), « La
dé-présidentialisation du régime politique Camerounais
», in Solon, Revue Africaine de parlementarisme et de
démocratie, vol. II, n°1, 2003, PP.1-40.
259 ATANGANA (Etienne Joël Louis), Thèse, op.cit.,
p.200.
260 ATANGANA (Etienne Joël Louis), Thèse, op.cit.,
p.200.
261 AKONO EVANG (Serge Paulin), « L'administration et
le processus électoral au Cameroun : le désir étatique
constant de l'administration », volume III, n°7, août
2013, R.A.P.D, p.71.
262 C'est du moins la lecture opérer par Serge Paulin
AKONO EVANG, op.cit., p.73.
Le consensus en droit électoral camerounais
qu'il soit accablant pour une administration en quête de
marques ne peut manquer de susciter des interrogations, tant celle-ci
trône sous le dogme de la neutralité263, qu'au surplus
on pourrait soupçonner que la production du droit électoral ne
relève pas originellement de sa mission. Mais de toute évidence
l'administration d'une manière ou d'une autre intervient dans le
processus électoral et peut être appelé à prendre
des actes susceptibles d'avoir une répercussion sur la
législation électorale en vigueur. Mais que fait-elle
concrètement dans le processus électoral ?
Outre la collaboration et l'appui qu'elle apporte à
« Election's Cameroon » 264 , l'Administration265, «
bras séculier de l'État », est investie d'un pouvoir
réglementaire qui, selon VEDEL et DEVOLVÉ dans leur précis
de Droit Administratif lui donne la latitude « de faire des
règlements, c'est-à-dire de prendre des décisions
exécutoires de caractères générales et impersonnels
» pour mener à bien certaines missions liées au bon
déroulement d'une élection transparente et
démocratique.266 Par le biais de certaines
autorités étatiques267, l'Administration intervient
à plusieurs sites de la régulation électorale. En plus,
elle assure les mesures de polices en cas de menace à l'ordre
public268, les actes relatifs aux modalités de financement
publics des partis politiques269, des financements des campagnes
électorales et référendaires270. Faut-il encore
déterminer que les actes administratifs et notamment unilatéraux
constituent une source importante du droit, et donc susceptibles de
créer des droits et des obligations à l'endroit des
particuliers271, ou plus exactement des acteurs politiques voire des
citoyens électeurs. Quid de sa participation mitigée ?
Pour mieux comprendre ce rapport mitigé, il importe de
recentrer l'assise juridique de la participation de l'administration à
l'édification du support normatif des élections (A). Cette
263 Selon SABI (Kassere Afo), « La neutralité
s'analyse de l'interdiction faite à tout agent public d'user de sa
qualité ou de son autorité en faveur ou aux détriments
d'un candidat ou d'un parti », Thèse, op.cit., p.83.
264 En vertu des articles 3 et 4(1) du code électoral
de 2012, « Election's Cameroon » est un organe indépendant
chargé de l'organisation, de la gestion et de la supervision de
l'ensemble du processus électoral et référendaire.
265 Article 43(1) du code électoral.
266 Cité par AKONO EVANG (Serge Paulin), op.cit., p.79.
267 Suivant les articles 12(1) ,24(1) ,44(2) du code
électoral de 2012, le Président de la République
intervient dans la nomination et la révocation des membres d'ELECAM ; le
Ministre des finances désigne un comptable public (article 36) et nome
un commissaire aux comptes (article 37) ; le Ministre de l'administration
territoriale, le Gouverneur, le Préfet, le Sous-préfet et le
Maire désignent respectivement aux termes des articles 31, 32, 33, 34,
35, leurs représentants au sein des différentes commissions
électorales.
268 Articles 94 et 95 du code électoral.
269 Articles 279 à 283 du code électoral.
270 Articles 284 à 287 du code électoral.
271 Cour Fédérale de Justice, arrêt
Ngongang Njanke Martin, 20 mars 1968. Lire également Georges Vedel,
Pierre Delvolvé, Droit Administratif, Tome1, 12è
édition, Paris, Presses Universitaires de France, 1992.
Le consensus en droit électoral camerounais
analyse préalable a le mérite de mettre en
lumière le lien quasi naturel qui existe entre l'Administration et le
politique (B).
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