PARAGRAPHE 1 : LA DÉRIVE DU POUVOIR
LÉGISLATIF
Par dérive, il faut entendre au sens du Dictionnaire
Hachette Encyclopédique227« l'évolution
incontrôlée et dangereuse d'un phénomène ou de
l'action de quelqu'un », ou « le fait de ne pouvoir se diriger, de se
laisser aller, d'être sans volonté ». Parler alors de
dérive du pouvoir parlementaire revient à envisager
l'incapacité pour ceux qui l'incarne à pouvoir affirmer leur
autonomie dans le jeu institutionnel, et notamment dans leur capacité
à assumer leur rôle de
224 L'article 24(1) dispose que « le Directeur
Général et le Directeur Adjoint des Elections sont nommé
par décret du Président de la République pour un mandat de
(5), éventuellement renouvelable, après consultation du conseil
électoral ».
225 Il est admis dans la tradition jurisprudentielle que les
actes de gouvernement s'apprécient en considération de la
matière à laquelle ils se rapportent. Ils doivent donc être
pris dans des domaines bien précis. C'est en effet à la suite de
quatre affaires distinctes (KOUANG GUILLAUME-CHARLES c/ Etat du Cameroun,
Jugement rendu en date du 31 mai 1979 ; ESSOMBA MARC-ANTOINE c/ Etat du
Cameroun, Jugement 29 mars 1980 ; ESSOUGOU BENOIT c/ Etat du Cameroun, 24 avril
1980 et 19 mars 1981) que le juge administratif camerounais sur les pas de son
homologue français, va définitivement fixer le contenu des actes
de gouvernement. Voir MAURICE (Kamto), Actes de gouvernement et droits de
l'homme au Cameroun, Lex Lata, n°026, mai 1996, pp.9-14.
226 Cité par BEGNI (Bagagna), « Les
ambiguïtés du bicamérisme en Afrique (..) »,
op.cit., p.153.
227 Cf. MBALLA OWONA (Robert), « Réflexions sur
la dérive d'un sacro-saint principe (..) », op.cit., p.93.
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Le consensus en droit électoral camerounais
représentants. L'instrumentalisation dont-ils font
l'objet, (A) déteint sur la séance plénière (B).
A- L'instrumentalisation228 des assemblées
parlementaires
Lorsqu'on se penche sur la condition réelle des
institutions politiques « rénovées » ou «
consolidées » au lendemain des transitions politiques des
années 1990, il est frappant de constater avec MATHURIN C.
HOUNGNIKPO229 que « le vent du renouveau a simplement
manqué d'apporter du vrai nouveau, car dit-il, Øles mordus du
pouvoir' en Afrique ont eu le temps de jongler avec l'histoire ». On se
rend compte en effet que le grand ménage institutionnel annoncé,
n'a en réalité été effectué que dans le sens
d'accroitre la sphère d'influence du Chef de
l'État230. Aidé par le jeu trouble de certains acteurs
dans le débat politique, les manoeuvres présidentielles ont
considérablement affaiblies les mécanismes classiques de la
représentation politique puisqu'elles agissent comme des forces
contraignantes sur les représentants de l'opinion231. Mais
comment comprendre l'instrumentalisation dont la représentation du
peuple fait l'objet ? À la base, BENOIT SADRY explique que le
système mis en place par les partis est tel que, avant de pouvoir
être candidat, un individu doit rechercher au préalable
l'investiture de l'une de ces entités pour bénéficier d'un
soutien politique et financier pour assurer sa campagne
électorale232. En sus de l'investiture du parti, une
poignée de parlementaires, à l'instar des sénateurs sont
nommé par le Président de la République233.
Cette nomination si elle ne constitue pas aux dire du Professeur ALAIN DIDIER
OLINGA234 une violation du principe général de non
contradiction, force est de reconnaître que les mécanismes actuels
mis en place pour assoir la représentation politique créent un
lien de dépendance du parlementaire vis-à-vis du Président
de la République, mais aussi des partis politiques. D'ailleurs pour
BÉGNI BAGAGNA, la
228 L'instrumentalisation peut être entendue comme une
« action, pour un système politico-économique, de
considérer l'Homme comme le moyen d'atteindre des objectif qui ne
correspondent pas à ses intérêts matériels et moraux
», MIGNARD (Patrick), L'illusion démocratique : Essai sur la
politique à l'intention de celles et ceux qui doutent ... Toulouse,
AAEL, janvier, 2003, p.106.
229 MATHURIN (C. Houngnikpo), « L'illusion
démocratique en Afrique », L'Harmattan, 2004, p.7.
230 Lire ONDOA (Magloire), « La
dé-présidentialisation du régime politique Camerounais
», in Solon, Revue Africaine de parlementarisme et de
démocratie, vol. II, n°1, 2003, PP.1-40.
231 SADRY (Benoit), Thèse, op.cit., p.118.
232 SADRY (Benoit), Thèse, op.cit., p.120.
233 L'article 20 alinéa 2 de la loi constitutionnelle du
18 janvier 1996.
234 Cité par BEGNI (Bagagna), « Les
ambiguïtés du bicamérisme en Afrique (...) »,
op.cit., p.154.
Le consensus en droit électoral camerounais
nomination des sénateurs réalise une
inféodation du pouvoir législatif par le pouvoir
exécutif235. Pour BERNARD CHANTEBOUT, ce système va
plus loin. En ce sens, les partis politiques interfèrent aussi, sur la
représentation par l'encadrement des groupes parlementaires (...). Les
représentants restent dépendant de leur famille politique tout au
long de leur mandat et, par ce biais, les partis tiennent les
assemblées236. Acculés en outre par la discipline du
parti, les parlementaires et notamment ceux de la majorité sont
réduits à des porte-parole de l'exécutif dominé par
le Président de la République, président du parti
majoritaire. C'est ce qui fait dire à BENOIT SADRY que les
décisions dans ce contexte paraissent bien arrêtées en
dehors du Parlement, celui-ci n'étant plus le lieu
privilégié de la discussion
délibérative237. Au-delà de cette
considération, le lien presque inébranlable entre le
parlementaire et le parti politique débouche sur le développement
de la « partitocratie ». Le phénomène de la
partitocratie qu'il est donné d'analyser dans le contexte africain en
rapport avec la production du droit électoral, est en
réalité une problématique qui préoccupe les pays du
vieux continent. Ce n'est donc pas un problème proprement africain. Nous
allons néanmoins nous focaliser sur le site qui est le nôtre pour
révéler la portée de la logique « partitocratique
» dans le système de fabrication des règles du jeu
politique.
Alors que le pluralisme s'obtenait à
l'arraché238, la société politique africaine
allait bientôt faire face à un système partisan miné
par un développement exacerbé de la partitocratie. Cette
dernière, ayant favorablement nourrit les fantasmes du parti unique
devait curieusement refaire surface à l'avènement proclamé
du multipartisme dès les années 1990. D'après MICHEL
HEINTZ239, « le régime des partis » tel que
pensé à l'ère du politique contemporain a abouti à
un gel du jeu politique au point d'empêcher l'émergence d'une
alternative franche, preuve que ce système s'est emparé des
rouages institutionnels. C'est que la prise en otage des processus
décisionnels par les partis240 a conduit à un
«verrouillage » institutionnel déversant sur ce que JEAN-LOUIS
BRIQUET241 appel le « clientélisme des machines
politiques » pour assurer leur maintien au sommet de la chaîne
politique.
235 BEGNI (Bagagna), « Les ambiguïtés du
bicamérisme en Afrique (...) », op.cit., p.154.
236 Cité par SADRY (Benoit), Thèse, op.cit.,
p.121.
237 SADRY (Benoit), Thèse, op.cit., p.123.
238 AKA LAMARCHE (Aline), « L'évolution du
régime représentatif dans les Etats d'Afrique francophone,
Jurisdoctria, n°9, 2013, p.132.
239 HEINTZ (Michel), « D'une partitocratie
tempérée », avril 2006, pp.43-44.
240 SADRY (Benoit), Thèse, op.cit., p.118.
241 BRIQUET (Jean-Louis), « Le clientélisme
politique dans l'Italie contemporaine », HAL, 16 décembre
2013, p.4.
Le consensus en droit électoral camerounais
Le clientélisme de parti242 duquel
émerge le « phénomène partitocratique »
constitue une véritable « anomalie » politique243
qui affecte largement les mécanismes de sécrétion du droit
en dénaturant la « sincérité » du débat
parlementaire. Et comme on le verra plus bas, il explique en partie le
déclin de la séance plénière. Dans ce sillage, on
comprend que, les parlementaires (surtout ceux de la majorité) plus
soucieux de la sauvegarde des intérêts des partis dont leurs
carrières dépendent, se livrent à des montages juridiques
orientés. La loi qui émerge dans ce contexte perd-t-elle toute
signification objective, au point de laisser les illustres BRUNO OPPETIT et
CARBONNIER sur un air nostalgique. Pour ces derniers, la loi est devenue une
technique de « pilotage à vue » devant servir les
intérêts immédiats 244 . Cette consistance
sommaire des implications de la partitocratie sur le fonctionnement normal des
institutions étatiques montre bien que la représentation
politique est sous l'emprise d'« un gouvernement occulte
»245.
Au totale, le Parlement au Cameroun est encore dominé
par un exécutif fort. Cette position qui a la particularité de
déteindre sur ses missions n'atteste-t-il pas du « déclin
» de cette institution. Cette dérive parlementaire qui est au coeur
de nos propos affecte principalement la séance
plénière.
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