B- La survivance des procédés
unilatéraux
Dans une société soucieuse des grands
équilibres politiques, l'élaboration des règles
électorales doit obéir à des mesures propres à
prévenir tout « monopole politique et administratif du
pouvoir». Ceci étant, la pratique électorale
développée dans les pays d'Afrique noire francophone peut
susciter des interrogations lorsqu'on sait toutes les difficultés
politiques que ceux-ci traversent.
C'est que la législation électorale de ces pays
et donc du Cameroun fait l'apologie des actes unilatéraux dans
l'organisation des élections au profit du Président de la
République qui, il faut le souligner est lui-même engager avec son
parti dans la compétition électorale. Au rang de ces actes
figurent le découpage des circonscriptions électorales
217 , la convocation du corps électoral218, la
nomination et la révocation des autorités administratives et
« indépendantes » chargées de l'organisation et du
contrôle des scrutins.
Sur le premier moyen, les analyses du Professeur RICHARD
GHEVONTIAN sont formelles en ce que, « la question du découpage
électoral, c'est-à-dire la technique par laquelle le territoire
national (ou une partie de celui-ci) est divisé en circonscriptions
électorales dans lesquelles les électeurs sont répartis
pour exercer leur droit de vote, est déterminante a plan collectif sur
l'expression sincère de la volonté du corps électoral
» 219 . Pour l'auteur, la délimitation géographique des
surfaces électorales est d'un enjeu démocratique
particulièrement important car, soutient-il, si sa finalité est
détournée, et sa mise en oeuvre manipulée, le
résultat électoral obtenu de façon déloyale, ne
sera dû qu'à un regroupement artificiel
d'électeurs220. Cette inquiétude est partagée
par la plupart des organisations internationales s'étant
intéressées à
217 L'on peut entendre par circonscription électorale,
une « unité territoriale dans laquelle le vote définit
la manière dont les sièges sont distribués parmi les
candidats ou les partis politiques », RESEAU DU SAVOIR ELECTORAL,
op.cit., p.53. Au Cameroun, la carte électorale est l'oeuvre du
Président de la République, réalisée au terme d'un
décret notamment
218 Article 86(1) du code électoral.
219 GHEVONTIAN (Richard), « Les pouvoirs du conseil
constitutionnel français en matière électorale
», op.cit., p.76.
220 GHEVONTIAN (Richard), « Les pouvoirs du conseil
constitutionnel français en matière électorale
», op.cit., p.76.
Le consensus en droit électoral camerounais
cette problématique. Ainsi par exemple, pour la
fondation FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, le fait pour le législateur de
laisser la maîtrise du découpage des circonscriptions
électorales à la discrétion du Président de la
République, est perçu comme un moyen favorisant l'expression de
la fraude électorale221. En réalité, au
Cameroun il n'est pas rare que les découpages soient faits de
manière totalement calculée. Dans ce contexte, l'autorité
compétente en raison de ses affinités politiques n'hésite
pas à allouer la majorité des circonscriptions dans des zones
favorables. Cette technique selon la fondation FRIEDRICH EBERT STIFTUNG
consisterait en l'utilisation du pouvoir du décret pour doter les zones
favorables à certains partis politiques en vue de compenser celles qui
leur seront hostiles, ou à créer de nouvelles circonscriptions
électorale à la veille de l'échéance222.
De même, il serait curieux de constater que malgré les
règles de découpage, qu'au Cameroun la distribution des
sièges soit faite de manière tendancieuse. Pour cette raison,
certains pays telle l'Allemagne confie à une commission spéciale
le soin de procéder à un tel découpage.
À cela vient s'ajouter la convocation du corps
électoral. Encore laissée à la diligence du
Président de la République, la discrétion quelle suppose
permet-elle d'ouvrir une fois de plus une brèche à la fraude.
C'est du moins la conclusion que la FRIEDRICH EBERT STIFTUNG tire, lorsque
celle-ci permet d'entretenir un flou quant à la tenue exacte du jour de
l'élection. En effet, selon cette fondation, « elle consiste
à donner la latitude au Président de la République qui est
un acteur et partie prenante au processus de déterminer de façon
unilatérale la date des élections »223. Le
Président qui détient donc seul l'agenda électoral peut
allègrement utiliser ce gadget légal à des fins politiques
et surprendre ses adversaires. Pour cette organisation internationale, ces deux
moyens unilatéraux ne sont ni plus ni moins que des « fraudes
légales ».
Cette liste non exhaustive s'accompagne de la nomination et de
la révocation des organismes étatiques investis dans la conduite
des élections. Laissée une fois encore à la
discrétion du Chef de l'État. Aux termes de l'article 12 (3) du
code électoral camerounais de 2012, « le Président, le
Vice-Président et les membres du Conseil Electoral sont nommés
par décret du Président de la République après
consultation des partis politiques représentés à
l'Assemblée Nationale et de la société civile ».
Cependant, il y a un silence coupable de ce code
221 FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Prévenir et lutter
contre la fraude électorale au Cameroun, op.cit., 15.
222 Tel fut le cas en 2007 avec la création de 60
nouvelles circonscriptions électorales créées à
moins d'un mois des élections législatives et municipales.
FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Prévenir et lutter contre la fraude
électorale au Cameroun, op.cit., 15.
223 FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Prévenir et lutter contre la
fraude électorale au Cameroun, op.cit., 15.
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Le consensus en droit électoral camerounais
non seulement sur la forme de cette consultation, mais aussi
sur son sa force juridique. La nomination du Directeur Générale
et du Directeur Adjoint ELECAM est régie à l'article
24(1)224.
Cet état juridique est clôturé par
l'irrecevabilité des demandes formulées contre ces actes,
lesquels sont qualifiés d'« actes de gouvernement » 225 et de
facto couverts d'immunité juridictionnelle.
SECTION 2 : LA PRISE EN COMPTE DES
CONSIDÉRATIONS D'ORDRE CONJONCTUREL
Les organes chargés de la mise en oeuvre du consensus
en droit électoral sont par nature des organes politiques. Et en
dépit des moyens juridiques dont ils disposent pour réaliser
l'idéal de consensus, il n'est pas rare que ceux-ci en face usage pour
d'autres fins ou bien qu'ils cèdent à la manipulation. C'est dans
cette logique que MPESSA ALOYS226 affirmait opportunément que
« `'les institutions juridiques» ne sont jamais ce qu'on croit
qu'elles sont. Produit de l'imagination intellectuelle des hommes, elles
révèlent leur caractère réel au contact des
réalités sociales qui les façonnent ». La
combinaison des facteurs tels la dérive du pouvoir législatif (A)
et la participation mitigée de l'administration dans le jeu
électoral (B) tend à conforter cette thèse.
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