PARAGRAPHE 2 : L'AFFIRMATION DE DEUX PROCÉDURES
CONCURRENTES
L'idée de concurrence dans la mise en oeuvre du
consensus est consécutive à l'existence de méthodes aux
allures opposées. Cette concurrence s'évalue dans l'admission de
procédés parlementaires (A), et aux côtés desquels
se déploient aussi les procédés usités par
l'exécutif (B)
A- Les procédés parlementaires
Dans la recherche de la manifestation du consensus en droit
électoral, le Parlement dispose des moyens spécifiques. C'est en
effet dans l'institutionnalisation du débat parlementaire et de
l'existence d'un double examen des textes qu'il faut mesurer la pertinence
d'une telle prétention.
Sur le premier point, notamment le débat parlementaire,
c'est la modalité qui lie le travail parlementaire. Le débat
parlementaire est échelonné à divers stades de la
procédure depuis le dépôt des textes sur le bureau de
l'Assemblée Nationale et du Sénat, jusqu'à leur adoption
finale en assemblée plénière199 en passant par
une seconde lecture éventuellement200. Et ce n'est
qu'à la
197 OLINGA (Alain Didier), « Politique et droit
électoral au Cameroun (...) », op.cit., p.33.
198 La « procédure est synonyme d'un
processus, de progression. C'est une trajectoire à suivre
destinée à obtenir un résultat » : ATANGANA
(Etienne Joël Louis), Thèse, op.cit., p.74.
199 Article 29 (1) de la loi constitutionnelle de 1996.
200 L'article 19 (3) de la loi constitutionnelle de 1996
dispose qu'« avant leur promulgation, les lois peuvent faire l'objet
d'une demande de seconde lecture par le Président de la
République (...) ».
Le consensus en droit électoral camerounais
fin de ce débat que le Parlement, par une
délibération c'est-à-dire par une résolution
collective, prise à la majorité des voix, adoptera
définitivement le texte. Telle est du moins la lecture faite par le
Doyen MAURICE HOURIOU201. En conséquence, la
législation qui émerge du Parlement à de particulier que
son contenu est déterminé, selon ÉRIC LANDOWSKI,
« par une confrontation préalable entre parlementaires (...)
à travers l'échange d'arguments et de contre-propositions, de
démonstrations et de réfutations »202.
Cette apologie du débat parlementaire prend-t-elle en
compte la réalité de l'environnement politique qui conditionne le
fonctionnement du Parlement ? À vrai dire, l'éloge fait au
débat parlementaire ne prend pas en compte certaines
considérations pratiques car la vitalité et la pertinence de
celui-ci dépend entièrement de l'équilibre politique de
l'institution parlementaire. C'est dire autrement que la pertinence du
débat parlementaire est largement tributaire de la configuration
politique même du Parlement. En clair, le poids du débat
parlementaire ne prend une résonnance objective que si les deux camps
qui s'affrontent sont équilibrés. Dans le cas contraire, on aura
un débat à sens unique, c'est-à-dire, « une suite de
monologues disjoints »203 . Tout se passera alors comme si la
tribune parlementaire était un lieu réservé à ceux
de la majorité qui ont en commun les mêmes intérêts,
qui parlent d'une même voix ; les dissidents étant proscrits. Quoi
qu'il en soit, l'issue de ce débat est sanctionné par ce que
ÉRIC LANDOWSKI204 appel « l'arbitrage quantitatif »
qui conduit à l'adoption d'un texte en considération de la
règle majoritaire. Cette règle fondamentale qui a
été propulsée au rang de légitimation du pouvoir
politique en régimes démocratiques à la fâcheuse
vocation à faire taire l'opposition205, même si ALAIN
FENET fait remarquer que les actes législatifs et notamment ceux
illustrés dans la matière électorale ne sont pas par
essence arbitraire, dans la mesure où ils ont à l'origine une
base sociologique206.
Pour le dire, il suffit simplement de se remémorer les
propos de l'ancien porte-parole du Gouvernement KONTCHOU KOUOMEGNI AUGUSTIN qui
en substance déclara que « dans aucun régime
démocratique au monde d'aujourd'hui la majorité n'a l'obligation
d'aller s'entendre avec la minorité pour venir ensuite gouverner(...) Et
je ne sais pas si actuellement dans l'une des grandes démocraties
occidentales le gouvernement est fondé sur l'entente entre la
majorité et l'opposition »207. Cette vision
rétrograde et à la limite « fantaisiste » pour
reprendre le
201 Cité par Jean GICQUEL et Eric GICQUEL, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Domat Montchrestien,
21e édition, 2007, p.631.
202 LANDOWSKI (Eric), « Le débat parlementaire
(...) », op.cit., pp.433-434.
203 LANDOWSKI (Eric), « Le débat parlementaire
(...) », op.cit., p.441.
204 LANDOWSKI (Eric), « Le débat parlementaire
(...) », op.cit., p.438.
205 SADRY (Benoit), Bilan et perspectives de la
démocratie représentative, Thèse, op.cit., p.321.
206 FENET (Alain), op.cit., p.99.
207 Voir Cameroon Tribune, n°6438 du lundi 22, septembre
1997, pp.3-4. Propos analysé par OLINGA (Alain Didier), «
Politique et droit électoral au Cameroun(...) », op.cit.,
p.40.
Le consensus en droit électoral camerounais
Professeur ALAIN DIDIER OLINGA, illustre fort bien le sort
réservé à la minorité politique en
générale et celle parlementaire en particulier. Il conviendrait
alors d'échauder des politiques d'équilibre pour corriger et
atténuer les imperfections du paradigme majoritaire208 qui
cantonnent la minorité à une insignifiance
certaine209. L'objectif étant à long terme, de
guérir le « mal de consensus » dont souffriraient selon
MILACIC SLOBODAN210les démocraties contemporaines, puisque le
vote majoritaire, en dernière analyse, dénature l'idée
véritable de consensus au point d'en diluer la consistance. De toute
évidence, dans une situation où une classe politique fusse-t-elle
majoritaire s'accorderait sur les termes d'un texte au dépend d'une
autre, il ne sera pas étonnant que la doctrine le qualifie de «
consensus biaisé »211. Cependant l'on doit rester lucide
sur la pratique réelle de ce mécanisme, car même s'il est
admis que la discussion d'une loi électorale est d'un enjeu politique de
première importance, il serait naïf, comme le souligne le
Professeur ALAIN DIDIER OLINGA de penser que le discours sur la
nécessité du consensus est politiquement
désintéressé212.
Sur le second moyen, le double examen des textes comme on la
indiqué est la conséquence de l'adoption par le Cameroun d'un
système bicaméral. Ce bicamérisme qui s'entend dans
l'existence de deux chambre au Parlement induit que tous les textes soit
examinés à la fois par le Sénat et l'Assemblé
Nationale. Cette exigence a pour avantage de densifier les débats avant
toute adoption finale des textes, et des règles électorales au
cas d'espèce. Mais comme l'a relevé plus haut, la configuration
déséquilibrée du Parlement camerounais qui produit
déjà un résultat mitigé du débat
parlementaire, tend aussi à édulcorer la sincérité
du double examen des textes en même temps qu'elle éloigne la
perspective d'une navette. Relativement à la navette parlementaire,
certaines précisions méritent d'être faites.
Dans la recherche du consensus autour des textes
législatifs, il a été institué dans les Parlement
des mécanismes particuliers. Ceux-ci, essentiellement axés sur le
débat parlementaire s'échelonne comme on l'a déjà
précisé, à divers stade de la procédure
législative. Il est à noter que théoriquement, ce
débat peut être prolongé par ce qu'il est convenu d'appeler
« navette
208 NJOYA (Jean), « Etats, peuples et
minorités en Afrique sub-saharienne : contraintes anthropologiques et
défi démocratique », 4e Forum Mondial des
droits de l'homme (Thème Identités et minorités : vivre et
agir ensemble dans la diversité), Nantes-France, 28 juin 1er juillet
2010, p.16.
209 Ibidem.
210 Cité par NJOYA (Jean), « Etats, peuples et
minorités en Afrique sub-saharienne (..) », op.cit., p.16.
211 OLINGA (Alain Didier), « Politique et droit
électoral au Cameroun (..) », op.cit., p.38.
212 OLINGA (Alain Didier), « Politique et droit
électoral au Cameroun (..) », op.cit., p.38.
Le consensus en droit électoral camerounais
parlementaire ». Ainsi, cette exigence qui s'origine du
texte constitutionnel et réitéré par le règlement
intérieur des assemblées permet d'aboutir à une «
écriture » objective de la loi. Dans le cas qui nous
préoccupe, il faudrait préciser d'entrée de jeu que la
navette parlementaire qui figure au rang des grandes innovations du travail
parlementaire au Cameroun, doit son avènement à un
réajustement du système parlementaire effectué par le
constituant camerounais de 1996213. Ce bref aperçu permet
donc d'établir avec KAMO TIEKWE que l'avènement de la navette
parlementaire et le système bicaméral sont consubstantiellement
liés214. Bien plus, suivant le raisonnement de COLIN
JEAN-PIERRE, elle favorise la recherche du consensus
démocratique215 puisqu'elle a vocation à prolonger les
débats entre les deux chambres réunies en commission mixte. Elle
a alors le mérite de redorer d'un point de vue théorique les
débats au sein du Parlement.
Seulement, lorsqu'on aborde la question pratique de son
exercice, on découvre la réalité d'une institution
laissée à la merci de la conjecture politique. Il en est ainsi
parce que le jeu de la navette parlementaire n'est ouverte qu'à partir
du moment où il n y a pas accord absolu entre les députés,
après rejet de tout ou partie du texte par les sénateurs, et le
Président de la République peut convoquer la réunion d'une
commission mixte paritaire216. C'est dire toute la contingence de
cette procédure. Or les Parlements tel qu'on les connaît dans le
monde sont composés d'individus partageant les mêmes convictions,
et regroupés suivant leur sensibilité politique de telle sorte
que d'un côté il y a une majorité et de l'autre une
minorité. Cette configuration presque constante crée un
déséquilibre conséquent au sein de l'institution
parlementaire, rendant alors le déclenchement de la navette quasiment
improbable. Et c'est à cette idée qu'elle confirme son
caractère éventuel, tout en marquant une rupture dans la
recherche du consensus.
Déjà minée par la force du nombre,
l'idée d'un processus législatif consensuel n'est-elle pas
définitivement larguée par l'adoption d'une garantie qui
étrangement subit le même sort que l'illusion entretenue autour de
la séance plénière. En conséquence, il n y a plus
lieu de faire la surenchère d'une procédure dont la mise en
oeuvre est subordonnée à la survenance d'un éventuel
désaccord entre les parlementaires de la majorité. La conclusion
qui s'impose alors est que le
213 Cf. KAMO TIEKWE (Idrys Sorel), La navette parlementaire
au Cameroun, Mémoire de DEA, Droit Public Interne,
Université de Douala, 2013/2014, p.32.
214 KAMO TIEKWE (Idrys Sorel), Mémoire, op.cit., p.30.
215 Cité par KAMO TIEKWE (Idrys Sorel), Mémoire,
op.cit., p.13.
216 Article 30 (3.c.) de la loi constitutionnelle de 1996.
Le consensus en droit électoral camerounais
débat parlementaire aussi bien que la navette qui
l'accompagne, éventuellement, ne sont que de belles institutions qu'on a
malheureusement vite fait de couronner en droit parlementaire camerounais.
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