PARAGRAPHE 2: LE RENFORCEMENT DE L'«
ÉTAT-NATION »
Le chantier de l'état-nation jadis engagé par le
constituant camerounais de 1996171 est-il en phase d'être
renforcé avec la recherche d'un « compromis politique
»172 autour des règles électorales ?
173 Il existe donc une volonté étatique en ce sens
qui, au gré des conjectures politiques, essaye tant bien que mal
d'assoir un fondement juridique de l'adhésion de la
société à l'idéal politique
commun174.
Pour cette raison, le droit électoral est conçu
aujourd'hui en référence aux valeurs démocratiques pour
aider à la construction du « vouloir-vivre » ensemble des
peuples (B) vu la relative adhérence des fondements
matriciels175 de l'état-nation (A).
A- La relative adhésion des fondements matriciels de
l'état-nation
Les sociétés politiques modernes se sont
construites suivant des considérations différentes selon qu'on
soit à tel ou tel point du globe. Ainsi, la littérature
constitutionnelle des États met en lumière qu'à la base de
cette unité politique existe un certain « fond » qui permet de
les singulariser. Toutefois, notre propos n'est pas de refaire, encore moins de
réévaluer l'histoire constitutionnelle de ses
sociétés politiques 176 . Cependant, il serait utile
pour aborder la préoccupation qui est la nôtre notamment la
relative adhérence des fondements matriciels de l'état-nation, de
s'attarder sur les points saillants de la dialectique État et nation.
L'état-nation est un État177 qui
coïncide avec une nation178, c'est-à-dire, le
sentiment
170 SABI (Kassere Afo), Thèse, op.cit., p.464.
171 Dès la lecture du préambule de la loi
constitutionnelle de 1996, allusion est fait que « le peuple
camerounais (...) proclame solennellement qu'il constitue une seule et
même Nation (...) ».
172 Expression empruntée à ETEKOU (Bédi Yves
Stanislas), Thèse, op.cit., p.41.
173 La construction de l'état-nation dépend d'un
ensemble d'instruments, et le droit électoral se positionne
désormais comme un prétendant sérieux à cette
entreprise.
174 ETEKOU (Bédi Yves Stanislas), Thèse, op.cit.,
p.42.
175 Terme de construction ; celui qui sert de base à la
fixation des cotes en matière de constructions directes. Dictionnaire
Larousse, op.cit., p.
176 Lire à ce sujet SANDJE (Rodrigue Ngando), Etat
et nation dans le constitutionnalisme africain : Etude thématique,
Th. Doctorat en Droit Public, Université de Bourgogne, 17 juin 2013, 671
pages.
177 L'Etat fait l'objet de définition plurielle. Nous en
donnons quelles unes.
Le Littré. Le dictionnaire de référence
de la langue française, Varese, Editions Garnier, 2004, p.519,
« la forme du gouvernement d'un peuple, d'une nation (...)
».
Pierre AVRIL, Jean GICQUEL, Lexique droit constitutionnel,
Paris, PUF, 8e édition, 2001, p.55, « organisation
politique et juridique de la nation qu'elle personnifie. L'Etat est une
personne morale caractérisée par la détention
Le consensus en droit électoral camerounais
d'appartenance à un groupe (nation) structuré
autour d'une institution politique et administrative (État). Sa
naissance n'est donc pas un fait hasardeur. Dans un premier cas de figure,
l'État préexiste à la nation, et ensuite on cherche
à développer un sentiment national 179 : c'est
l' « état-nation ». Dans une seconde
illustration, des individus se reconnaissant d'une même nation et
manifestent leur volonté de vivre ensemble en se dotant d'un État
: on parlera alors de « nation-état ». De toutes les
théories formulées autour de « l'état-nation »
ou de la « nation-état » selon les cas, il est frappant de
constater la récurrence de l'idée d' « appartenance à
une communauté » où les individus auraient en partage
certaines valeurs existentielles.
Une fois ceci dit, il convient à présent
d'évaluer l'adhésion de ces valeurs à l'aune de
l'évolution des sociétés humaines. En rappel, les
développements qui ont précédés montre bien que
l'état-nation est un construit. Il est comparable à ce que l'on
pourrait qualifier de « phénomène de psychologie collective
». En ce sens, il est laissé à la merci du temps et peut
donc s'élargir, s'approfondir et même se
désagréger180. Si on prend les critères
développés par la tradition allemande on se rend bien compte
qu'à ce jour, des individus peuvent avoir en commun la langue, la race
sans pour autant manifester l'envie de vivre ensemble : les français et
les québécois partage la langue française et la race, cela
n'a pas suscité en eux l'envie de se rattacher. Bien plus, aucune
contrée n'a en commun une religion unique quand bien même certains
constituants revendiquent l'islam comme religion de l'État. Au pire
certaines sociétés se sont polarisées malgré ce
fond qu'ils avaient en commun (cas de la Corée, du Soudan). Quid de la
logique développée par la France? Là encore les
idées émises se heurtent à la dure réalité
du genre humain. De la sorte, le « vouloir-vivre ensemble »
dépend de ce qui lie les hommes à un moment donné. Ce lien
fondé parfois sur des considérations sociales,
idéologiques, politiques, économiques ne manquent pas de
s'évanouir tôt ou tard. Les exemples évoqués supra
témoignent de la fragilité des valeurs qui sont censés
constituer la base de l'état-nation. Au Cameroun la situation est encore
plus complexe où l'État a bien du mal à créer et
à maintenir durablement ce vouloir-vivre ensemble. On se souvient encore
du fameux plébiscite qui permit à une partie du
de prérogatives de puissance publique et par sa
soumission aux sujétions correspondantes. Sujet du droit international
public caractérisé par un territoire, une population et
l'existence d'un ordre juridique souverain. »
178 Selon MICHEL DE VILLIERS, Dictionnaire de droit
constitutionnel, 2e éd., A. Colin, Paris, 1997, p.149,
le terme nation avec « n » minuscule représente
l'élément humain. Cité par SANDJE (Rodrigue Ngando),
Thèse, op.cit., p.35. Tandis que nation avec « N » correspond
davantage à l'Etat.
179 Ce fut le cas en France, avec « l'obligation
d'utiliser le français dans tous les actes administratifs »
imposée par FRANÇOIS Ier par l'ordonnance de
Villers-Cotterêts en 1539 ; la création d'une école
gratuite laïque et obligatoire par JULES FERRY à la fin du
XIXe siècle ; la création des symboles nationaux.
Le consensus en droit électoral camerounais
« Cameroun anglophone » de se rattacher
définitivement au Nigéria voisin. C'est dire toute la
fragilité et le dynamisme du vivre ensemble. Dans ces conditions, face
à la peine des traditionnels fondements de l'état-nation comment
ne pas envisager la piste du droit électoral dans la réanimation
du vouloir vivre ensemble camerounais ?
De tout évidence, le droit électoral tel
qu'envisagé aujourd'hui dans l'État, regorge une
potentialité certaine mais attendue.
B À Les prouesses du droit électoral dans
la construction de la nation
Le doit électoral camerounais n'a cessé de
s'enrichir de la sève nourricière des valeurs internationales
depuis la période dite des « transitions politiques ».
Même s'il peine encore aujourd'hui à faire l'unanimité ou
tout au moins à marquer un niveau d'accord satisfaisant au sein de la
classe politique, un travail de fond est néanmoins en train d'être
abattu. Ce travail qui se situe entre autres dans la logique de la recherche
d'un compris autour des règles électorales a-t-il pris un
tournant décisif au lendemain de la ratification de la CADEG. En tout
cas, il nous semble que tous les regards sont désormais portés
sur ce droit quant à la pertinence d'une plus-value dans le laborieux
chantier de l'état-nation, tâche à laquelle les instruments
traditionnellement admis ont, en toute vraisemblance, montré leur
limite.
Pour autant que cet apport soit encore rangé au
musée des probabilités eu égard à sa quête de
légitimation, le droit électoral se donne pour ambition de
célébrer à l'hôtel de la diversité
l'unité de la nation et de la société politique. Au risque
donc de muer cette attente à de vains espoirs, la hardiesse doctrinale
préconise qu'un « consensus politique »181 soit
formulé autour des règles du jeu politique, auquel cas il
faudrait à l'inverse se remettre au hasard du « miracle ». De
toute évidence selon ETEKOU, ce consensus impliquerait au stade ultime
de la construction de la communauté, des choix politiques fondés
sur l'adhésion et la faveur des acteurs politiques et civils de la
société182. Le droit électoral qu'il s'agit
donc d'analyser dans cette perspective serait un excellent instrument de
cohésion sociale, à condition que ses promoteurs et notamment
étatiques soient capable d'y ajouter une dose suffisante de
légitimité acquise au terme d'une « négociation
politique » avec les acteurs de l'opposition. Une telle
180 Réflexions opérées par JEAN RIVERO sur
le « Consensus et légitimité », op.cit.
181 Lire ETEKOU (Bédi Yves Stanislas), Thèse,
op.cit.
182 ETEKOU (Bédi Yves Stanislas), Thèse, op.cit.,
p.47.
![](Le-consensus-en-droit-electoral-camerounais58.png)
50
Le consensus en droit électoral camerounais
entreprise s'avère impérieuse pour faire du
droit électoral la lanterne du vouloir vivre ensemble dans une
société camerounaise étrillée par des divergences
multiformes. Au mieux, ce droit, s'il est produit dans des conditions propres
à promouvoir les valeurs de la société politique dans
toute sa diversité, pourra sans difficulté transcender les
clivages idéologiques qui minent l'unité nationale.
![](Le-consensus-en-droit-electoral-camerounais59.png)
51
Le consensus en droit électoral camerounais
CONCLUSION CHAPITRE 2
Nous avons entrepris dans ce chapitre qui s'achève de
réfléchir sur la confirmation significative dont le consensus
fait l'objet en droit électoral.
Cette quête a mis de mettre en évidence des
éléments juridiques caractéristiques, lesquels attestent
de l'inscription du consensus au boulevard du processus électoral. De ce
fait, si le consensus de trouve désormais justifier sur le terrain du
droit électoral, sa reconnaissance comme fondement de ce droit
particulier révèle la volonté du constituant camerounais
à redéfinir les contours de la politique électorale. Le
droit électoral consensuel, du moins envisagé d'un point de vue
théorique tend à se positionner alors comme un instrument
incontournable dans l'édification et la consolidation de la
démocratie en générale et électorale en
particulier. Aussi se propose-t-il dans une perspective plus grande de
réanimer le vouloir-vivre ensemble des peuples qui se trouve
particulièrement en sursis au Cameroun.
![](Le-consensus-en-droit-electoral-camerounais60.png)
52
Le consensus en droit électoral camerounais
CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE
Au terme de la réflexion opérer dans cette
partie qui portait sur la construction certaine du consensus en droit
électoral camerounais, nous avons entrepris restituer dans l'ordre
théorique la noblesse d'une idée qui, tant bien que mal s'est
imposée comme une exigence normative dans la construction
démocratique d'une société politique enquête de
légitimité. La Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance qui a permis de planter ce décor
devait définitivement engager les États d'Afrique noire
francophone et particulièrement ceux réunis au sein de l'UA dans
le chantier d'une démocratie ancrée des valeurs de
l'international.
Le Cameroun, site principal à partir duquel s'est
structuré notre analyse nous a permis de faire valoir dans un premier
temps que l'émergence de l'idée de consensus dans la
matière électorale a été rendue possible à
la conjugaison des dynamiques externe et interne. Dans cette trajectoire, ces
dynamiques souterraines devaient-elles préparer en seconde articulation
la confirmation significative du consensus dans le champ normatif des
élections. Aussi a-t-il fallu sur ce dernier point mettre en
lumière des marques distinctives pour lever le doute sur la pertinence
juridique de cette valeur qui se trouve désormais
célébré au plus haut niveau de l'architecture juridique de
l'État.
Toutefois, si l'effectivité du consensus se
conçoit aisément sous l'angle théorique, sa mise en oeuvre
révèle d'étranges résistances. C'est que le
consensus, valeur constitutionnelle confirmée, reste encore
confinée dans les belles lettres de la constitution. De la sorte
lorsqu'il ne tombe pas dans l'oubli d'une attente messianique du décret
d'application, il est tout simplement laissé à la merci des
mécanismes complexes qui, en dernière analyse le range
définitivement au rayon « des voeux pieux ».
![](Le-consensus-en-droit-electoral-camerounais61.png)
53
Le consensus en droit électoral camerounais
PARTIE II :
LA MISE EN OEUVRE INCERTAINE DU CONSENSUS EN DROIT
ÉLECTORAL
Le consensus en droit électoral camerounais
Dans un ordre électoral qui se réclame
démocratique, l'élaboration du cadre juridique183 des
élections doit être une préoccupation majeure pour une
Nation en pleine construction. Il est donc dans l'intérêt des
acteurs politiques actants ou non de s'assurer que les règles encadrant
la compétition électorale, ainsi que la façon dont elles
sont appliquées, garantissent que de véritables élections
démocratiques aient lieu184. Dès lors il se forme au
sein de ces sociétés politiques une certaine sacralisation de la
fonction du droit électoral, qu'on a d'ailleurs vite fait de
considérer comme un ensemble normatif différent des
autres185, qui plus est, à lui seul une constitution pour
reprendre ROYER-COLLARD186.
Vu le contexte de construction démocratique et de
renforcement du lien social auquel le Cameroun et plus globalement l'Afrique
noire s'emploi depuis quelque temps, on peut être surpris de la
méthodologie juridique adoptée pour assurer l'effectivité
du consensus dans le processus de création des règles
électorales. En effet, l'analyse des mécanismes usités
pour produire le droit électoral révèle certaines
indiscrétions à la fois techniques et politiciennes qui entravent
considérablement le cours de la mise en oeuvre du consensus. La
combinaison de ces deux paramètres permet-elle de comprendre toute
l'ambiguïté du mécanisme d'implémentation du
consensus (Chapitre1), laquelle occasionne une incertitude sur sa
continuité (Chapitre 2).
![](Le-consensus-en-droit-electoral-camerounais62.png)
54
183 Selon le RESEAU DU SAVOIR ELECTORAL ACE, le terme cadre
juridique pris sous l'angle électoral s'entend à un double sens
large et technique. Respectivement, il réfère d'une part à
l'« ensemble des règles constitutionnelles,
législatives, réglementaires, jurisprudentielles et
managériales qui, ensemble, établissent les droits relatifs au
vote utilisés par les citoyens pour l'élection des
représentants ». Et comme « un groupement de
techniques procédurales », d'autre part. P.8.
184 RESEAU DU SAVOIR ELECTORAL ACE, Cadre juridique,
op.cit., p.8.
185 OLINGA (Alain Didier), « Politique et droit
électoral au Cameroun (...) », op.cit., p.37.
186 Cité par OLINGA (Alain Didier), « Politique
et droit électoral au Cameroun (...) », op.cit., Ibid.
Le consensus en droit électoral camerounais
![](Le-consensus-en-droit-electoral-camerounais63.png)
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