CHAPITRE 4 : LES EFFETS DE REALITE DU MONITORING DES
ELECTIONS PRESIDENTIELLES
« L'un des fondements de l'observation
électorale repose sur l'engagement de la communauté nationale et
internationale à oeuvrer pour la promotion et la sauvegarde de la
démocratie, des droits de l'homme et de la justice de par le monde.
»287
La dynamique des missions de monitoring des élections
présidentielles a peu transformé le mode de fonctionnement des
régimes politiques dans les Etats ou elles se sont
déployées. Elle a nécessairement donné
matière à de nombreuses interventions ainsi qu'à
d'innombrables réflexions autant au Cameroun qu'ailleurs et parfois au
sein même de ces missions288.
L'analyse des effets de réalité du monitoring de
ces missions, dans le cadre des élections présidentielles
reviendrait un tant soit peu à s'interroger sur les mérites et
les limites de ces nouveaux acteurs sur le processus de démocratisation
en Afrique en général et au Cameroun en particulier, depuis le
retour du multipartisme dans notre pays depuis les années
90289.
S'il est vrai que l'exercice n'est pas aisé au regard
de la force des déterminismes culturels, et parfois des fluctuations
existantes d'un scrutin à un autre, et pour des besoins de logique
méthodologique, nous avons choisi d'analyser successivement les
mérites (Section 1) et les limites (Section 2) des missions de
monitoring des élections présidentielles.
SECTION 1 : LES MERITES DES MISSIONS DE MONITORING DES
ELECTIONS : ENTRE AMELIORATION DU PROCESSUS ELECTORAL ET STABILITE
SOCIOPOLITIQUE
Il y a incontestablement des mérites au
déploiement des missions de monitoring des élections en
général et, qui plus est, des élections
présidentielles parce que portées par un ensemble de principes et
valeurs propres et parce que conduites quelquefois avec une certaine
lucidité dans un contexte où la différence de vue est
désormais de plus en plus souvent perçue comme une faiblesse
devant la tendance à l'uniformisation universelle de ce que certain ont
par moment traduit idéalement par la formule de «
communauté mondiale »290. Les
mérites du déploiement de ces missions se fondent dès lors
autant sur cette capacité de singularisation que sur cette adaptation
constante à un monde devenu plus complexe et surtout face aux Etats et
à des peuples eux-mêmes en quête de repères
idéologiques, politiques et culturels et en pleine reconstruction de
leur histoire et de leurs positionnements dans une mondialisation dans laquelle
ils sont, à quelques exceptions près, moins mondialisateurs que
mondialisés291. Ces mérites peuvent
dès lors être classés en deux catégories, à
savoir : les mérites de fond (Paragraphe 1) et les mérites de
forme (Paragraphe 2).
287 Crochetet, (M), Op.cit., p.48.
288 Monney Mouandjo, (S), Op. cit., p. 197.
289 Idem.
290Kissinger, (H), La nouvelle puissance
américaine, Paris, Fayard, 2003, p. 223.
291 Hugon, (P), Géopolitique de l'Afrique,
Paris Armand Colin, 2006, p.30 ; voir aussi Bourgi, (A) et Colin, (P.J),
L'organisation internationale de La Francophonie : un instrument pour
l'expansion de la démocratie, Questions internationales n°
22.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
Paragraphe 1 : Les mérites de fond des missions de
monitoring des élections présidentielles
Au fond, le déploiement des missions de monitoring des
élections présidentielles s'appuie sur deux axes majeurs dont la
consécration et les constants rappels constituent les
éléments déterminants. Il s'agit notamment de la
consécration de l'indissociabilité prescrite par les instruments
internationaux et nationaux en matière de démocratie et
d'élections (A), matérialisée par une lente mais
déterminante conversion de la majeure partie des Etats aux valeurs
démocratiques (B).
A. La consécration du principe de
l'indissociabilité de la démocratie par les instruments
internationaux et nationaux et l'évaluation des organes de gestion de
l'organisation et de la conduite des élections
Il faut dire que dans le cadre des missions de monitoring des
élections de l'OIF et ce, depuis les sommets de Chaillot et de Maurice,
il s'est opéré au sein de l'organisation francophone de
réelles mutations institutionnelles ainsi qu'une incontestable mutation
dans la philosophie même des Etats francophones en général
et du Cameroun en particulier. On peut d'ailleurs et à juste titre
convenir avec Albert Bourgi, en soutenant notamment que parmi les nombreuses
institutions qui, depuis 1989, se sont attachées à permettre la
généralisation de la démocratie à travers le monde,
la Francophonie occupe une place de choix en élevant au plus haut niveau
le débat « interdisant tout retour en arrière
»292.
Bien plus, poursuit Albert Bourgi, « par leur
Déclaration de Bamako, en date du 3 novembre 2000 les gouvernements des
pays ayant le français en partage ont affirmé que «
Francophonie et démocratie sont indissociables» et qu'il ne saurait
y avoir approfondissement du projet francophone sans une progression constante
vers la démocratie et son incarnation dans les faits
»293. Ces seules affirmations témoignent
de la volonté du Cameroun à s'inscrire dans une dynamique
nouvelle fondée à la fois sur l'affirmation des principes
textuels sur la base de la Déclaration sus-citée et sur la
volonté de traduire ces principes dans les
faits294.
En effet, c'est cette Déclaration qui donne un sens
nouveau et une portée novatrice au projet démocratique
francophone, en ce qu'elle ne nie pas la complexité de la tâche,
pas plus qu'elle n'en minimise les difficultés des enjeux. Mais bien au
contraire, elle assume cette complexité tout en affirmant les valeurs de
l'OIF. Et ce sont ces principes et exigences que reprend la loi n° 2011/02
du 6 mai 2011 fixant les conditions d'élections et de suppléance
à la Présidence de la République, qui organisait ainsi
l'élection présidentielle du 09 octobre 2011.
Le principe de l'indissociabilité entre les textes
internationaux et nationaux en matière de démocratie et
d'élections, au regard du déploiement des missions de monitoring
des élections présidentielles, reste néanmoins
limitée dans la mesure où ce principe reste autant qu'un
principe. Tout dépend donc de ce qu'on met derrière
292 Bourgi, (A), L'OIF et les processus électoraux
dans l'espace francophone, 2005, (inédit).
293 Idem.
294 La loi électorale camerounaise a connu à
chaque scrutin des améliorations, bien que cela soit perçu par
l'ensemble des acteurs politiques comme une manoeuvre du pouvoir en place de
conserver le pouvoir en façonnant la loi électorale en sa faveur.
Depuis 1992, la loi organisant l'élection du président de la
république a subi plusieurs modifications, en notamment trois au
total.
72
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
chaque notion295. Car si on peut se
féliciter de cette affirmation, il faut néanmoins relever que la
théorie même du déploiement des missions de monitoring des
élections présidentielles vient atténuer en quelque sorte
l'optimisme qu'aurait pu susciter la notion d'indissociabilité
formulée par la Déclaration. S'il est en effet vrai que les
élections permettent dans bien de cas de sortir des situations de
belligérance comme ce fut encore le cas récemment au Congo
démocratique, force est de reconnaître que ces
éléments de sortie de crise ne se font pas seulement sur la base
de ce principe dit démocratique296.
D'autres paramètres entrent nécessairement en
ligne de compte et parmi eux de longues négociations comme lors des
élections sénatoriales du 14 avril 2013, avec l'appel du parti au
pouvoir, recalé dans l'Adamaoua à ses grands électeurs de
voter pour le SDF ou encore le cas en juillet 2007 en Côte d'Ivoire
où l'ex rébellion menée par Guillaume Soro a réussi
à sceller un accord de paix avec son ex-rival Laurent
Gbagbo297.
Plus encore cette reconnaissance ouvre les mérites du
déploiement des missions de monitoring des élections
présidentielles au plan formel et notamment à travers une lente
mais déterminante émergence des valeurs démocratiques dans
les pays de l'organisation francophone. Il faut d'emblée relever que le
respect des règles de conduite d'une élection constitue un
impératif. L'évaluation des règles en vigueur permet de
porter un jugement sur la qualité du scrutin en général et
notamment sur la qualité des institutions, des règles ainsi que
de leur degré de neutralité et de leur
objectivité298. L'évaluation des
institutions chargées de l'organisation et de la conduite des
élections fait donc partie des priorités des missions de
monitoring des élections. Cette évaluation des organes de gestion
des élections peuvent à elles seules suffire à juger de la
liberté et la transparence d'une élection présidentielle.
En 1992 par exemple, lors de l'élection présidentielle
anticipée du 11 octobre, le NDI ainsi que l'ensemble des acteurs et des
parties prenantes à cette élection estimaient que le MINAT
roulait pour le candidat du parti au pouvoir, et jugeait qu'il fallait que
cette administration soit exclue de l'organisation et de la gestion des
élections299. Comme l'a aussi relevé l'ONG 1MA, une
organisation des élections autour du MINATD est de nature à
entraver le fonctionnement régulier de la démocratie parce que
peu propice à une consultation électorale
fiable300.
Pareille observation démontre en effet la rigueur du
monitoring qu'aucun élément ne doit être pris à la
légère. Tous contribuent à l'observation et sont objet
d'observation et d'évaluation. Car, une institution trop puissante peut
effectivement donner lieu à des élections biaisées, de
même qu'une loi léonine peut difficilement
295 Monney Mouandjo, (S), Op.cit.,p. 357.
296 Idem.
297 Konadje, (J-J), L'intervention de l'ONU dans la
résolution du conflit intraétatique ivoirien, Thèse
de Doctorat en Science Politique, Université de Toulouse, 2010, pp.
94-96. L'on peut aussi voir les cas de la République Centrafricaine en
2005 et la Mauritanie où le scrutin de 2007 a été
présenté par nombre d'observateurs comme l'un des plus brillants
succès démocratiques de ces dernières années, comme
en témoigne la note de l'organisation non gouvernementale, Article XIX
qui, dans un communiqué de presse en date du 12 mars 2007, indique que :
« Article 19 se félicite de la tenue de ce scrutin et invite
les nouvelles autorités qui seront issues des urnes à tout mettre
en oeuvre pour consolider les acquis démocratiques en Mauritanie
».
298 Transparency International Cameroon, Rapport final de
la mission d'observation électorale, élection
présidentielle du 09 octobre 2011, p. 4.
299 Rapport provisoire de la mission d'observateurs
internationaux du NDI, « Election présidentielle anticipée
du 11 octobre 1992 », in Les Droits de l'Homme au
Cameroun. Livre Blanc publié par le gouvernement de la
République du Cameroun, Yaoundé, Editions de l'Imprimerie
Nationale, 1994, p. 249.
300 Un Monde Avenir, Mission d'observation électorale
de la présidentielle du 9 octobre 2011, rapport national d'analyse.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
être considérée comme démocratique,
d'où la nécessité de la mise en place des institutions
fiables pour la construction d'une culture des principes démocratiques
et l'observation des instruments juridiques électoraux.
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