B. L'émergence d'un principe de
légitimité démocratique
Si l'on peut, sans grandes difficultés, cerner ce
qu'est l'autonomie constitutionnelle des États, il apparaît plus
difficile de donner une définition précise de
légitimité démocratique. Pour cause, l'état des
relations internationales a mis entre parenthèses, a refoulé une
contradiction inhérente au droit international contemporain qui
éclate aujourd'hui au grand jour, à la faveur de la
transformation de l'ordre politique international. Elle oppose le principe de
souveraineté des Etats et son implication majeure, le principe de
l'autonomie constitutionnelle des Etats, aux droits de l'homme et au droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes283. Il est donc clair
aujourd'hui que la forme de gouvernement des membres de la communauté
internationale que sont les États-Nations est devenue, dans une mesure
croissante, un élément majeur de l'agenda politique
international284.
La légitimité démocratique est de nature
politique, contenu d'une doctrine politique ou encore un principe de relations
internationales ou de politique extérieure de certains Etats. Elle peut
aussi être consacrée par le droit, auquel cas, elle est le contenu
d'une norme qui élève la valeur au rang d'obligation juridique.
Et si elle est consacrée par le droit international, elle peut
être le contenu d'une norme régionale ou universelle. La
consécration du principe de légitimité
démocratique, même si elle n'est pas universelle, a suivi une
évolution et se justifie assez largement. A titre illustratif, on peut
citer un certain nombre de conventions internationales ou régionales qui
mettent en exergue l'exigence démocratique comme condition sine qua
non de l'application desdites conventions ou accords à l'image de
la Convention ACP/UE signée le 23 juin 2000 à Cotonou
(Bénin) avec à l'appui la « conditionnalité
démocratique » de l'aide au développement si chère
à l'UE, appliquée, de façon discutable, par le Fonds
monétaire international ou la Banque mondiale285.
Cette vision de la scène internationale emporte
l'assentiment de Hubert Thierry lorsqu'il écrit en 1997 que le principe
de l'égale légitimité des régimes politiques,
envisagé comme un corollaire de la souveraineté tend à
céder le pas à un principe de légitimité
démocratique, soit que les États affaiblis dans le tiers Monde et
à l'Est :
283 La notion de « domaine réservé »
est une notion directement fondée sur le droit international et la
souveraineté étatique et demeure un concept juridique et non
politique. A l'origine, la thèse dominante sur la notion comprenait les
matières se rattachant à la vie « intime », «
domestique » selon la terminologie anglo-saxonne de l'Etat. En
particulier, toutes les questions liées à son régime
politique ou à la législation sur l'octroi de la
nationalité. Cette thèse du « domaine réservé
» par nature sera battue en brèche par une approche traditionnelle
qui s'est révélée par le truchement du Traité
francoanglais du 14 octobre 1903, la Convention I de La Haye. Cette approche
sera confirmée par l'article 15 § 8 du Pacte de la
Société des Nations (SDN) et par l'article 2 §7 de la Charte
des Nations Unies. Il ne paraît cependant pas douteux que la protection
des droits fondamentaux de l'individu échappe depuis longtemps au
domaine réservé des États. Il suffit, pour s'en
convaincre, de considérer le nombre et l'importance des instruments
conventionnels consacrés à la question, le développement
sur cette base de règles coutumières sinon même de normes
de jus cogens. (Voir Combacau, (J) et Sur, (S), Droit international
public, 5ème éd., Paris, Montchrestien, p.
254).
284 Jankowitsch, (P), « Suites nationales et
internationales à donner au rapport des observateurs électoraux
», in Colloque de la Laguna, Liberté des élections et
observation internationale des élections, Bruylant, Bruxelles, 1994, p.
259; Gounelle, (M) « La démocratisation, politique publique
internationale », in Mélanges, Thierry, (H),
L'évolution du droit international, Paris, Pedone, 2001, aux pp.
203 et ss.
285 Feuer, (G), « Le nouveau paradigme pour les relations
entre l'UE et les Etats ACP : l'accord de Cotonou du 23 juin 2000 », in
R.G.D.I.P., 2002, p. 269.
68
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
« aient pris conscience de l'échec des
régimes non-démocratiques et du lien entre les exigences du
développement et celle des droits de l'homme, soit qu'ils cèdent
à la pression exercée par les puissances démocratiques.
L'évolution en ce sens est naissante mais de façon plus radicale
le libre choix des modèles (...) des politiques qui apparaissaient,
particulièrement de la souveraineté, cède le pas à
des choix économiques guidés ou imposés par les
dispensateurs d'aides et de concours au Cameroun »286.
A priori difficilement conciliables, souveraineté de
l'État et principe de légitimité démocratique
peuvent toutefois se rencontrer, dès lors que les tenants de la
première et les défenseurs du second ne s'arc-boutent pas sur des
approches maximalistes. Toutefois, les faits démentent cette vision des
rapports souveraineté étatique-principe de
légitimité démocratique.
286 Thierry, (H), «L'État et l'organisation de la
société internationale », in L'État souverain
à l'aube du XXIème siècle. Actes du Colloque de Nancy
: XXVIIe colloque de la Société française pour le droit
international, Paris, Pedone, 1994 p. 146.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
CONCLUSION PARTIELLE
Ce troisième chapitre est capital puisqu'il permet
d'élucider l'investissement politique et l'usage que les acteurs font du
monitoring des élections tant au niveau interne (national) qu'au niveau
externe (international). Les logiques stratégiques de participation de
chacun permettent de comprendre la perception que les acteurs ont du champ
politique et surtout électoral camerounais, et la rationalité
attachée à ces champs en termes de motivations et d'enjeux. Il
apparaît alors que le monitoring des élections
présidentielles est largement fondée sur un dessein
hégémonique de l'Etat dans la gestion des affaires
intérieures d'une part et d'autre part sur la recherche par les autres
acteurs de l'imposition d'un modèle venu d'ailleurs au nom d'une
certaine conditionnalité démocratique au Cameroun.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
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