Paragraphe 2 : La souveraineté étatique et le
principe de légitimité démocratique
L'instauration d'un ordre démocratique international
dont le fleuron majeur demeure le monitoring des élections
présidentielles est-elle universelle ? Au regard du semi-échec
d'une telle lecture, il convient de prendre la teneur du concept de
souveraineté de l'Etat en l'état actuel du droit international
public (A) et du principe de légitimité démocratique
(B).
A. La souveraineté étatique,
qualité de l'Etat
Le principe de non-ingérence, un des corollaires de la
souveraineté de l'Etat, a été le fondement juridique de
l'inertie et de l'indifférence de la communauté internationale.
Il a surtout servi à légitimer une interprétation minimale
d'autres droits internationalement consacrés comme le droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes272.
269 Cf. Documents de l'ambassade des Etats-Unis à
Yaoundé, novembre 1992.
270 Déclaration post-électorale
préliminaire du 14 octobre 1992 et du Rapport provisoire de la Mission
d'Observateurs Internationaux du NDI à l'élection
présidentielle anticipée du 11 octobre 1992.
271 Cf. Fonds pour la Démocratie et les Droits de
l'homme. Documents de 1'ambassade des Etats-Unis à Yaoundé,
1998.
272 Batailler-Demichel, (F), « Droits de l'homme et
droits des peuples dans l'ordre international », in, Le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes. Méthodes d'analyse du droit
international, 1984, Paris, Pedone, pp. 23-34 ; Christakis, (T), Le
droit à l'autodétermination en dehors des situations de
décolonisation, Paris, La Documentation française ;
Aix-en-Provence, Université d'Aix-Marseille III, Centre d'études
et de recherches internationales et communautaires, 1999.
65
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
La combinaison du principe de non-ingérence et du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes avait donné naissance
à un droit, noble dans sa formulation, indiqué dans sa pratique,
à savoir « le droit inaliénable » qu'a tout Etat de
« choisir son système politique, économique, social et
culturel sans aucune forme d'ingérence de la part d'un autre Etat
». A l'occasion de l'élection présidentielle
anticipée du 11
octobre 1992, de nombreux acteurs se sont impliqués dans
ce processus électoral. L'interprétation qui en a
résulté est que chaque Etat détermine
souverainement, discrétionnairement son statut
politique, la forme de son régime et les modalités d'exercice du
pouvoir politique273. Le choix du Cameroun fut
considéré comme une affaire « relevant essentiellement de la
compétence nationale »274 de
chaque Etat, pour reprendre la formule de l'article 2 §7
de la Charte des Nations Unies275. En conséquence, comme le
constate Hector Gros-Espiell :
« à l'organisation constitutionnelle de
l'État, à la forme de gouvernement et au système
d'intégration des pouvoirs de l'État L...] les élections,
en tant que procédé d'intégration des organes
législatif et exécutif prévus par la constitution,
relevaient du seul domaine du droit interne. Le droit de participer aux
élections, d'être électeur et d'être élu,
était une question que chaque pays résolvait exclusivement au
moyen de son système constitutionnel et juridique. Que les
élections aient lieu ou non, qu'elles aient été
ajournées ou non, qu'elles aient été authentiques et
libres, frauduleuses et viciées, voilà qui laissait le droit
international indifférent »276.
L'Assemblée générale de l'ONU, au
paragraphe 5 de sa résolution 2131 du 21
décembre 1965 portant « Déclaration sur
l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures
des États » affirmait que « tout Etat a le droit de
choisir son
système politique, économique, social et
culturel sans aucune forme d'ingérence de la part de n'importe quel Etat
». Le scrutin présidentiel du 11 octobre 1992 a
été une illustration parfaite de ce principe de
l'inadmissibilité de l'intervention des
puissances occidentales et des organisations internationales
dans le processus de démocratisation du Cameroun.
La Cour internationale de justice, dans son arrêt du 27
juin 1986 sur l'Affaire des activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua, a reconnu valeur coutumière à un tel principe et
considéré que « l'intervention interdite doit donc
porter sur des
matières à propos desquelles le principe de
souveraineté des Etats permet à chacun de se décider
librement », et la Cour d'ajouter qu'il en est ainsi du choix du
système
politique, économique, social et culturel : «
les orientations politiques internes d'un Etat relèvent de la
compétence exclusive de celui-ci (...). Chaque État
possède le droit fondamental de choisir et de mettre en oeuvre comme il
l'entend son système politique, économique et social (...)
». L'élection présidentielle anticipée du 11
octobre
1992, était justement l'occasion pour le Cameroun
d'expérimenter ce choix après plusieurs années de
régime de parti unique277. Conclure autrement reviendrait
à
273 Ebolo, (M. D), « Art. cit.», pp. 51-56.
274 Idem.
275 Feuer, (G), « Nations Unies et démocratie »,
in Librairie générale de droit et de jurisprudence,
1977, p. 1073.
276 Gros-Espiell, (H), « Liberté des
élections et observation internationale des élections. Rapport
général», dans Colloque de la Laguna, Liberté
des élections et observation internationale des élections,
Bruylant, Bruxelles, 1994, p 79. Toutefois, on peut signaler des interventions
unilatérales de certaines puissances occidentales dans les affaires
intérieures d'un autre État. De telles interventions peuvent se
fonder sur des irrégularités électorales.
277 Lire Talla, (B-P) « Les principes de l'alternance
» in Jeune Afrique Economie, n° 165, mars 1993, p. 3 ; Voir
aussi Monga, (C), «L'indice de Démocratisation: Comment
déchiffrer le nouvel aide-mémoire de l'autoritarisme», in
Afrique 2000, n° 22, juillet-septembre 1995, p. 63.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
priver de son sens le principe fondamental de la
souveraineté des Etats sur lequel repose tout le droit international et
la liberté qu'un État a de choisir son système politique,
social et culturel278.
Ainsi, la liberté du choix du système politique
est consacrée. Il s'agit d'une liberté reconnue au Cameroun, et
non plus vraiment aux « citoyens ». De ce fait, le droit
international n'a pas consacré un droit de l'homme au choix du
système politique et des gouvernants de son pays, c'est-à-dire le
droit d'élire, d'être élu et d'être consulté
directement sur les grands choix de société ; ou du moins les
instruments internationaux qui l'ont prévu l'ont fait de manière
si insuffisante et timide qu'il n'en a pas résulté de
conséquences pratiques. Le principe d'autonomie constitutionnelle et
d'indifférence du droit international vis-à-vis de la forme
interne de gouvernement a ainsi, de manière générale,
étouffé l'aspect interne de l'autodétermination, le «
voile de la souveraineté » n'étant levé que pour des
cas particuliers. A titre illustratif, nous évoquerons la question de
l'Espagne franquiste qui, en 1946, a fait couler beaucoup d'encre au sein de
l'hémicycle onusien. Les débats ont révélé
deux tendances parmi les délégués des États
participant aux débats. La première tendance était
favorable à la non-admission de l'Espagne à l'ONU, du fait de la
nature de son régime politique (dictature militaire du
Général Franco), qui menaçait la paix et la
sécurité internationales. En effet, selon l'avis du
délégué de la Tchécoslovaquie, la présence
de l'Espagne à l'ONU était de nature à contrarier les
desseins de la construction d'une société internationale
fondée sur les bases « d'un ordre mondial démocratique et
juste ». Une telle prise de position ne serait pas contraire au principe
de non-intervention279. La seconde tendance, qui influencera la
position officielle de l'ONU, comptait parmi ses ténors le
délégué colombien. Ce dernier arguait qu'il n'était
pas envisageable d'accepter l'idée que la création d'un
gouvernement et sa forme ne soient plus une affaire exclusivement de la
compétence nationale de chaque État tel que le prévoit le
§ 7 de l'article 2 de la Charte de l'ONU280.
Cette constance de la communauté internationale
était résumée ainsi en 1974 par Charles Chaumont : «
il n'y a pas de légalité internationale des gouvernants : il
n'y a qu'une légalité interne que les États
étrangers n'ont pas le droit de contrôler
»281. Néanmoins, il n'est pas exclu, comme le
souligne Jean Combacau la même année, que l'organisation
internationale tient compte de tous les indices qui peuvent lui permettre de se
faire une opinion sur tous ces points. Le caractère non
démocratique d'un gouvernement pourrait être invoqué
à ce titre, si les Nations unies considéraient en fonction de
l'idéologie politique dominante que les obligations de la Charte sont
trop contraires aux exigences d'un régime non démocratique pour
qu'on puisse raisonnablement présumer qu'il accepte sincèrement
de s'y conformer282.
278 Affaires des activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua, supra note 1 à la p. 133: « la seule
dérogation reconnue à la règle concerne les régimes
nazis et racistes, autrement dit, « toutes les idéologies et
pratiques totalitaires ou autres, en particulier, nazies, fascistes,
néo-fascistes fondées sur l'exclusivisme ou l'intolérance
raciale ou ethnique, la haine, la terreur, le déni systématique
des droits de l'homme et des libertés fondamentales » ; Caroline
Lang, L'affaire Nicaragua c. États-Unis devant la CIJ, Paris, Librairie
générale de droit et jurisprudence, 1990; Eisenmann, (P-M),
« L'arrêt de la CIJ du 27 juin 1986 dans l'affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
», 1986, 32 A.F.D.I., pp. 153.
279 Doc. Off. AG NU, 1ère session,
séances plénière, 10 janvier au 4 février 1946, p.
352.
280 Doc. Off. AG NU, 1ère session,
58ème séance plénière, 23 octobre au16
décembre 1946, p. 1182.
281 Chaumont, (C), Le consentement à
l'ingérence militaire dans les conflits internes, Paris, Librairie
générale de droit et de jurisprudence, 1974, p. 176.
282 Combacau, (J), Le pouvoir de sanction de l'ONU. Etude
théorique de la coercition non militaire, Paris, Pedone, 1974, pp.
176 et ss; Burdeau, (G), « Régime politique et
communauté internationale », (1953), R.G.D.I.P. p. 528.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
Outre la définition de la souveraineté
étatique, il convient de s'intéresser au principe de
légitimité démocratique.
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