B. Le recours au monitoring des élections comme
mesures non-coercitives pour l'établissement de la démocratie :
cas de l'élection présidentielle de 1992
L' « euphorie démocratique » s'inscrit dans
un contexte marqué du sceau de la mondialisation de
l'hégémonie occidentale et de l'extraversion des acteurs du jeu
politique local266. Centre du système international dont
elles ont organisé la mondialisation, les sociétés
d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord semblent occuper une
même position de pouvoir et sont réunies par une même
grammaire politique à prétention universaliste : la
démocratie représentative267. C'est cette
prétention à l'universalité démocratique qui
justifierait l'action des organisations internationales et les puissances.
Ainsi, afin de mieux cerner les différents contours de cette offensive
dans le processus de démocratisation camerounais, il est opportun, de
prime abord, d'en analyser le contexte.
Trois faits majeurs sont révélateurs du
caractère non équivoque de l'engagement du gouvernement
américain en faveur du changement démocratique au Cameroun.
D'abord, les Communiqués de Presse et/ou les
Déclarations du Département d'Etat sur le processus de
démocratisation camerounais qui, de toute évidence, font partie
des leviers par excellence de la pression américaine sur le pouvoir, en
même temps qu'ils constituent un soutien psychologique indéniable
aux organisations partisanes oppositionnelles et /ou à la «
société civile ». Ainsi, faisant suite à la
proclamation des résultats des élections présidentielles
du 11 octobre 1992 et à la décision du pouvoir de
décréter l'état d'urgence dans la Province du Nord-ouest,
la déclaration du 13 novembre 1992 du porte-parole du Département
d'Etat, monsieur Richard Boucher, critique, non sans véhémence,
le recours à l'intimidation de la part du gouvernement camerounais
après l'« élection présidentielle anticipée du
11 octobre entachées de sérieuses irrégularités
»268. Quant au communiqué de presse du 22 novembre 1994
dont la quintessence et la réaction camerounaise ont judicieusement
été examinées dans une étude non lointaine, il
intimait l'ordre au pouvoir d'initier un processus transparent et de mettre fin
au harcèlement et à la détention des journalistes. Par
ailleurs, le communiqué du 31 août 1995, du porte-parole du
Département d'Etat, monsieur Nicolas Burns, reprend en quelque sorte
l'argumentaire du précédent sur l'urgence de la
libéralisation de la presse tout en exhortant le pouvoir à
promouvoir la démocratie : « le gouvernement des Etats-Unis
nombre et l'importance des instruments conventionnels
consacrés à la question, le développement sur cette base
de règles coutumières sinon même de normes de jus
cogens.
266 Sindjoun, (L), Construction et déconstruction
locales de l'ordre politique au Cameroun. La Sociogénèse de
l'Etat, Thèse de Doctorat d'Etat en Science Politique,
Université de Yaoundé II, F.S.J.P, Année académique
1993-1994, p. 134.
267 Ebolo, (M.D), La dynamique de paix en Afrique
Centrale, Mémoire de Maîtrise en Science Politique,
Université de Yaoundé, F.D.S.E, septembre 1989.
268 Déclaration post-électorale
préliminaire du 14 octobre 1992 et du Rapport provisoire de la Mission
d'Observateurs Internationaux du NDI à l'élection
présidentielle anticipée du 11 octobre 1992.
63
64
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
exhorte le gouvernement du Cameroun à abandonner les
pratiques qui limitent la liberté d'expression, et à adopter des
mécanismes administratifs qui édifieront la confiance
générale dans l'attachement du Gouvernement camerounais à
la démocratie »269.
Ensuite, les Rapports annuels du Département d'Etat sur
les Droits de l'homme au Cameroun : ils sont la résultante d'une
décision du congrès, en 1974, qui demanda au Département
d'Etat de produire un rapport annuel en la matière sur chaque pays dans
le monde. Longtemps resté sans échos et sacrifié à
l'autel de la « real politik », le contenu de ces rapports a
désormais un impact sur la politique étrangère des
Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide. Des quatre rapports (1993, 1994,
1995, 1996) que nous avons pu examiner, apparaît clairement une
perception négative du processus de démocratisation camerounais.
En guise d'introduction à tous ces rapports, se profile une phrase
identique : « République multipartite seulement de nom, le
Cameroun continue à être gouverné en réalité
par le Président Biya et son cercle de conseillers, issus principalement
de son groupe ethnique et son parti, le Rassemblement démocratique du
peuple camerounais (RDPC) »270.
Enfin, parallèlement à ces actions visant
à infléchir la position du pouvoir, existe un Fonds pour la
démocratie et les droits de l'homme destiné à soutenir la
"société civile" et les institutions démocratiques. Le
montant des subventions allouées par ce fonds peut atteindre la somme de
25.000 dollars US271. Placé directement sous
l'autorité de l'ambassadeur, ce fonds, qui a déjà
financé plusieurs projets, dénote de l'importance accordée
par cette puissance à l'émancipation de la «
société civile », passage obligé de l'enracinement de
l'Etat de droit démocratique.
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