SECTION 2 : LES USAGES EXTERNES DU MONITORING DES
ELECTIONS PRESIDENTIELLES
A priori difficilement conciliables, souveraineté de
l'État et principe de légitimité démocratique
peuvent toutefois se rencontrer, dès lors que les tenants de la
première et les défenseurs du second ne s'accotent pas sur des
approches maximalistes. Toutefois, le monitoring des élections comme
astuce de promotion de la démocratie par la communauté
internationale (Paragraphe 1), et à l'intégration du monitoring
des élections dans le dispositif global de sécurité
collective (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le monitoring des élections comme
astuce de promotion de la démocratie par la communauté
internationale
Il n'y a pas atteinte à la souveraineté
étatique de l'État lorsque les limitations à sa
souveraineté résultent de son libre consentement. Toutefois, on
peut se demander si une telle conciliation iréniste259 ne
cacherait pas une bien pénible réalité (A). Ainsi,
à défaut d'une réelle volonté politique des Etats
visant à pérenniser le principe de légitimité
démocratique, il est nécessaire le recours au monitoring des
élections comme mesures non-coercitives pour l'établissement de
la démocratie (B).
A. Une incompatibilité dans les faits : cas de
l'élection présidentielle de 1992
Quel que soit son contenu, le monitoring des élections
présidentielles, fleuron majeur du principe de légitimité
démocratique, n'est pas contraire à la souveraineté
étatique si son contenu concret est accepté volontairement
suivant même des pressions venant de la communauté internationale
ou conventionnellement de l'État260. Aussi, le monitoring des
élections, à travers des accords de paix, consécutifs
à des conflits armés ou à des crises politiques, voire
dans le cadre d'appui aux pays en transition démocratique,
apparaît-elle compatible avec la souveraineté étatique
255 Mbah Philipe, Issa Tchiroma Bakary, Me Bobbo Hayatou.
256 Eyebe Ayissi, Gwanmessia.
257 Le chef Ngompe et Victor Ayissi Mvondo.
258 Représentants des pouvoirs publics, des partis
politiques et les personnalités indépendantes.
259 Nous empruntons cette expression à Dodzi Kokoroko,
« Souveraineté étatique et principe de
légitimité démocratique », Revue
québécoise de droit international, 2003, p. 45.
260 Il faut ce soit le Cameroun qui invite les OIG à
s'impliquer dans le monitoring des élections et qui accrédite les
OSC.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
puisque étant expressément prévue ou
consacrée, voire consentie. Ainsi, plutôt que de
l'appréhender comme un abandon de la souveraineté
étatique, serait-il nécessaire de la considérer comme une
restriction volontaire de la souveraineté261? Dans ces cas de
figure précités, il y a bien conciliation entre
souveraineté étatique et principe de légitimité
démocratique.
En effet, l'intervention de la communauté
internationale dans le monitoring des élections se fait à la
demande de l'État directement concerné, une façon de
montrer qu'il dispose d'un instrument lui permettant de
choisir et non d'ouvrir au regard extérieur un aspect de ses affaires
intérieures. Elle doit être ainsi analysée comme une
limitation volontaire de sa souveraineté par
l'État262. À ce propos, Jean
Combacau écrit que :
« le droit international n'est pour chaque Etat que
la somme de ces limitations de sa liberté légale primitive.
Partout où il l'a laissé intervenir, il a consenti à voir
les autres Etats s'intéresser licitement à son comportement,
même le plus intime en apparence, dès lors qu'un Etat s'est
engagé internationalement envers un ou plusieurs autres fût-ce sur
un objet aussi interne que le traitement de ses propres sujets sur son propre
territoire ou l'organisation de ses pouvoirs publics constitutionnels, ses
partenaires sont aussi parfaitement fondés à lui demander des
comptes sur la façon dont il s'en acquitte qu'il l'est de son
côté dans ses relations avec eux : rien dans ses regards
réciproques ne heurte la souveraineté
»263.
Le monitoring des élections présidentielles ne
saurait donc être analysé comme une contradiction à
l'article 2 §7 de la Charte des Nations unies ou une
ingérence démocratique264, puisque
d'ailleurs les diverses résolutions onusiennes visant l'affermissement
du principe d'élections libres et démocratiques insistent toutes
sur le respect à accorder à la souveraineté de
l'État. Ces résolutions
réaffirment, par ailleurs, que les processus
électoraux ressortissent aux affaires relevant exclusivement de la
compétence interne des Etats et constituent l'expression
de la souveraineté politique de ces derniers ;
même si cette volonté politique doit être analysée
comme une protection de l'individu et non de l'Etat, afin d'assurer la garantie
de l'autodétermination interne des peuples à laquelle les Etats
se sont engagés à travers de nombreux instruments
internationaux265. Toutefois, au-delà du
261Les critiques les plus véhémentes
adressées jusqu'ici à l'observation internationale des
élections se fondent sur la souveraineté étatique,
fondement du domaine réservé. Or, ce concept est aujourd'hui
marqué d'un caractère évolutif. Ainsi, c'est le droit
international qui détermine l'étendue des compétences
discrétionnaires des États, l'étendue du domaine
réservé dépend de la portée des engagements
internationaux de chaque État et des interventions « autoritaires
» des organisations internationales. En ce sens.
262L'autolimitation prise dans son sens
littéral est le fait de n'obéir qu'à des normes qu'on
s'est soi-même données. Dire de l'État qu'il est autonome
signifie donc que seules sont légalement efficaces à son
égard les règles et les situations de droit à
l'opposabilité desquelles il a consenti. L'exigence du respect du droit
international par les Etats est un des principes limitant leur liberté
d'action dans la mesure où elle garantit les autres corollaires de la
souveraineté. Si c'est en vertu du droit international que l'Etat peut
exercer la plénitude des compétences internationales, ce ne peut
être que dans les limites fixées par le droit international. La
soumission au droit international est inséparable de la
souveraineté.
263 Combacau, (J), « Pas une puissance, une
liberté : la souveraineté internationale de l'État »,
in Pouvoirs, n°67, 1993, p. 52; Dupuy, (P-M), « Situation et
fonctions des normes internationales », in Le devoir
d'ingérence, Paris, Denoël, 1987, p.155 et pp. 158 et ss.
264 De Raulin, (A) «L'action des observateurs
internationaux dans le cadre de l'ONU et de la société
internationale», in R.G.D.I.P., 1995, p. 592.
265 Certains Etats s'offusquent de voir d'autres États
ou Organisations internationales subordonnés à un plus grand
respect des droits de l'homme. Il ne paraît cependant pas douteux que la
protection des droits fondamentaux de l'individu échappe, depuis
longtemps, au domaine réservé des Etats. Il suffit, de
considérer le
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
rôle de l'ONU, des organisations internationales
régionales, des organisations non-gouvernementales et des États
eux-mêmes dans une relative mise au pas de la souveraineté de
l'État et dans la promotion d'un ordre démocratique
international, il reste des obstacles à surmonter, dont certains se
résument en ces nombreuses mesures prises par certains gouvernements au
nom de leur souveraineté étatique afin de corseter le travail des
observateurs internationaux.
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