B. La mise en place d'institutions de plus en plus
fiables, la construction d'une culture des principes démocratiques et le
monitoring des instruments juridiques électoraux
Il faut rappeler que les missions de monitoring des
élections présidentielles ont considérablement
réformé les pratiques politiques et juridiques au Cameroun. L'une
des fiertés majeures reste pour le moment le dessaisissement de
l'organisation des élections au MINATD depuis la création de
l'ONEL en 2000 d'ELECAM en 2006 d'autre part. Les suspicions qui ont toujours
pesé sur le MINATD ont conduit les acteurs politiques camerounais
à remettre en cause cette administration dans la gestion. Cette
récusation du MINATD dans la conduite des processus électoraux en
général a animé la première moitié des
années d'ouverture démocratique au Cameroun. La méfiance
nourrie à l'égard de cette administration est justifiée
par son inféodation par le parti au pouvoir et les forfaitures commises
par cet organe au Cameroun.
L'obligation de rendre compte qui pèse sur lui
s'étend également à ses représentants, dans les
circonscriptions administratives, en charge du pilotage, à la base, du
processus électoral. Ce noyautage de toute la chaîne du processus
électoral et ses démembrements territoriaux par le gouvernement a
été très vite perçu comme un facteur négatif
limitant l'épanouissement du jeu démocratique dans la toute
nouvelle démocratie en construction au Cameroun, à l'occasion de
l'élection présidentielle de 1992. Cette administration a
joué un rôle majeur dans la gestion de ce scrutin, qui a connu une
issue somme toute trouble avec des résultats
différents301. Il n'est nullement de nature à offrir
les traditionnelles garanties minimales de neutralité,
d'impartialité, de transparence et de sincérité dans
l'expression du suffrage et du scrutin du 11 octobre 1992. Or, l'existence d'un
cadre organisationnel crédible permettant un déroulement
harmonieux du processus électoral emportant la confiance et
l'adhésion de tous les protagonistes du jeu électoral à
des règles consensuelles est le gage minimal d'une élection
régulière, transparente, sincère et
loyale302.
La suspicion ou la méfiance qui pèse sur le
Ministère de l'Intérieur n'est pas dénuée de tout
fondement. Ainsi, comme précédemment souligné, l'appareil
étatique en charge de l'organisation des élections a, pendant
longtemps au Cameroun, fait
301 Le résultat proclamé par la Cour
suprême à l'issue du recensement de tous les votes donnait
vainqueur le candidat du parti au pouvoir, alors que les observateurs du NDI
donnaient vainqueur le candidat de l'opposition. Toutefois, il faut souligner
que la Cour suprême relevait que les irrégularités
constatées dans l'organisation de l'élection ne pouvaient pas
entacher le résultat de ce scrutin. Cependant, les observateurs du NDI
mettaient en cause les responsables de l'administration d'avoir manipulé
les résultats en faveur du candidat au pouvoir vu le score et
l'écart entre les deux candidats. Lire à ce sujet NDI,
Déclaration post-électorale préliminaire du 14 octobre
1992 et du Rapport provisoire de la Mission d'Observateurs Internationaux du
NDI à l'élection présidentielle du 28 octobre 1992
pp. 259-263. Lire aussi Déclaration du Pr. Kontchou Kouomegni Augustin,
exemple de malentendu à éviter : réponse du
gouvernement du Cameroun du 30 octobre 1992, pp. 255-256.
302 Le spectacle très peu reluisant de
l'élection présidentielle anticipée du 11octobre 1992 a
poussé les principaux acteurs de la scène politiques camerounaise
à ne pas se présenter à l'élection
présidentielle suivante c'est-à-dire celle du 12 octobre 1997,
étant aussi donné que beaucoup de leurs revendications n'avaient
pas été pris en compte, à savoir, par exemple, la mise sur
pied d'un organe indépendant de gestion du processus
électoral.
74
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
preuve d'imperfections, de fraudes et de partialité. En
effet, la contestation du rôle de l'administration dans la gestion des
élections s'est engagée suite aux irrégularités et
autres fraudes ayant entaché l'élection présidentielle
anticipée du 11 octobre 1992303. Ce sont ces raisons qui ont
poussé les acteurs politiques, dans le cadre du renouveau
démocratique, à engager un dialogue politique pour dessaisir
l'administration, à travers le MINTAD, de l'organisation des
élections en général et présidentielles en
particulier.
Ce dessaisissement partiel304 dans certains cas et
total dans d'autres305 ne s'est pas fait au premier au coup il a
fallu attendre les années 2000 pour voir la mise sur pied de l'ONEL. Si
ce nouvel organe créé pour la gestion des processus
électoraux bénéficie de tous les pouvoirs
nécessaires pour l'accomplissement de sa mission dans le cadre du
dessaisissement total, il ne joue que le rôle de
supervision306. Si nous parlons la construction d'une culture des
principes démocratiques, c'est parce que nous établissons une
distinction entre la culture démocratique qui est intériorisation
et la traduction effective des principes démocratiques dans le
fonctionnement des régimes politiques par une adaptation des instruments
juridiques et des mécanismes politiques au Cameroun307. Les
institutions politiques reflètent cette culture nouvelle et cette
ambition. Plus simplement, l'habillage démocratique existe bel et bien
au Cameroun. Il n'y a qu'à voir la diversité d'opinions,
même si la remise en cause du pouvoir politique reste encore très
partiellement admise par ceux qui exercent le pouvoir. Cela témoigne des
effets des longues années de parti unique et parfois de
répression que l'histoire et les changements en cours permettront
certainement de résoudre. Quoiqu'il en soit, le déploiement des
missions de monitoring des élections présidentielles aura au
moins eu deux mérites de fond : celui de la matérialisation de
l'indissociabilité des principes de la démocratie et des
élections d'une part et celui de la faveur de l'émergence
progressive d'une culture démocratique d'autre part. Cette double
évolution de fond a inéluctablement eu des conséquences
sur la forme.
Quant à l'évaluation des instruments juridiques,
les observateurs sont tenus de coller à ces derniers car c'est en effet
eux qui déterminent les travaux de la mission et ce sont eux qui
permettront, par exemple, de porter un jugement fiable sur la mission qui leur
aura été confiée. Cette évaluation rigoureuse des
instruments juridiques et des institutions mises en place existe à cet
effet tant du point de vue de l'organisation que de celui du déroulement
effectif de scrutin. En plus des institutions et de leurs compétences,
les missions de monitoring des élections procèdent à
l'évaluation des lois électorales proprement dites. Ainsi
vont-elles être amenées à se prononcer sur leur
capacité ou non de garantir la liberté, la fiabilité et
l'indépendance d'une élection308. En effet, on est
toujours responsable devant celui dont on tient la
303 Rapport provisoire de la mission d'observateurs
internationaux du NDI, « Election présidentielle anticipée
du 11 octobre 1992 », in Les Droits de l'Homme au
Cameroun. Livre Blanc publié par le gouvernement de la
République du Cameroun, Yaoundé, Editions de l'Imprimerie
Nationale, 1994, p. 259.
304 Au Sénégal et au Cameroun.
305 Cas du Togo, du Benin, du Gabon...
306 C'est le cas de l'ONEL au Cameroun qui jouit d'un
dessaisissement partiel alors que toutes les opérations
matérielles sont encore à la charge de l'administration
étatique.
307 En ce qui concerne l'élection présidentielle
du 11 octobre 2004, le Cameroun, étant Etat partie à la
Déclaration de Bamako, a honoré ses engagements en arrimant le
scrutin présidentiel selon les principes de cette déclaration,
ainsi qu'au respect de la déclaration de Harare. Lire à ce sujet
l'OIF, Rapport de la mission d'observation de l'élection
présidentielle du 11 octobre 2004 au Cameroun, pp. 10-25.
308 Cf. Rapport de l'élection présidentielle du 11
octobre 2004 au Cameroun.
75
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
légitimité. Tout ceci démontre que les
missions de monitoring des élections peuvent être amenées
à remettre en question une loi électorale309 qui
serait susceptible d'entraver même indirectement la
régularité du scrutin. Le monitoring des élections n'est
donc pas ici une simple formalité. Elle est davantage le lieu
privilégié de l'évaluation de l'adéquation des
valeurs démocratiques avec les lois camerounaises régissant
l'élection présidentielle ou toute autre élection. Il
s'agit en effet d'un véritable test d'évaluation des
capacités à l'assimilation des valeurs démocratiques.
Il faut dire que ces mérites de fond ont conduit
à une amélioration des mérites de forme.
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