CHAPITRE 3 : USAGES PLURIVOQUES DU MONITORING DES
ELECTIONS PRESIDENTIELLES
« La présence d'observateurs internationaux et
nationaux à des élections, soit à l'invitation des Etats,
soit par accréditation, peut faire toute la différence en ce sens
qu'elle permet d'assurer que les élections fassent réellement
avancer le processus démocratique. Leur seule présence peut
dissuader de mauvaise conduite, assurer la transparence et inspirer la
confiance dans ce processus.»194
Pendant longtemps, la communauté internationale,
à travers les grandes puissances et les institutions internationales, a
été très permissive sur la gestion
politico-économique souvent chaotique des États du Tiers-Monde,
notamment des États post-coloniaux africains195.
Analyser les usages plurivoques du monitoring des élections
présidentielles revient à examiner les usages internes du
monitoring des élections présidentielles (Section 1) et les
usages externes du monitoring des élections (Section 2).
SECTION 1 : LES USAGES INTERNES DU MONITORING DES
ELECTIONS : CAS DE L'ELECTION PRESIDENTIELLE DE 1992
Le monitoring des élections présidentielles
comme instrument de préservation d'une autonomie d'action dans la mise
en oeuvre du processus de démocratisation (Paragraphe 1), aussi bien que
la transparence sont des usages majeurs internes du monitoring des
élections Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le monitoring des élections comme
instrument de préservation d'une autonomie d'action dans la mise en
oeuvre du processus de démocratisation
Les pays et les organisations du nord prennent actuellement
des positions dont l'objectif est non seulement de faire respecter les droits
de l'homme, mais surtout une conditionnalité démocratique au
sud196. Ainsi, face à l'interférence de
l'environnement externe, le nationalisme gouvernemental qui, dans une certaine
mesure, s'abreuve aux sources du tiers-mondisme, se porte en faux de la
tendance à l'universalisation de la démocratie libérale
célébrée avec une bonne dose d'optimisme par Francis
Fukuyama197. Il pourrait aussi s'agir d'une affirmation
de son identité face à l' « impérialisme »
inhérent à toute tendance homogénéisatrice.
Mais, dans la mesure où le processus de
démocratisation camerounais s'apparente à une «
performance démagogique de la formation dirigeante
»198, en ce sens qu'« il s'agit de
fabriquer l'image d'un régime qui n'a pas été contraint de
libéraliser par la force des pressions intérieures et
extérieures »199 deux leviers permettent au pouvoir
en place de s'assurer une marge d'autonomie dans la conduite du processus de
démocratisation qui suit son cours. A n'en pas douter, il s'agit
194 Koffi Annan, huitième Secrétaire
Général des Nations Unies de 1997 à 2006.
195 Dodzi Kokoroko, « Souveraineté étatique
et principe de légitimité démocratique », in
Revue québécoise de droit international, 2003, p. 39.
196 Moss, (TO), « La Conditionnalité
Démocratique dans les Relations entre l'Europe et l'Afrique », in
l'Évènement Européen, n° 19, septembre 1992,
p. 75.
197 Fukuyama, (F), La Fin de l'Histoire et le Dernier
Homme, Paris, Flammarion, 1992, p. 231.
198Sindjoun (L), Construction et
Déconstruction Locales de l'Ordre Politique au Cameroun. La
Sociogénèse de l'Etat, Thèse de Doctorat d'Etat en
Science Politique, Université de Yaoundé II, F.S.J.P,
Année académique 1993-1994, p. 254.
199 Idem.
53
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
d'envisager le monitoring des élections comme moyen de
disqualification des modèles véhiculés par l'environnement
international d'une part (A), et d'autre part, d'analyser le monitoring des
élections présidentielles comme primat d'une volonté de
pilotage exclusif de la dynamique politique interne (B). Les deux
réalités sont tellement imbriquées qu'il n'a pas
été aisé d'opérer un distinguo.
A. Le monitoring des élections comme moyen de
disqualification des modèles véhiculés par l'environnement
international : cas de l'élection présidentielle de 1992
Depuis la fin de la guerre froide, le monde a
été balayé par une vague démocratique de grande
envergure. Partie de l'Est, cette « onde de choc » atteint
l'Afrique de plein fouet. Le cas béninois a constitué un
précédent de taille dans la mise en oeuvre des processus de
démocratisation qui déferlent par la suite en
Afrique200. Suite à une réunion des instances
dirigeantes du parti, de l'Etat et de l'armée, le Président
Mathieu Kérékou du Bénin cède, le 07
décembre 1989, à la pression conjuguée de la rue et des
bailleurs de fonds. Il annonce l'abandon du Marxisme-léninisme et du
rôle dirigeant du parti ainsi que la convocation d'une Conférence
nationale réunissant toutes les forces vives du pays201.
D'autres pays d'Afrique francophone s'engagent dans cette voie202.
Pourtant, l'influence de ces facteurs semble difficile à attester pour
le cas camerounais203. Les forces extérieures qu'on peut
directement associer au processus de démocratisation au Cameroun sont la
France, les Etats-Unis et plus généralement la communauté
des créanciers204. Face à leur poussée, le
pouvoir central camerounais va moduler sa réaction en fonction de sa
provenance.
La récession économique que traverse le
continent africain depuis le début des années 80 et la
disparition des rivalités géopolitiques Est-ouest dans cette aire
géographique ont amené les bailleurs de fonds occidentaux
à réévaluer les fondements de leur aide205.
Par-delà cette révision, c'est tout particulièrement le
cas du Cameroun qui était ainsi visé206. En ce qui
concerne les donateurs de l'aide bilatérale, on a coutume d'insister sur
le fameux discours de la Baule, prononcé en 1990, par le
Président français, monsieur François Mitterrand et les
multiples mises en garde des Etats-Unis voire de la Grande Bretagne. Mais, on a
tout aussi coutume de passer sous silence l'action de la République
fédérale d'Allemagne dont le Ministre de la Coopération
économique et du développement de cette époque-là,
monsieur Carl Dieter Spranger, a énoncé en octobre 1991 cinq
nouveaux critères207 en matière de coopération
au développement avec les pays du Tiers-monde. C'est en application
200 Ebolo, (M.D), Op. cit., p. 51.
201Raynal (J.J), « Le Renouveau
Démocratique Béninois : Modèle ou Mirage ? » in
Afrique Contemporaine, n° 160, 4ème trimestre,
1991, la Documentation Française, pp. 6-7.
202 Congo, Gabon, Niger, Togo...
203 Mehler, (A), Op. cit., p. 29.
204 Idem.
205 Biagiotti (I), « Afrique, Droits de l'Homme,
Démocratie et Conditionnalité : Éléments des
discours allemands » in L'Afrique Politique. Vue sur la
Démocratisation à marée basse. CEAN, Paris, Karthala,
1995, p. 203.
206 Idem.
207 Il s'agit du respect des droits de l'homme, de la
participation de la population au processus politique, de la garantie de la
sécurité juridique, de l'institution d'un système
économique « compatible avec le marché » et de
l'orientation de l'action de l'Etat sur le développement.
54
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
de ces prescriptions que ce pays suspendit ses
négociations intergouvernementales sur la coopération
financière et technique d'avec le Cameroun en 1992208.
Quant aux organismes multilatéraux, outre la clause de
protection des droits de l'homme incorporée dans le dispositif de la IVe
Convention de Lomé (1989)209 par les pays membres de la CEE,
le Parlement européen, dans sa résolution 981 du 5 mai 1992
relative aux relations Nord-Sud, s'est voulu plus ferme : « l'aide
officielle doit en principe être réservée aux pays qui
s'orientent vers la démocratie, le respect des droits de l'homme et la
mise en place d'une administration responsable et efficace un bon gouvernement.
Il faut cesser de soutenir des dictateurs. Il faut suspendre l'aide officielle
aux pays où le processus démocratique s'est arrêté,
sauf urgence humanitaire » 210.
Cette machine infernale a été mise en branle
aussi bien par la Banque mondiale que par d'autres organismes du système
onusien. Face à ce déferlement de pressions directes et
indirectes, le gouvernement camerounais oppose l'argument nationaliste. Les
prestations publiques du Chef de l'Etat seront l'occasion de tempérer
les ardeurs des partisans d'un universalisme de façade. Aussi, à
l'occasion de l'ouverture officielle de la 87ème Conférence de
l'union interparlementaire, le 06 avril 1992, le Président Paul Biya
n'a-t-il été formel : « c'est à chaque peuple
qu'il appartient, en dernier ressort, de décider de ce qui est bon pour
lui, pour sa liberté, pour son mieux être
»211. Jl s'agit, en réalité, d'une mise en
garde à l'endroit de « ceux qui seraient tentés de
donner des leçons... »212, car ils « (...)
devraient comprendre que des Etats libres et indépendants n'ont de
compte à rendre qu'à leurs citoyens »213. Ce
discours, dont le caractère dissuasif est sans embellissement,
apparaît comme un moyen, pour le pouvoir central, de se dérober
face aux pressions extérieures en faveur de la
démocratisation.
La récurrence des propos appelant à la
sauvegarde de l'intérêt supérieur de la nation et de sa
souveraineté s'analyse en un refus de la transposition et/ou de
l'imposition de modèles venus d'ailleurs : « nous ne pouvons
transposer, chez nous, aveuglement, sans discernement, des recettes
étrangères toutes faites, des modèles d'emprunt,
eussent-ils réussi ailleurs, car le Cameroun, je l'ai dit en d'autres
circonstances, a son identité propre »214.
Déjà, à l'occasion de son discours d'investiture devant
l'Assemblée nationale et la Cour suprême le 03 novembre 1992,
après son élection le 11 octobre 1992 le Président Paul
Biya, après avoir épilogué sur l'ouverture de son pays
à la coopération internationale, déclarait que celui-ci
« entend voir respecter ses options et sa souveraineté
»215. Ces propos étaient probablement
orientés vers les représentations diplomatiques des pays amis qui
avaient manqué de réserve lors des péripéties
marquant l'organisation de l'élection présidentielle du 11
octobre 1992216. Autant le Chef de l'Etat a joué un
rôle de premier plan dans la
208 Ebolo, (M.D), Facteurs Extérieurs et
Démocratisation en Afrique : le cas de l'action allemande au
Cameroun, Mémoire de Maîtrise Professionnelle en Relations
Internationales, Université de Yaoundé II, IRIC, octobre 1994,
p.80.
209 Se référer au Texte de la Convention contenu
dans Le Courrier ACP-CEE, n° 120, mars-avril 1990, p. 11.
210 Texte de la Résolution dans la Revue Africaine de
Droit International et Comparé, vol. 5, 1993, p. 465.
211 Cameroon Tribune n° 5108, mardi 07 avril 1992,
p. 3.
212 Idem.
213 Idem.
214 Discours du Président Biya, in Cameroon Tribune
n° 5746, vendredi 16 décembre 1994, p. 2.
215 Cameroon Tribune n° 5253, mercredi 04 Novembre
1992, p. 3.
216 De plus, le lundi 19 octobre 1992, Jacques Roger Booh
Booh, Ministre camerounais des Relations Extérieures rappelle à
tous les Ambassadeurs accrédités à Yaoundé,
capitale du Cameroun, les principes de la non-ingérence dans les
affaires intérieures du Cameroun. De même, l'activité
diplomatique s'est aussi déployée par l'envoi des missions
d'explication de haut niveau à travers le monde dès le 04
novembre 1992 (France,
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
formulation du nationalisme face aux pressions de la
communauté internationale dans son ensemble, autant les ministres
semblent avoir été perspicaces et tenaces vis-à-vis des
pressions exercées par les Etats-Unis
d'Amérique217.
Deux faits majeurs retiennent notre attention à ce
niveau de l'analyse. La réaction du gouvernement camerounais suite au
fameux rapport du NDI à l'issue de l'élection
présidentielle anticipée du 11 octobre 1992 ainsi que son
attitude vis-à-vis des nombreux communiqués-presses
diffusés par les services d'information de l'ambassade des Etats-Unis
à Yaoundé.
Les rapports du National democratic institute for
international affairs (NDI) s'inscrivent dans le sillage de l'action de
l'ambassadeur américain au Cameroun d'alors, madame Frances Cook, qui
non seulement « condamnait les violations des droits de l'homme au
Cameroun pendant les années 90-92 » 218, mais aussi
prenait part, au grand dam du pouvoir en place, aux activités de
certains grands partis politiques de l'opposition, notamment du Social
democratic front (SDF) du « Chairman » monsieur Ni John Fru
Ndi.
Les rapports219 présentés par les
experts du NDI sur la dynamique de l'élection présidentielle
anticipée du 11 octobre 1992 ont été à l'origine de
ce que le gouvernement camerounais a appelé « Un malentendu
malheureux »220. Ces rapports critiquaient assez
sévèrement les conditions d'organisation ainsi que le
déroulement effectif du scrutin. Ils insistaient, par ailleurs, sur la
« gravité des irrégularités et le
caractère massif des fraudes »221. Suite à
ces prises de position, la réaction du gouvernement camerounais
interviendra deux jours plus tard222.
Plusieurs communiqués-Presses de l'ambassade des
Etats-Unis à Yaoundé sur les droits de l'Homme et le processus de
démocratisation au Cameroun ont, à certains
Belgique, Allemagne, Grande Bretagne, Espagne, Etats Unis,
Canada, Chine, etc.). Il s'agissait, en effet, de rassurer la communauté
internationale que le processus démocratique en cours est en bonne
voie.
217 Des représentants officiels des Etats-Unis se sont
prononcés clairement au sujet de la démocratisation en Afrique.
En 1990, Hermann Cohen, alors Sous-Secrétaire d'Etat Adjoint aux
Affaires Africaines, déclarait qu'à un avenir proche, la
démocratie serait la pré-condition nécessaire pour obtenir
une aide au développement. Cet héritage est assumé par
l'Administration Monsieur Clinton depuis 1993. Le Gouvernement de
Yaoundé apparaît comme l'un des destinataires de ce message, ce
d'autant plus qu'en 1988/89, le Cameroun comptait parmi les pays-clé de
l'aide bilatérale américaine en Afrique subsaharienne.
218 Mehler (A), Op. cit. p. 31.
219 Il s'agit de la Déclaration post-électorale
préliminaire du 14 octobre 1992 et du Rapport provisoire de la Mission
d'Observateurs Internationaux du NDI à l'élection
présidentielle du 28 octobre 1992.
220 Cf. Les Droits de l'Homme au Cameroun. Livre Blanc
publié par le Gouvernement de la République du Cameroun,
Yaoundé, les Editions de l'Imprimerie Nationale, 1994, p. 243.
221 Ibidem, p.253.
222 Lors d'un point de presse organisé le 30 octobre
1992 point de presse auquel prenaient activement part les Ministres Douala
Moutome de la Justice et Robert Mbella Mbappe de l'Education Nationale le
Ministre de la Communication, Augustin Kontchou affirme sans ambages que le
rapport du NDI « est un véritable scandale intellectuel ». Par
conséquent, il constitue « un tissu de mensonges ». Cette
disqualification de l'objectivité du rapport du NDI apparaît comme
une stratégie du gouvernement à se dérober des pressions
qui pourraient en découler. La fibre nationale s'identifiant en l'ultime
recours, étant entendu que « certains étrangers agissent de
manière hostile à l'endroit du Cameroun » En outre, face aux
journalistes qui l'accusent d'avoir reconnu lors d'un entretien à
Cameroon Tribune que l'élection présidentielle anticipée
du 11 octobre 1992 a été entachée
d'irrégularités, le Ministre Douala Moutome pense beaucoup plus
que « le rapport du NDI pose un problème de respect de notre
souveraineté et de notre indépendance ». Quant au Ministre
Robert Mbella Mbappe, le Cameroun n'étant pas une colonie, il est
inadmissible pour un Camerounais d'accepter qu'un organisme qui n'a «
aucune valeur » puisse émettre un jugement qui « manifestement
porte atteinte à la souveraineté du pays... » . Le paroxysme
des appels à la fibre nationaliste est atteint lorsque Douala Moutome
déclare : « Le Cameroun n'a pas besoin de ce genre de donneurs de
leçons qui nous fourvoient. Le NDI est venu ici pour nous fourvoyer.
[...] Lorsque le NDI n'arrive pas à respecter la chose jugée
camerounaise, qu'est-ce qu'ils viennent faire au Cameroun ? Ils ne nous
considèrent pas comme un Etat ! » .
55
56
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
moments, suscité la réaction des
autorités gouvernementales. Nous nous en tiendrons à celui du 22
novembre 1994 au motif qu'il a provoqué un sursaut d'orgueil
nationaliste qui fera date223. Usant et même abusant parfois
de leur statut de « Maître du monde »224,
les Etats-Unis déclarent par communiqué-presse du 22 novembre
1992 appuyer « fortement la mise en oeuvre de mesures maintes fois et
depuis longtemps promises et ajournées par le gouvernement du Cameroun,
visant à faire avancer la démocratisation »
225. Pis encore, ils vont jusqu'à esquisser le
schéma à suivre : « Pour être significatives, ces
mesures doivent donner lieu à un processus transparent, ouvert à
la participation de tous, et conduire à la séparation des
pouvoirs exécutif, législatif , judiciaire et à la
décentralisation »226. Le comble de l'injonction
est atteint lorsque les Etats-Unis « demandent instamment au
gouvernement du Cameroun d'aller jusqu'au bout de ses promesses,
d'éliminer la censure des médias, et de cesser le
harcèlement et la détention des journalistes
»227. En fait, il s'agit d'un texte dont le contenu se
situe aux antipodes de la communication entre deux partenaires reconnus de la
société internationale.
Par communiqué-presse en date du 03 décembre
1992, le gouvernement camerounais estime que celui diffusé par
l'Ambassade américaine « n'est acceptable ni pour le ton, ni
pour le contenu »228 . Ainsi, face à une action qui
« présente les allures d'une leçon d'instruction civique
»229, aux banbins de l'école primaire, le
gouvernement a tenu à « rappeler à ceux qui feignent de
ne pas le reconnaître, qu'aucune étape de son processus
démocratique n'a été la conséquence d'une pression
extérieure, mais est toujours restée l'oeuvre pleine et
entière d'un peuple fier et jaloux de sa souveraineté
»230.
Ainsi, qu'on le constate aisément, le gouvernement
camerounais n'a eu de cesse, par l'entremise de l'argument nationaliste, de
dénoncer, parfois avec véhémence les pressions
extérieures en faveur de la démocratisation. Cette
stratégie a pour corollaire la volonté de « pilotage
» exclusif de la dynamique politique interne. B. Le
monitoring des élections comme volonté relativement
contestée de pilotage exclusif de la dynamique politico-électoral
interne
Le processus de démocratisation camerounais s'analyse
en une « offensive de la formation dirigeante » 231 aussi
bien face à la « volonté subversive » de la
société civile que face aux pressions extérieures. En tout
état de cause, deux facteurs auront permis au pouvoir central de «
nationaliser » la problématique de la
démocratisation au Cameroun : l'argument d'un processus graduel et
l'attachement en l'existence d'une « exception camerounaise
». Cet argument a pour objectif la disqualification des tenants de la
thèse d'une imbrication entre les démocratisations d'Afrique
et
223 Ebolo, (M.D), « Art. cit. », p. 52.
224 L'expression est tirée de l'ouvrage de Valence (G),
Les Maîtres du Monde. Allemagne, États-Unis, Japon,
Paris, Flammarion, 1992, p.295.
225Cameroon Tribune n° 5737 du 05
décembre 1994, p.3. Voir aussi Afrique - Etats-Unis, n°
12/1994, p. 2.
226 Idem.
227 Idem.
228 Idem.
229 Idem.
230 Idem.
231 L'expression est de Sindjoun (L), Construction et
Déconstruction Locales..., p. 534 ; Lire le même auteur
« Le système politique camerounais face aux enjeux de la transition
démocratique », in l'Afrique politique, Paris, Karthala,
1994.
57
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
l'évolution brusque des relations internationales
actuelles232. Ce faisant, le pouvoir en place procède en la
construction du « mythe de l'antériorité
présidentielle de l'offre libérale »233.
Ainsi, il essaie de fabriquer l'image d'un régime qui n'a pas
été contraint de libéraliser la vie politique par la force
des pressions intérieures et extérieures234. Le 20
juillet 1990, le Président Paul Biya était formel : «
nous avons commencé à libéraliser notre vie politique
depuis 1985, avant que le vent de l'Est ne se lève
»235. Cet argument d'une approche gradualiste est
savamment entretenu par Cameroon tribune, l'organe d'expression
gouvernementale. Esquissant le chemin parcouru, ce journal écrit :
« Lorsqu'il décide de la fondation du Rassemblement
démocratique du peuple camerounais (RDPC) en mars 1985 à Bamenda,
monsieur Paul Biya, sans attendre que la démocratie apparaisse aux
peuples de l'Est de l'Europe comme principe universel, part d'un constat
annonciateur d'une époque nouvelle pour le Cameroun
»236. Ce recours en un langage spécifique a pour
objectif de stimuler la « conscience de former un groupe et d'imposer
son existence à l'environnement extérieur
»237.
Certes, il est indéniable que l'accession au pouvoir de
monsieur Paul Biya en novembre 1982 coïncide avec un discours au contenu
libéral et l'adoption de quelques réformes. Mais, la rupture avec
l'autoritarisme ne fut jamais radicale238. L'attitude du pouvoir
central participe de la dynamique de la gouvernance magistralement
décrite par Philippe Braud : « gouverner, c'est réagir,
sans doute ! Mais beaucoup plus fréquemment, c'est prendre en charge des
processus décisionnels complexes, c'est avaliser des décisions
prises ailleurs... ou nulle part. C'est subir l'événement en
donnant l'illusion de le régenter »239. Quelques
faits permettent de démontrer que le pouvoir en place n'a cessé
de prétendre en la maîtrise de la situation. La poussée
subversive de la société civile commence avec l'affaire monsieur
Yondo Black et ses acolytes, condamnés le 5 avril 1990 par le Tribunal
de Grande Instance de Douala, à un emprisonnement de trois ans ferme
pour « avoir tenu des réunions clandestines et diffusé
des tracts hostiles au régime ». Les 17 et 18 mai de la
même année, le SDF, formation politique non
légalisée, appelle à une manifestation publique en se
fondant sur l'article 3 de la Constitution du 02 juin 1972. Le 26 mai, la
manifestation est réprimée non sans une dose de brutalité.
Le 20 juin 1990, a lieu l'ouverture solennelle de la célèbre
Conférence de la Baule avec le message que l'on sait.
C'est dans cette foulée que se tiendront les assises du
tout premier congrès ordinaire du Rassemblement démocratique du
peuple camerounais (RDPC), parti unique au pouvoir, le 28 juin 1990 au palais
des congrès de Yaoundé. Afin d'administrer la preuve de sa
volonté libérale, le Président Paul Biya invitera ses
camarades à se « préparer à affronter une
éventuelle concurrence »240. Cet argumentaire
s'enrichit de quelques actions concrètes, à l'instar de la
pluralité de candidatures au sein du parti lors des élections
législatives de 1988, de la levée de l'Etat d'urgence dans le
Haut-Nkam, le Ndé, les localités de Nkondjock et de
Makénéné en 1987.
232 Garcin (T), « La France et la Démocratisation
en Afrique » in Le Trimestre du Monde, 1er Trimestre 1992, p.
138.
233 Idem.
234 Idem.
235 Cf. Cameroon Tribune n° 4683 du 22 et 23
juillet 1990.
236 Obam-Assam (S), « D'un Congrès à l'autre
», in Cameroon Tribune, n° 5947 du 06 octobre 1995, p. 3.
237 Braud (P), La Vie Politique, Paris, Presses
Universitaires de France, 1985, p. 63.
238 Idem.
239 Braud (P), Op. cit., p. 63.
240 Cameroon Tribune n° 4670 du 3 et 4 juillet
1990, p. 13.
58
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
La session ordinaire de l'Assemblée nationale du mois
de novembre de la même année permettra au pouvoir de poser les
jalons de l'infrastructure juridique du multipartisme au Cameroun. C'est au
cours de cette session, dite « des libertés », que
seront adoptées les lois sur les partis politiques, la liberté
d'association et l'abrogation de l'ordonnance n° 62/OF/18 du 12 mars 1962
portant répression de la subversion, pour ne s'en tenir qu'à ces
textes. Ce nouvel environnement juridique va favoriser la légalisation
de plusieurs formations et associations politiques dès les premiers mois
de l'année 1991. D'entrée de jeu, les nouveaux partis politiques
vont revendiquer la convocation d'une Conférence nationale souveraine.
Cette revendication a sérieusement secoué les bases du pouvoir,
sans pour autant « réduire sa capacité et sa
technicité à conduire un changement selon son rythme, ses projets
et sa volonté »241. C'est dans cette logique que
fut convoquée la rencontre tripartite à partir du 30 octobre
1992. La suite des péripéties de la dynamique politique
camerounaise sera marquée par le souci constant du pouvoir de se
soustraire aux pressions de toutes sortes242.
L'argument d'une démocratisation progressive est
renforcé par le recours au mythe de « l'exception camerounaise
». Univers de communication, la scène politique mobilise de
multiples langages pour signifier le pouvoir. De façon extensive, le
langage s'entend de tout système de signes porteurs de
sens243. La validité d'une telle analyse pourrait s'appliquer
au cas camerounais dans la mesure où l'autorité investie du
pouvoir de direction du pays utilise à fond la symbolique d'une «
exception camerounaise » pour pouvoir disqualifier les arguments
de tous ceux qui, au Cameroun comme ailleurs pensaient (ou pensent encore) que
ce pays aurait dû se mettre au diapason d'une mode symbolisée par
la Conférence Nationale Souveraine. « Le Cameroun, c'est le
Cameroun ! », lançait Paul Biya le 27 juin 1991, à
l'Assemblée nationale pour justifier son refus de la conférence
nationale et amener les partisans de cette désormais fameuse formule
à comprendre que les contingences inhérentes aux
réalités camerounaises n'imposent pas forcément un
mimétisme à tout vent. Cette prise de position du Chef de l'Etat
rejoignait celle d'une frange non négligeable de la formation au pouvoir
qui se résume en ces termes : « nous ne voulons pas de
modèles importés ».
Au-delà des slogans, il convient de relever la
résurgence d'une certaine forme de vanité
nationale244. Mais soutenir qu'un tel nationalisme est bien
dérisoire étant donné qu'il a pour fonction essentielle
d'offrir un fondement « philosophique », «
juridique » et « intellectuel » au maintien du
système répressif245 peut être contestable.
Aucun gouvernement au monde n'accède facilement aux injonctions,
même voilées, des autres acteurs de la scène
internationale. L'attitude du pouvoir central français, face aux
réactions de la communauté internationale suite à la
reprise des essais nucléaires, en dit long. De surcroît, pour un
Etat tiers-mondiste, il pourrait s'agir d'un subterfuge devant la «
tentative de reprise en mains des pays du Sud par les pays du Nord,
à travers la culture... »246. Car, comment
convaincre et se convaincre qu'une telle action internationale ne tend pas
prioritairement à
241 Lire Onana, (J), Op. cit., p. 590.
242 Lire le Discours du Président Biya à
l'ouverture du 2ème Congrès ordinaire du RDPC le 07
octobre 1995, in Cameroon Tribune n° 5948 du 09 octobre 1995, p.
3.
243 Idem.
244 Monga, (C), Op. cit., p. 68.
245 Idem.
246 Sob (P), « Le Principe d'universalité
des droits de l'homme : mythe et limites », in Afrique 2000,
n° 22 juillet-septembre 1995, p. 15.
59
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
sauvegarder un intérêt national ?247
En effet, l'établissement fréquent des liens entre l'aide
étrangère et les progrès réalisés dans le
domaine de la démocratie et des droits de l'homme constitue une
indication incontestable de la difficulté à poursuivre un tel
objectif sans arrière-pensées248.
En clair, le nationalisme gouvernemental s'analyse en une
volonté affichée, de la part du pouvoir en place, de
préserver une marge d'autonomie considérable dans la gestion de
l'agenda démocratique Camerounais. Cependant, cette autonomie est
partiellement assurée du fait de l'ouverture, voire de l'extraversion du
système politique camerounais.
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