La régulation de l'industrie pétrolière du Sénégal face au défi du paradoxe de l'abondancepar Pape Amadou FALL Faculté de droit Paris Descartes - Master 2 Droit des Politiques Publiques du Développement 2018 |
A- Une économie entièrement dépendante du secteur pétrolierLe Nigéria, une des principales économies du continent africain, est le premier pays producteur de pétrole aujourd'hui dans le continent. Toutefois, la manne pétrolière conséquente dont il bénéficiait, en a fait un pays fortement dépendant de ses recettes pétrolières afin d'assurer le bon fonctionnement de son économie. En effet, l'exportation du pétrole représentait près de 80% des revenus du gouvernement fédéral64. Cette richesse pétrolière marque le paradoxe de l'abondance, car le Nigeria, membre de l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) a une production pétrolière qui se classe derrière les grands pays producteurs comme l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unies ou même l'Iran. Le fort potentiel économique du Nigéria grâce à sa richesse en pétrole, ne s'est que partiellement matérialisé. En d'autres termes, la population a très peu profité des retombées économiques que procure la forte rente pétrolière dont l'État a bénéficié au fil des années. Au début des années 2000, près de 70% des Nigérians vivaient avec moins d'un dollar par jour. En outre, plus de 43% de la population n'avait accès ni aux infrastructures de santé, ni à l'eau potable et le tout cumulé à un fort de taux de mortalité infantile65. Un modèle économique reposant exclusivement sur la rente pétrolière semble ne pas être viable, du fait des cours aléatoires du prix du baril. En 2014, la chute mondiale des cours du baril a directement impacté l'économie nigériane. La compagnie pétrolière nationale, la Nigerian 63 De MONTCLOS, Marc-Antoine. Le Nigeria, Éditions Karthala, 1994, p.97 64 « African Energy Outlook » by Gupte Eklavya, disponible sur : https://www.spglobal.com/our-insights/African-Energy-Outlook.html 65 PNUD, Rapport sur le Développement Humain, 2001 33 National Petroleum Corporation (NNPC)66 affirme dans un rapport que la chute drastique des recettes à l'exportation due à la crise pétrolière de 2014, « témoigne d'un déclin prononcé de plus de 67% entre septembre 2014, où la recette était au plus haut, et juillet 2015, avec des conséquences désastreuses pour la fédération »67. Cet écart entre la forte richesse du pays et la hausse de la pauvreté met en lumière un problème de gestion dans les revenus pétroliers. Par conséquent, une gestion opaque et non transparente des recettes pétrolières a pour conséquence une redistribution inégale des richesses issues de la rente pétrolière. Paradoxalement, la procédure de gestion de la rente pétrolière mise en place par l'État paraît pertinente. En effet, la NNPC reçoit environ près de 57% de la production totale de pétrole qu'elle exporte. Ensuite, les revenus issus de l'exportation du pétrole brut sont versés sur le compte à la Banque Centrale du Nigeria68. Seulement en pratique, le procédé susmentionné ne semble pas offrir les solutions de bonne gouvernance. En d'autres termes, l'absence « d'instruments de stabilisation fiscale, de responsabilité et de transparence »69 contribue à un pillage des ressources. Le pillage des ressources corrélées à des politiques publiques et des législations paraissant incohérentes, a mené le Nigeria vers une instabilité économique liée au phénomène de syndrome hollandais. B- Une incohérence au niveau légal et politique : un facteur d'instabilité économique menant au syndrome hollandais Le Nigeria est victime de la maladie hollandaise à partir des années 1960, c'est-à-dire dès 66La NNPC fut fondée en 1977 pour représenter l'État nigérian dans les relations contractuelles nouées avec les compagnies pétrolières étrangères. C'est une compagnie intégralement intégrée dans l'amont pétrolier nigérian à savoir les activités pétrolières liées à l'exploration et la production 67 NNPC Financial and Operations Report, Monthly Report, October 2015 68 GARY, Ian et KARL, Terry Lynn. Le fond du baril : Boom pétrolier et pauvreté en Afrique. Catholic Relief services, 2003. p.25-26 69 Ibidem 34 l'émergence de son secteur pétrolier. Cela a eu pour conséquence, une surévaluation du taux de change qui a négativement impacté le secteur agricole, qui au fil du temps, est devenu faible et peu compétitif. De ce fait, la forte vulnérabilité des prix du pétrole a rendu difficile tout projet d'investissement de la part du gouvernement. Ce manque d'investissement ayant contribué à la détérioration des conditions de vie des Nigérians, est un des facteurs ayant mené au conflit du Delta Niger qui représente une des régions pétrolières les plus importantes du pays. En d'autres termes, les régions bénéficiaient peu de la rente pétrolière. De plus, les compagnies pétrolières sont considérées comme responsables de cette redistribution inégale des richesses, car la population ne bénéficiait d'aucune retombée issue de la production pétrolière dont l'État fédéral a reçu les paiements de la part des compagnies pétrolières étrangères. Le gouvernement nigérian pour faire face à cette crise a entrepris une série de mesures au niveau légal pour une distribution juste et équitable des ressources pétrolières. Afin d'apaiser les populations locales, le Nigéria a introduit dans sa constitution de 1999, un principe selon lequel au moins 13% des revenus pétroliers soient versés aux États fédéraux où le pétrole est produit70. Cette obligation légale qui incombait à l'État nigérian a joué un rôle important dans la hausse des revenus pétroliers au sein des États fédéraux bénéficiaires de cette disposition constitutionnelle. Toutefois, l'opportunité de cette disposition constitutionnelle reste discutable dans le sens où, malgré l'obligation imposée au gouvernement fédéral de verser une part de 13% des revenus pétroliers aux États pétroliers de la fédération, des problèmes de transparence et de mauvaise gestion subsistent dans les structures gouvernementales locales. Par conséquent, le gouvernement nigérian a estimé que les États fédéraux ne devraient pas bénéficier des revenus pétroliers issus des zones Offshore. La Cour suprême dans une décision Resource Control Judgement d'avril 200271 confirme cette position de l'État nigérian en précisant que la capitale de l'État Fédéral (ayant un statut similaire à celui d'un État) n'est ni un État ni un gouvernement local dans le cadre de la définition du terme « État » dans la Constitution 70Constitution of the Federal Republic of Nigeria, 1999, Section 162 (2) 71 Jugement de la Cour Suprême nigériane, Revenue allocation, Attorney General vs Attorney General of Nigerian Federal States, 12 avril 2002, disponible sur : https://www.dawodu.com/reven1.htm 35 de 1999. Par conséquent, l'État Fédéral n'est pas habilité à octroyer des revenus pétroliers issus du compte fédéral, aux États fédéraux. Cela a eu pour conséquence une baisse des rentrées d'argent pour l'État du Delta. Aujourd'hui, le gouvernement nigérian entreprend des politiques publiques nécessaires pour une meilleure diversification de son économie notamment dans le secteur agricole, tout en réduisant la dépendance économique aux revenus pétroliers72. Une des avancées majeures dans le cadre juridique, porte sur l'adoption de la loi pétrolière, la Petroleum Industry Bill (PIB), qui faisait l'objet d'un projet de loi pendant près de dix-sept ans73. Ces réformes entreprises depuis 2015 ont permis au pays de sortir de la récession. En conclusion, la mauvaise gestion de la rente pétrolière au Nigeria montre que la transparence est le pilier d'une gestion juste et équitable de la rente pétrolière profitable aux générations actuelles et futures. L'efficacité de la transparence dépend des réglementations mises en place. En effet, il serait pertinent d'affirmer en ce sens, qu'un cadre réglementaire solide est une condition sine qua non pour une éviter le pillage des ressources, qui de facto mène à la maladie hollandaise. Section 2 - L'exigence d'un cadre réglementaire solide dans la gestion des ressources naturelles Le cas du Nigeria montre que dans une économie rentière, la réglementation occupe une place primordiale. En effet, un cadre réglementaire qui ne saurait être assez solide laisse place à une gestion opaque et non transparente des ressources naturelles, à savoir le pétrole en l'espèce. Le Nigeria, d'un point de vue juridique dispose d'un cadre législatif pertinent, mais la mauvaise 72 Rapport du FMI sur le Nigeria, 2018, disponible sur : 73 AUGE, Benjamin. Le pétrole au Nigeria, instrument de puissance et miroir d'une fragilité étatique. Hérodote, 2015, n°4, p.152-15 36 gestion de ses richesses pétrolières découle de l'application des textes de loi. Il s'agit d'un phénomène récurrent dans les pays africains producteurs de pétrole. Ces derniers disposent d'un cadre réglementaire et législatif cohérent, mais la principale difficulté réside dans l'application de ce dernier. Par conséquent, comment expliquer cette difficulté dans l'application des textes de loi ? Est-ce dû aux faiblesses institutionnelles des États africains dans le contrôle de l'application des lois votées ? La certitude résultant du cas nigérian est que la réglementation est un gage de gestion éthique et transparente des ressources naturelles (paragraphe premier) à condition que cette dernière soit appliquée de manière légale et juste (paragraphe second). Paragraphe premier - Le caractère primordial de la réglementation dans la gestion éthique et transparente des ressources naturelles La réglementation occupe une place importante dans la gestion des ressources naturelles. Elle constitue le socle d'une bonne gestion des ressources naturelles. Chez certains pays producteurs de pétrole africain, l'application de la réglementation au niveau fiscal constitue un problème majeur dans la gestion des revenus pétroliers, car il s'agit d'un domaine où les conséquences fiscales ne sont pas toujours tirées dans les opérations pétrolières. La réglementation étant un gage de bonne gestion, il est pertinent d'en déduire qu'il y a un lien de causalité direct d'une part, entre une bonne réglementation et la prospérité économique d'un pays producteur de pétrole (A) et d'autre part, entre une mauvaise réglementation et le pillage des ressources naturelles (B). |
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